Lire est le propre de l’homme

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Par Marc Emile Baronheid – bscnews.fr/ L’auteur, l’éditeur, le chroniqueur sont trois chaînons essentiels du parcours entre le livre et son lecteur. Les voici sous le feu des projecteurs.

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Larbaud ou Bradbury ? L’un faisait l’éloge de la lecture, l’autre rêvait que des pompiers allaient brûler tous les livres. A en croire l’agressivité de son entrée en matière, le jeune (22 ans) Pierre Ménard serait résolument du côté de Fahrenheit 451. Tout au long d’une démonstration articulée en 20 chapitres maniant l’outrance calculée et affichant une information littéraire déjà fournie, Ménard (un nom difficile à porter, par les temps qui courent) tente de se faire les dents sur la lecture, cause de tous les maux. Vous voulez finir à l’asile comme Nerval, rejoindre les lecteurs que Goethe a poussés au suicide, devenir la « vieille juive fardée » que Claudel voyait en Proust, « brouter la poussière des ennuyeux ouvrages de votre bibliothèque », participer à la déforestation planétaire ? Rien de plus simple : lisez, euthanasiez-vous socialement, sentimentalement, économiquement. Et qui voudrait de quelqu’un qui squatte perpétuellement les cabinets au motif que c’est l’endroit rêvé pour entrer en communion avec Amélie Nothomb ? Existe-t-il un antidote à la lecture comme le plus funeste des pousse-au-célibat ? Peut-être le dicton « Femme qui lit est à moitié dans ton lit »

Don Quichotte ou Oncle Picsou ? L’éditeur n’est pas seulement quelqu’un qui mise sur un auteur en espérant décrocher la timbale. La corporation s’honore de découvreurs, de partenaires enthousiastes, de beaux esprits, de viveurs, de dandys, de jansénistes. Un fort volume retrace le parcours de treize de ces merveilleux fous éditant avec leur drôle de tiroir-caisse. Ils ont en commun d’avoir vécu un moment de grâce de l’édition, au tournant des années 1960. Est-ce pour cela seulement que l’on n’y trouve nulle trace d’un Hubert Nyssen, ou parce que l’auteur est empêtré dans les filets germanopratins, notamment lorsqu’il emboîte le pas au Milieu, pour évoquer Robert Laffont. Un Laffont regardé avec condescendance et frappé d’une épitaphe du même tonneau : « Plus que la bonne littérature, ce qui aura singularisé la politique éditoriale de Robert Laffont aura été la quête du bonheur de lire et de le faire partager au plus grand nombre ». Mais comment devient-on un bon éditeur ? Il faut de la curiosité, de la chance, de l’audace, de la ténacité, de la passion, du calcul, du respect, de l’exigence, de l’humilité, de l’indépendance, de l’entregent, de l’autorité, de la diplomatie, parfois le sens de l’intrigue, de la conspiration, l’art de connaître le juste prix d’un homme ou le point d’ébullition de son ego. De Christian Bourgois à Françoise Verny, des accoucheurs dont beaucoup sont « autodidactes aux itinéraires sinueux ». Sacrebleu, des autodidactes, ces Brasse-Bouillon des limbes académiques ! On veut croire que l’auteur de ce passionnant document – dont la longue litanie de notes évoque un thésard psychorigide – ne leur préfère pas les itinéraires sirupeux, si commodes dans son monde aux manchettes de lustrine.

Un goguenard déterminé
Dans sa préface à la première édition (1998) des chroniques littéraires les plus coruscantes de Renaud Matignon, Jacques Laurent le regardait comme « Un garçon très sympathique et qui l’est resté toute sa vie, chose rare ». Gageons que les Sollers, Hallier et autres bénéficiaires de ses sarcasmes étaient d’un autre avis. Même en ayant lu Dale Carnegie, il est difficile d’arbitrer les élégances littéraires et de ne compter que des amis. Ce serait inquiétant. Epris de liberté de blâmer, Matignon se ralliait plutôt à l’étendard de Beaumarchais. Le grand amateur de Blondin ou Aymé était prompt à dégainer un humour meurtrier, sitôt qu’il débusquait un maladroit, un faiseur, une baudruche. La table des matières est une invitation au voyage à laquelle il serait inopportun de résister. Personne ne partagera l’ensemble de ses dilections, ni ne cautionnera tous ses dynamitages. Mais lorsqu’un soufflet est donné avec talent, quand un hommage porte la livrée de l’admiration, on oublie pour un temps que l’engagement philosophique de leur auteur n’est pas nécessairement le nôtre. Quitte à faire ensuite la part des choses, un exercice de salubrité dont on donne crédit à Matignon. Il n’y a rien d’illogique dans la juxtaposition des affinités électives et des exécutions sardoniques. « Claude Mauriac est écrivain héréditaire. Conscient très tôt du privilège qui fut le sien d’avoir pour père François Mauriac, fasciné par lui et submergé par le tourbillon de talents et d’intelligences qui ont fait cortège à sa propre jeunesse, il s’est résolu à être fils comme d’autres décident qu’ils seront aviateurs ». Matignon n’a croisé ni Angot, ni Houellebecq. Il a juste eu le temps d’assaisonner Djian et de cataloguer l’ineffable Nabe « Enterré sous les oripeaux d’un Artaud pour jeux télévisés et d’un Rimbaud de snack-bar M. Nabe y a cru ». Un cocktail pour l’éternité de l’été.

« 20 bonnes raisons d’arrêter de lire », Pierre Ménard, Cherche Midi, 12 euros

« Les hommes de l’ombre – portraits d’éditeurs », François Dosse, Perrin, 25 euros, notes, index

« La liberté de blâmer… – Quarante ans de critique littéraire », Renaud Matignon ; préface de Jacques Laurent ; introduction d’Etienne de Montéty, Bartillat, 18 euros

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