Jean Tardieu: vaudevilles miniatures et détournements de langage
Par Florence G. Yérémian – bscnews.fr/ Pour ceux qui ne connaissent pas l’écriture désarticulée de Jean Tardieu, cette sélection de pièces courtes peut être une bonne initiation à son esprit loufoque et poétique. La prose de Tardieu est folle, libre, informelle et elle possède un côté abstrait qui entraine souvent le spectateur dans un univers proche de l’absurde. Par delà tout académisme, il se joue sans cesse de la langue française, la triture et la recompose à sa manière.
Parmi ses multiples comédies, Sophie Accard en a sélectionné cinq. D’une scène de tribunal (De quoi s’agit-il?) à une rencontre amoureuse (Oswald et Zénaide) en passant par une parodie du système administratif (Le Guichet), elle se complait à mettre en scène ces méli-mélo burlesques qui se moquent à tout-va des conventions sociales et de l’amour bourgeois. Au sein de ces joyeuses partitions théâtrales, on se gave ainsi d’imbroglio et de malentendus au rythme de dialogues syncopés, de non-sens et d’amusantes mises en apartés. Le vaudeville miniature « Finissez-vos phrases » désoriente agréablement le spectateur car dans cet échange galant toutes les répliques des comédiens sont volontairement laissées en suspens. Le morceau de bravoure de ce spectacle demeure cependant « Un mot pour l’autre ». Avec cette pièce délirante, Jean Tardieu compose une véritable glossolalie: les propos de ses protagonistes sont si incohérents qu’on se demande s’ils ne sont pas soudainement atteints d’un trouble linguistique! Les mots se substituent aux autres, les verbes s’emmêlent, les phrases s’égarent et pourtant le public se rend compte qu’il comprend parfaitement toute l’intrigue de cette sérénade uniquement grâce aux gestes et aux intonations des comédiens!
Pas de doute: Tardieu est un magicien du langage et ses textes sont de superbes exercices de style pour les acteurs car ils leur permettent toutes les audaces en les invitant à la composition. Les quatre compères de la Compagnie C’est pas du jeu l’ont bien compris et ils relèvent le défi haut la main. A travers ce florilège de mécaniques théâtrales, cette joyeuse troupe d’hurluberlus se gargarise de néologismes, malmène à coeur-joie les substantifs et nous donnent l’impression d’avoir fait ses classes dans le chapeau du « Prince de Motordu ». Grace à la mise en scène enjouée de Sophie Accard, ils se transforment à tour de rôle en paysans, juges ou prêtres, et n’hésitent pas à incarner des prestidigitateurs armés de baguettes magiques à chacun des intermèdes du spectacle. L’énergie et l’autodérision de Tchavdar Pentchev sont des plus communicantes : sa scène en culotte et queue-de-pie confirme de toute évidence que cet artiste n’a pas froid aux yeux (ni ailleurs…). Il en va de même pour la prestation hilarante de Léonard Prain déguisé en soubrette effarouchée: voir ce grand échalas courir d’un côté à l’autre de la scène en se dandinant et en jouant du plumeau est un moment savoureux!
Amateurs de bouffonneries, de nez rouges et de pantomimes, ces piécettes sont faites pour vous. Si par dessus le marché les détournements de langage ne vous effraient … Allez-… Vous ne serez pas … !
De quoi parlez-vous
De Jean Tardieu
Mise en scène Sophie Accard
Avec Sophie Accard, Anaïs Merienne, Léonard Prain et Tchavdar Pentchev
Lumière: Florent Barnaud
– Au Lucernaire jusqu’au 8 novembre 2014
53, rue Notre Dame des Champs – Paris 6e
www.lucernaire.fr
Réservation; 0145445734
– A la Manufacture des Abbesses du 16 Novembre au 30 décembre 2014
7, rue Véron – Paris 18e
Métro Abbesses ou Blanche ( Réservations: 0142334203)
Les lundis, mardis et mercredis à 21h
Le dimanche à 20h
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