J’ai tout : séquestration mentale et dialogue de sourd

par
Partagez l'article !

Par Elodie Cabrera – bscnews.fr/ Des pas résonnent dans le noir et martèlent le sol. Un homme émerge dans la lumière, les nerfs à vif. Il est l’arrogance incarnée, la réussite sociale, l’intouchable, l’homme en costume trois-pièces avec sa parfaite cravate et ses gestes de PDG sous perfusion de café. « J’ai tout », clame-t-il, « j’ai tout, et toi tu n’es rien ». Il est seul en scène mais converse avec un autre, minable et invisible, qu’il s’acharne à rabaisser. La toute puissance, c’est lui. Le reste n’est que vermine condamnée à assister à son ascension fulgurante.

Partagez l'article !

Le texte de Thierry Illouz sert un monologue dramatique où la folie tient le premier rôle. Et le comédien Christophe Lappara excelle dans l’exercice. Chacun de ses gestes transpire la démence. Agressif, il tremble comme un cocaïnomane qui n’aurait pas sniffé son troisième gramme de la journée. Ses mains se crispent et se relâchent, compriment sa tête comme pour faire taire des voix démoniaques, et de temps à autre, un rire s’échappe de sa gorge aussi glaçant qu’un fou interné dans un asile. Il pète littéralement les plombs à l’instar des lampes néon, sobre décor atteint de soubresauts électriques, qui grésillent.

« J’ai tout » est un discours psychotique sur la dualité mentale d’un être en perte de lui-même. L’échappé du bocal, s’il se compare à un astre, au ciel, à dieu, dissimule en vérité une détresse abyssale. Ivre d’ire, il erre dans une gare après avoir perdu sa promise, son boulot et sa dignité. Ce mec prêt à tout flinguer, tout dézinguer, n’est qu’un chiot apeuré. Il dit tout avoir mais ne possède plus rien car l’autre, minable et invisible, c’est lui.

On a la désagréable sensation d’assister à une très bonne scène de film qui tourne en boucle. Lorsque le climax est permanent, il en devienne monotone. Par manque de rythme, la pièce s’essouffle, la folie se dissipe et laisse place à l’ennui. Jusqu’à la dernière réplique, le personnage défie son double absent qui, dans un énième et ultime baroud d’honneur, délivre son esprit séquestré en pressant la gâchette. Le suicide d’un dialogue de sourd.

J’ai tout : un spectacle du Théâtre de Paille

Mise en scène et Interprétation: Christophe Laparra – Artiste associé à La Comédie de Picardie – scène conventionnée – Amiens

Direction d’acteur: Marie Ballet

Lumière : Bruno Bescheron

Création sonore : Jean-Kristoff Camps

Costume : Dulcie Best

Objet scènographique : Céline Larvor

Au théâtre de Belleville ( Métro Goncourt L.11 / Belleville L.11 et L.2 )

Du 11 au 20 septembre 2014

Du jeudi au samedi à 19h15

A lire aussi:

Les Cartes du Pouvoir? Une primaire théâtrale!

La Tempête? Il est temps d’initier vos enfants à Shakespeare !

Lettre à France : le Seul en scène de Réda Seddiki

Les nombrils : les élucubrations amusantes d’une troupe de comédiens râtés

Simon Labrosse : 2 jours de trop ?

Laissez votre commentaire

Il vous reste

0 article à lire

M'abonner à