Antigone, Anouilh, Marc Paquien et la Comédie-Française : une tragédie parfaitement » propre »
Par Julie Cadilhac –bscnews.fr/ Bouleversante Antigone à laquelle Anouilh a offert une pièce au message si universel! Sublime pièce qui a su se réapproprier un mythe pour le faire résonner plus justement à nos oreilles contemporaines! Jouant avec les caractéristiques de la tragédie antique, le dramaturge fait débuter la pièce par un prologue dans lequel tout est révélé à l’avance.
Si nos habitudes de spectateurs contemporains peuvent se sentir heurtées, cela n’aurait pas embarrassé un spectateur de la Grèce Antique car les histoires représentées étaient connues de tous ( reprises d’épisodes militaires de l’histoire, mythes…) et la surprise naissait davantage de la forme que du fond. Cette entrée de matière jouissive, suivie d’une autre intervention du Chœur au moment où le nœud est bien serré, est une provocation qui laisse sans doute entendre que l’heure est à la réflexion, à l’esprit critique et qu’on ne nous invite pas seulement à écouter passivement une histoire.
Antigone, c’est le récit d’une jeune femme qui refuse les compromissions, une adulte emprisonnée dans un corps d’enfant et qui refuse de grandir tant vieillir lui semble synonyme de laideur et de mensonge. C’est un personnage passionnant , somme complexe de paradoxes désarmants: face au vieux roi Créon, elle s’indigne car l’on ne respecte pas les traditions ancestrales, qu’on ne fait pas passer la piété et la famille avant la raison d’état et la logique…Pourtant elle est jeune et devrait négliger ces rites obsolètes….pourtant ses frères sont des voyous et elle l’admet et elle aime si fort Hémon…..mais elle fonce tête baissée vers la mort parce que l’histoire est gravée ainsi et qu’il ne faut pas aller à l’encontre du destin de sa famille maudite par les dieux. Antigone utilise le non-ensevelissement de son frère comme prétexte : dire oui à Créon, à Hémon, à la vie, c’est renoncer à l’étourdissement de la passion qui finira par se faner et à la foi en ses actions pour embrasser la monotonie, les protocoles et les bienséances. Ou est-ce plutôt de l’orgueil, ce fameux » orgueil d’Oedipe » qui insupporte Créon de par son acharnement masochiste à s’entêter dans le malheur? Oui, pourquoi Antigone court-elle à la mort? Pourquoi ne sait-elle plus pourquoi elle meurt lorsqu’elle se retrouve en tête à tête avec le garde? Cette pièce nous ouvre des pistes de réflexion sur les conflits inter-générationnels et la question de l’engagement et des convictions, surtout dans le domaine politique. Antigone s’insurge contre l’inflexibilité de Créon vis à vis du cadavre de Polynice…mais qu’attend-elle de l’autorité de cet État monarchique? Pense-t-elle que les actes individuels ne doivent pas être contrôlés par un pouvoir quelconque? Prône-t-elle l’anarchie? Et d’un autre côté, dans quelle mesure l’Etat a-t-il le droit de limiter les libertés individuelles?
Dans la mise en scène de Marc Paquien, Françoise Gillard incarne une Antigone toute petite et toute frêle, à la volonté de fer et à la voix de crécelle fluette, qui émeut à chaque respiration et offre ainsi aux spectateurs, face à Bruno Raffaeli, gigantesque Créon, une confrontation mémorable. Les différentes étapes de la tentative du roi pour convaincre Antigone de ne pas s’obstiner dans sa décision y sont très lisibles: la compréhension et la douceur, l’intimidation par la force physique, le chantage affectif ou encore les explications imparables sont autant de rendez-vous scéniques savamment orchestrés par Marc Paquien. On applaudira également Nicolas Lormeau qui incarne avec une grande justesse le garde : les deux pieds bien ancrés sur le sol, il tranche par sa trivialité et son animalité avec cette petite Antigone à l’humanité chevillée à l’âme. Pierre Hancisse est de son côté un Hémon fort attendrissant, Claire de la Rüe du Can, en Ismène , convainc moins et apparaît comme une poupée criarde qui n’a aucune nécessité narrative (mais c’est aussi son rôle d’être celle qui est condamnée à être une figurante dans sa propre famille) ….On s’étonnera simplement du jeu détonant et irrégulier de Clotilde de Bayser qui sert un prologue passable où le texte est déblatéré comme à une -mauvaise- première audition et se rattrape en deuxième partie en contenant un peu son jeu en rodomontades.
Un très beau moment de théâtre cependant dont il ne faut surtout pas se passer!
« C’est propre, la tragédie. C’est reposant, c’est sûr…Dans le drame, avec ces traîtres, avec ces méchants acharnés, cette innocence persécutée, ces vengeurs, ces terre-neuve, ces lueurs d’espoir, cela devient épouvantable de mourir, comme un accident. On aurait peut-être pu se sauver, le bon jeune homme aurait peut-être pu arriver à temps avec les gendarmes. Dans la tragédie on est tranquille. »
Antigone
Pièce en un acte de Jean Anouilh
Mise en scène: Marc Paquien
Avec la troupe de la Comédie Française : Veronique Vella, Bruno Raffaeli, Françoise Gillard, Clotilde de Bayser, Nicolas Lormeau, Benjamin Jungers, Pierre Hancisse, Claire de la Rüe, Laurent Cogez, Carine Goron, Lucas Hérault.
Durée du spectacle : 1h45
Dates de représentation:
– Du 14 septembre 2012 au 25 octobre 2012 au Théâtre du Vieux-Colombier
– Les 8 et 9 avril 2014 au Théâtre Bernadette Lafont ( Nîmes)
– Les 17 et 18 avril 2014 à 20h au Théâtre de Béziers ( Sortie Ouest)
A lire aussi:
Echec à Tartuffe, ce psychopathe !
Philippe Torreton : un Cyrano qui monte bien haut
Le dernier jour du jeûne : une tragi-comédie à l’antique bercée par le chant des cigales
Le début de quelque chose : camps de concentration du bonheur et autres Club Med
Histoire d’amour : Sur les planches, l’amour et la violence s’affrontent en bulles