Sortie d’Usine : un habile manifeste sur la culture ouvrière
Par Florence G.Yérémian – bscnews.fr / Au milieu des fantômes de Karl Marx, Jaurès ou Léon Blum, stagne le vaillant Gilbert Simoneau avec son bleu de travail. Chaque nuit en s’endormant il mène sa lutte finale et se révolte silencieusement contre le patronat. Durant la journée il ne peut pas le faire car, tout simplement : il travaille à l’usine…
Son quotidien n’est pas bien complexe: réveil à 4h, 7km de route jusqu’aux hangars de « Vaillancourt Chimie Industrie » et c’est parti pour huit heures de prison enfermé dans l’Atelier N°13. Simoneau est soudeur au sein d’une immense usine de pétrochimie. Entouré d’un ajusteur, d’un tourneur et de centaines d’autres camarades, il collabore inlassablement à la fabrication de pesticides, d’engrais et de médicaments, tout dans le même sac pour le plus grand bénéfice du patron.
Pause syndicale: la pièce s’arrête un instant.
L’acteur Nicolas Bonneau quitte son monologue et devient soudain narrateur. Assis sous un néon à bascule, il nous confie en aparté l’enquête véritable qu’il a menée auprès des ouvriers du Poitou-Charentes. Le sourire complice, il explique au public cette quête personnelle de la culture ouvrière qui l’a embrasé pendant des mois. Au fil de ses rencontres avec des dizaines de travailleurs, il a fait ressurgir du passé des récits trop longtemps abandonnés aux sorties des anciennes usines. Ce sont ces témoignages puisés dans une autre réalité sociale qui font le ciment de sa pièce.
À tour de rôle, Nicolas Bonneau y incarne le soudeur, sa femme, le journaliste ou le délégué syndical. À travers cette amusante galerie de portraits, il diffuse un texte révolté, moqueur mais surtout très lucide. Son débit de paroles est vif, incisif, forgé d’images fortes et de bruits assourdissants. Lorsqu’il nous décrit l’usine, on entend le martèlement des machines, on sent les relents nocifs des produits chimiques et l’on a presque de la poussière de chrome qui vient nous piquer les yeux.
Tel un professeur issu du monde rural, cet interprète déblatère magistralement son cours : il cherche à convaincre le public de la dérive du monde industriel mais il insiste également sur la fierté des ouvriers d’antan. Avec un soupçon d’amertume, il fait l’éloge de ces hommes ordinaires qui attribuaient une réelle importance à leur labeur. Il a fallu que l’industrialisation fasse des siennes pour que les employés soient aliénés à leur poste, pour que le patronat se mette à penser uniquement en termes de rendement, pour que les délocalisations se multiplient et que la France s’écroule sous les licenciements de masse… Place à la crise ! Place aux crises : crise économique, crise d’arthrite, crise de larmes… L’usine est insidieusement devenue un crematorium consumant ses salariés à petit feu : doigts broyés, jets d’acide, traces d’amiante… mais tout cela n’est rien comparé à la pression psychologique qui s’est progressivement développée à cause du travail à la chaine : en devenant un élément insignifiant de cette chaine de production, l’ouvrier a perdu tout respect envers sa profession, il s’est transformé en un technicien lambda. L’usine c’est la mort !! Voilà pourquoi tant de grèves sont lancées. Voilà pourquoi les bistrots sont sans cesse assiégés. Voilà pourquoi les tracs de la CGT ou la CFDT fleurissent encore à chaque saison…
Le manifeste de Nicolas Bonneau est intelligent et sincère. En tant que fils d’ouvrier, il sait de quoi il parle et le fait avec élégance pour rendre un hommage mérité à son propre père. Sa défense de la classe ouvrière est non seulement pétrie de tendresse mais elle parvient à redonner une certaine noblesse au statut d’ouvrier qui ne veut, hélas, plus rien dire de nos jours. Même si le militantisme de ce comédien dérape parfois vers d’autres causes comme la critique du racisme ou la nostalgie du petit artisan, il retombe toujours sur son questionnement initial: qu’est-ce qu’un ouvrier ? La réponse est simple: quelqu’un qui a un morceau d’usine planté dans le cœur.
Sortie d’Usine ? Une pièce partisane et un acteur humaniste à découvrir.
Sortie d’usine: récits du monde ouvrier
Conçu et interprété par Nicolas Bonneau
Mise en scène : Anne Marcel
Le Grand Parquet
Jardins d’Eole – 35, rue d’Aubervilliers – Paris 18e
M° Stalingrad, Riquet
Jusqu’au 18 mai 2014
Jeudi, vendredi et samedi à 20h
Dimanche à 15h
Relâche le 17 mai
Réservation: 0140050150
www.legrandparquet.net
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