Dom Juan d’Arnaud Denis ? Un délice baroque à se damner !
Par Florence Gopikian Yérémian – bscnews.fr/ Est-il encore besoin de présenter Dom Juan? Etre sans foi ni loi, jouisseur de chaque instant, il incarne à lui seul la figure du libertin sensuel et destructeur. En choisissant de le mettre en scène, le talentueux Arnaud Denis nous offre une œuvre d’une irrésistible insolence et d’une fine perversité.
S’accaparant avec une évidence désarmante les traits de ce séducteur, il apparait sur les planches en bas de soie, le teint poudré et l’œil impétueux de désir. La philosophie amoureuse de ce pourceau d’Epicure est fort simple: la constance le repousse, la morale l’exaspère et seuls comptent à ses yeux la quête du plaisir et la manipulation perfide de ses semblables. Epouseur de toutes mains, il est prêt à ramper devant une paysanne, à courtiser une nonne à l’ombre d’un cloître ou à jurer fidélité à une jeune épousée. Son audace est si excessive que cette créature méprisable finit par fasciner l’ensemble des êtres qui l’entourent. Et pourtant Dom Juan se moque de tout: de ses semblables autant que des remontrances de son pauvre père, sans parler du Ciel qu’il toise effrontément. Rien n’est assez vil pour combler la vacuité de son existence et il est même prêt à rentrer dans les ordres pour y assouvir cyniquement ses pulsions de luxure !
Faux dévot, hypocrite et divinement jouisseur, tel est le portrait que brosse et personnifie Arnaud Denis durant plus de deux heures de grand théâtre. A genoux sur son prie-Dieu, il y trousse l’ingénue autant que la courtisane et diffuse dans l’assistance son si séduisant venin. La scène du festin aux chandelles où il s’étend à demi-nu sur une table entouré de convives aux masques vénitiens est d’un érotisme sublime. Ardant, vif, transporté, lubrique, l’acteur se délecte à jouer les Sardanapale et possède une telle aisance scénique que c’est à se demander si Arnaud Denis ne nous dévoilerait pas finalement sa vraie nature…
A ses côtés, la figure quasi paternelle de Jean-Pierre Leroux est un parfait contrepoint. Par le truchement de son âge mur et de son ample voix, ce comédien confère une très forte présence au personnage habituellement secondaire de Sganarelle. Il lui fait toujours endosser le rôle du zélé serviteur, aussi poltron que superstitieux, mais il parvient à le gratifier d’une certaine sagesse et d’une intelligence émouvante. On adore le voir marmonner sous son nez contre les folies de son infâme seigneur, cependant on prend aussi le temps de l’écouter lorsqu’à la lueur du feu, il nous offre ses réflexions sur les croyances humaines et le cours de l’existence. Ce dialogue complice entre maitre et valet est un petit moment de grâce dans le formidable chaos qui ébranle toute la pièce.
Parmi les autres Compagnons de la Chimère entourant ce très beau duo, citons la douce Julie Boilot (Mathurine), le cocasse Stéphane Peyran qui s’accapare les traits d’un paysan de pure souche, sans parler de la mutine Eloïse Auria (Charlotte) : petit bouchon en pamoison, elle parvient à charmer le public par sa verve aussi brute qu’aguichante. Le personnage de Done Elvire (Alexandra Lemasson) est par contre en décalage total avec l’ensemble de la troupe : sa diction est froide, sans émotion aucune alors qu’elle devrait se pâmer d’amour ou gémir de douleur face à son terrible amant. Cette prestation trop feinte est incompréhensible mais c’est la seule fausse note de cette brillante mise en scène qui excelle vraiment à tous les niveaux : les musiques sont envoûtantes, les costumes d’un raffinement mirifique, quant au décor, fait d’arcades et de projections, il nous transporte à travers les mille et trois péripéties de cet incorrigible Don Giovanni. On est happé du début à la fin, on succombe face au despote et l’on en vient même à regretter sa mort… Si, si …
DOM JUAN de Molière
Mise en scène : Arnaud Denis
Avec : Arnaud Denis, Jean-Pierre Leroux, Alexandra Lemasson, Vincent Grass, Eloïse Auria, Jonathan Bizet, Julie Boilot, Loïc Bon, Gil Geisweiller, Stéphanie Peyran
Costumes: Virginie Houdinière
– Au Théâtre 14
20 avenue Marc Sangnier – Paris 14e
Métro Porte de Vanves – Bus 58 et 95
Jusqu’au 26 avril 2014
Réservations: 0145454977
– Le Dimanche 25 janvier 2015 au Théâtre de l’Ouest Parisien
1, place Bernard Palissy
92100 Boulogne Billancourt
Réservations: 0146036044
www.top-bb.fr
Crédit-photo: Lot
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