Rentrée littéraire : Quid novi sub sole ?

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Par Marc-Emile Baronheid – bscnews.fr/ C’est un bal des débutant(e)s lors duquel il est impératif de ses marcher sur les pieds, de se montrer à tout prix afin de ne pas être le Lewis Hamilton de la compétition. A ce petit jeu, auteurs et éditeurs sont exceptionnellement solidaires, le succès des premiers pouvant affoler le tiroir-caisse des seconds, qui s’empresseront d’y voir la juste récompense de leur investissement désintéressé.

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C’est parfois vrai dans les petites maisons, où la beauté du geste continue d’avoir cours. L’enthousiasme n’est pas nécessairement soluble dans la banqueroute. C’est tout le mal que l’on souhaite à Christophe Lucquin éditeur, lanceur d’alerte : « Je vous promets du miel, je vous promets du caviar, je vous promets un succulent clafoutis aux abricots, je vous promets un savoureux petit vin pour étancher votre envie de légèreté, je vous promets des larmes, je vous promets des rires. Je vous promets de la nouveauté. Je vous promets une identité. Je vous invite à venir partager une certaine sensibilité ». Acte de foi ou rodomontade ? Le lecteur appréciera, avec le premier roman d’Amélie Lucas-Gary, née en 1982. L ’histoire d’un gardien de la grotte préhistorique ornée la plus célèbre du monde. Les visiteurs y laissent leurs miasmes, comme dans un confessionnal. Mais un tour de passe-passe ne suffit pas ici pour purifier l’atmosphère. On interdit l’accès à la grotte. Le gardien devient un Cerbère contemporain et misanthrope, taraudé à l’occasion par l’envie de soumettre l’accès à l’exercice du droit de cuissage. Le projet est plus complexe, qui entrelace le mythe de la caverne, les saillies de Diogène, les nouvelles robinsonnades, les creux et les silences d’un siècle tapageur . Un éloge de la solitude. Un projet ironique et impétueux, du genre à effaroucher les timorés directeurs de collection des officines détentrices autoproclamées du bon goût littéraire.

« Grotte », Amélie Lucas-Gary, Christophe Lucquin Editeur, 15 euros

Le monde de l’hôtellerie et de la restauration se prête admirablement au roman d’apprentissage. Le jeune homme qui, nolens volens, décroche l’emploi convoité de serveur dans un restaurant très chic, pressent immédiatement que tout ne frisera pas l’excellence. Mesquinerie, égoïsme, hypocrisie, abus de faiblesse, cruauté, injustice, humiliation figurent à la carte du Tendre. « Bien sûr qu’il a pensé à se révolter mais c’est plus facile à dire qu’à faire. Et d’abord comment se révolterait-il ? Et pour finir qui l’écouterait ? ». Somme toute, il a débarqué à Lampedusa ; le carrosse de la terre promise devient pire qu’une citrouille. L’hôtellerie tu l’aimes ou tu la quittes, sauf qu’ici nulle fuite n’est possible. Pour peu que l’on montre quelque fragilité, les collègues et autres petits chefs se transforment en chacals, en hyènes. Allégorie de la société, fable de l’acharnement assimilateur et du refus de la différence, ce roman réquisitoire tire sa force d’une sobriété glacée. Il paraît dans « la forêt », collection vouée à la détection de nouveaux talents, qui a notamment permis à Fabio Viscogliosi de faire ses gammes, avant de donner la superbe Apologie du slow.

« La chance que tu as », Denis Michelis, Stock, 17 euros

« Mina entretient sa vulve avec un talent de paysagiste ». Vous l’avez compris d’emblée : nous sommes en présence d’un futur grand des Lettres françaises. Né en 1976, il narre l’éveil de la sexualité chez un garçon élevé à la campagne, où une ferme à l’abandon est devenue discothèque. Le gamin écoute, épie, guette, abusé par une innocence que l’auteur échoue à rendre naturelle. Quand le territoire glauque devient trop petit pour ses fantasmes, il les transporte à Paris et les dilate de plus belle, lâchant la bride à un exhibitionnisme éjaculateur dans la clandestinité des endroits publics. Marceline ? « je la prends more ferrarum à même le parquet ». Le style suit le mouvement, de plus en plus désolant, jusqu’à confondre auréoles et aréoles, une bourde impardonnable quand on se veut obsédé textuel. La chair n’est même pas triste, mais hilare. On aurait aimé aimer cette tentative d’introduire le loup érotique dans la bergerie où rayonne la superbe Maylis de Kerangal, trouver, pourquoi pas, des bribes d’espoir, là où flottent seulement des rogatons pornomorphes indignes de Bérurier. En 1895, Thomas Hardy signait « Jude the Obscure », un titre prémonitoire…

« dancing with myself », Ismaël Jude, Verticales, 16,50 euros

On pourrait craindre la même déconvenue, en ouvrant le roman d’Hedwige Jeanmart (née en 1968) au hasard de la page 198 : « Je sentis son regard adipeux s’accrocher à moi, puis se balader, montant de mes jambes à mes fesses, à mon épaule (je remontai la bretelle de mon bustier), à ma nuque sur laquelle quelques cheveux devaient boucler. Le regard poisseux d’Oscar Meyer ne me lâchait pas, je le sentais collé sur moi comme une glaire ». Apparences trompeuses. Les débuts de cette Belge vivant à Barcelone sont d’une autre tenue, Son écriture ne souffre nul reproche. L’argument est plus discutable, qui repose toutefois sur une ambition plausible. Samuel a disparu. « Il était là et vivait et puis n’était plus là et ne vivait plus. Il est parti sans rien laisser de lui, sinon les clés sur le comptoir, en reprenant le livre qu’il y avait posé ». Pour Eva, il est mort. C’est ce qu’elle raconte, sans réellement les convaincre, aux amis et connaissances. Elle s’immerge dans un deuil dont personne n’a rien à faire. Le récit s’emploie à définir les contours d’une forme de chagrin. Eva raconte son quotidien en une longue litanie, manière d’inventaire à la Prévert, sans la légèreté ni l’ironie du poète. Il y a dans ce livre placé sous le signe de Roberto Bolano des moments prodigieusement ennuyeux, mais on n’est jamais tenté d’en finir prématurément. C’est dire si un ton, une musique, une lueur donnent quelque prix à cette décadence en pente douce.

« Blanès », Hedwige Jeanmart, Gallimard, 18,50 euros

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