Le Révizor en mode burlesque? Un sans-faute pour la Compagnie Toda Via Teatro
Par Florence Gopikian Yérémian – bscnews.fr/ Que se passe-t-il dans l’esprit d’un crapuleux bourgmestre lorsqu’on lui annonce qu’un inspecteur est envoyé incognito par le ministère pour contrôler l’état de sa province? La panique le prend et il transmet sa peur à l’ensemble de ses notables: juge, proviseur, directeur des hôpitaux, tous sont soudainement terrorisés car ils se savent vils et corrompus jusqu’à l’os…
Le supposé Révizor est alors rapidement repéré et cette brochette de fonctionnaires véreux tente sans relâche de l’embobiner: mensonges, pots de vin, dénonciations à la pelle, aucune ruse n’est mise de côté pour sauver sa peau. Au fil de ce carnaval de polichinelles hypocrites, le climat de la ville devient graduellement aussi tendu que pathétique. Le summum du ridicule est cependant atteint lorsque ces Janus apeurés apprennent que ce soit-disant inspecteur général n’est en fait qu’un imposteur : tels sont pris qui croyaient prendre…
Pour ceux qui aiment le théâtre burlesque, la mise en scène de ce Révizor est aussi fabuleuse que le jeu des acteurs. Caricaturaux à souhait, les comédiens sont tous affublés de faux nez et grimés d’un maquillage outrancier. Afin de mener cette troupe de joyeux histrions, Laure Pagès s’est glissée dans le rôle du Bourgmestre: semblable à un triste clown coiffé d’une grotesque perruque rouge, elle vocifère (un peu trop), entraine ses notables dans son délire paranoïaque et prodigue au public une singulière morale. A ses côtés, trois fonctionnaires en costumes gris ne la quittent pas d’un pouce: il y a Loukitc (Florent Chapelière), inspecteur des collèges aussi froussard qu’un caniche; Filippovitch (André Mubarack), Directeur des hôpitaux à l’accent italien et aux cheveux baroques dignes d’un mignon accidenté; et puis Fiodorovich le juge (Mathieu Coblentz) qui parodie à ravir un officier de la Gestapo avec ses anguleux sourcils et sa canne à pommeau métallique. De manière à pousser d’avantage la pantomime, se distingue également le frêle notable Dobtchinski (Florian Westerhoff) : avec sa tête de piaf, ses pommettes rouges et sa voix nasillarde, ce drôle de personnage a l’air tout droit sorti d’un dessin animé!
L’ovation spéciale revient cependant à Dominique Cattani qui interprète magistralement le serviteur Ossip et son maître Khlestakov. L’oeil louche, la gestuelle étourdissante et la diction aussi diabolique que sa barbiche, ce comédien parvient à jouer deux rôles simultanément: manipulant la marionnette de Khlestakov avec une étonnante dextérité, il lui offre sa voix autant que ses pensées. Tour à tour menteur, lubrique ou prétentieux, il roule avec aisance l’ensemble des notables et courtise effrontément toutes les figures du beau sexe.
En attribuant le rôle de Khlestakov à une marionnette de taille humaine, Paula Giusti a fait preuve d’une belle audace. Proche de l’esprit théâtral des bunrakus japonais, cela a certainement nécessité un très grand travail d’adaptation et de synchronisation. Il en résulte une marionnette plus que magnétique qui hypnotise à la fois les spectateurs et fédère toute la troupe de comédiens. En réalité, l’on a rarement vu sur les planches une compagnie aussi symbiotique: non seulement les acteurs sont à l’unisson dans leurs gestes et leurs paroles mais ils animent si bien la figure de Khlestakov qu’ils finissent par lui donner vie. Evoluant dans une sorte de chorégraphie frénétique, ils inondent la scène d’humour, de jacasseries et de crises de panique. Accompagnés en live par le compositeur brésilien Carlos Da Cunha, ils nous offrent également des chants et de superbes tangos argentins (Mille bravos à la féline Sonia Enquin qui joue la femme du Bourgmestre avec une sensualité des plus folles !)
Avec cette version inédite du Révizor, la pièce de Gogol s’approche d’avantage du Grand Guignol que de la tragédie lyrique : le burlesque est poussé à l’excès, les bouffonneries s’enchainent et les mimiques chapliniennes débordent de partout. Cette farce loufoque n’empêche pourtant pas la réflexion, bien au contraire: en regardant ces hauts fonctionnaires se faire tourner en bourrique par un pantin, on finit par se demander qui est manipulé: est-ce le bourgmestre? Ses notables? La marionnette? Ou nous-mêmes? Pour le découvrir, il vous suffit d’aller voir la pièce, et surtout n’oubliez pas d’y emmener vos enfants!
Le Révizor? Une farce superbement chorégraphiée. Un brin excessive mais géniale!
Le Révizor ou l’inspecteur du gouvernement
de Nicolas Gogol
Texte français André Markowicz
mise en scène: Paula Giusti
Avec Dominique Cattani, Florent Chapellière, Larissa Cholomova, Mathieu Coblentz, Sonia Enquin, André Mubarack, Laure Pagès, Florian Westerhoff
Musique et son: Carlos Bernardo Carneiro Da Cunha
– Au Théâtre de la Tempête – La Cartoucherie
Route du Champ de Manoeuvre – Paris 12e
Métro: chateau de Vincennes
Jusqu’au 15 février 2015
Du mardi au samedi à 20h
Le Dimanche à 16h
Tournée 2015 pour le Révizor:
5 mars: L’Archipel de Fouesnant
13 mars: Théâtre des Bergeries – Noisy-le-Sec
21 mars: Théâtre des Sources – Fontenay-aux-Roses
31 mars au 4 avril: Théâtre Romain Rolland de Villejuif
9 avril: Théâtre de Saumur
12 mai: Le Sémaphore – Cébazat
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