Damien Luce et les messages d’une naufragée

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Par Félix Brun – bscnews.fr/ Avec pour toile de fond, la fin de la première guerre mondiale, Claude-Emma Debussy, la jeune enfant du célèbre compositeur, âgée de douze ans, témoigne à travers son journal intime, de la disparition de son père, de la société du début du XXème siècle et de son passage de l’enfance à l’adolescence. Claude Debussy l’appelait « Chouchou », elle qui possédait « le prénom de quelqu’un dont les parents n’avaient pas réussi à s’entendre. » En hommage à son père, elle fait le serment de déchiffrer l’œuvre de celui-ci : « je signe ce pacte avec moi-même : chaque semaine, je jouerai un morceau de « Claude Debussy ». Ce sera ma façon de fleurir sa mémoire, de le démourir. Je retracerai sa vie pas à pas, note à note. » Candide et gamine, Chouchou livre ses émotions dans la tristesse de la disparition paternelle et de son chien Xantho : « J’ai profité de la solitude pour vider ma provision de larmes. Il y en avait moins que pour Xantho.Ca m’a fait honte. J’aurai voulu pleurer davantage mon père que mon chien. La douleur ne doit pas se mesurer avec les larmes. Finalement, cette eau-là n’est pas très propre. Elle lave indifféremment toutes les blessures : la mort d’un papa, une chute à bicyclette, une rage de dents…les larmes ne sont pas si précieuses qu’on le dit, puisqu’elles viennent en toute circonstance. C’est une sorte de couteau suisse de nos peines. »
Espiègle et effrontée quelquefois, elle surnomme son professeur de musique « vieille loutre » et, lors de son entrée au lycée, constate que « la directrice a quitté l’habit courtois qu’elle portait devant maman, pour revêtir sa peau de vache. ». L’écriture représente pour Chouchou l’expression de la liberté, de la poésie : « je garderai la plume pour mon journal. C’est tellement plus poétique de puiser ses mots dans un encrier. Parfois, je le regarde en me disant que dans ce puits d’eau violette, il y a peut-être un chef d’œuvre. J’aime aussi voir l’encre s’estomper petit à petit sur la page. Ecrire est comme une respiration .La plume respire une gorgée d’encre, et parle sur le papier. »
Chouchou s’éprend de Marius, le garçon avec qui elle partage ses vacances d’été à Saint Jean de Luz : « Pour moi l’amour, c’est comme une bougie. Ca vous réchauffe, ça vous brûle parfois, mais si l’on ne prend pas garde, toute la cire fond et la flamme risque de s’éteindre. Alors il faut allumer une nouvelle bougie avec celle qui est sur le point de mourir. » Avec désinvolture, elle apprend la vie, « devient femme » et l’aborde avec frivolité : « la mort est infréquentable ». « Les adultes vivent entre les murs. C’est sans doute ce qui les rend si sérieux. On ne peut pas être insouciant quand il n’y a pas d’horizon. » Folâtre et enjouée, Chouchou étreint le temps présent : « C’est un crime de ne pas mordre dans chaque tranche de printemps qui nous est offerte. »
L’épidémie de diphtérie se propage et Chouchou va lentement et irrémédiablement être emportée, elle qui a une relation particulière avec Dieu : « J’ai attendu la foi comme on attend un train. Elle n’est jamais venue. D’ailleurs, je trouve stupide de monter dans un train dont on ne connait pas le terminus. » Dans le journal de Chouchou, Xantho est un naufragé imaginaire qui lui ressemble étrangement : « Xantho est sur son radeau, perdu au milieu de l’océan. Balloté par les flots, il écrit laborieusement son message de détresse. Il signe, place le message dans une bouteille, qu’il ferme avec un bouchon fabriqué dans le bois de son radeau. Mais au lieu de lancer la bouteille par-dessus-bord, il la laisse sur le radeau, et plonge dans l’océan. »
Damien Luce a imaginé le journal de Claude-Emma Debussy, et nous y invite dans un livre d’émotion, de poésie, d’optimisme, de réflexion et de drame. L’écriture est agréable, limpide et sans fioritures. Ce jeune auteur multicarte est à la fois compositeur, pianiste, dramaturge, comédien et romancier ; Dans « La Fille de Debussy » ne se définit-il pas dans cette recommandation ? « Ne laisse personne t’interdire d’être plurielle. Tu rencontreras souvent ces trouble-fête, te soutenant qu’il est impossible de mener à bien plusieurs choses. Ce sont de tristes ignares. Un être humain doit vivre dans toutes les pièces de sa maison intérieure. La plupart des gens en choisissent une, et laissent les autres pièces à l’abandon, fermées à clefs, avec des draps sur tous les meubles. »

Titre : La Fille de Debussy
Auteur : Damien Luce
Editions : Héloîse d’Ormesson

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