Le début de quelque chose : camps de concentration du bonheur et autres Club Med
Par Elodie Cabrera – bscnews.fr/ Présenté à Avignon en 2013, « Le début de quelque chose » de Myriam Marzouki met en scène l’étrange roman éponyme d’Hugues Jallon. Décor aseptisé et jeu forcé, cette adaptation peine à proposer une relecture convaincante.
La scène est recouverte d’un lineau blanc brillant, des vacanciers arborent shorts et polos blancs, se délassent sur des transats blancs et discourent sur la pureté d’un tel paradis. Lequel ? Un centre de loisirs pour citadins névrosés qui y viennent décharger leur stress pour faire le plein de vide. Les températures sont idéales et ne retombent jamais, le service impeccable, les activités en nombre et variées, bref, pas un nuage à l’horizon.
Ce lieu sans nom et sans couleur, si paisible d’apparence, est en réalité un laboratoire à ciel ouvert, une sorte de camp de concentration du bonheur où deux observateurs notent les moindres faits et gestes de leurs cobayes en maillot de bain. À chacune de leurs entrées, deux écrans convexes affichent les images d’un bord de mer, telles des caméras de surveillance, et les scientifiques (Charline Grand et Christophe Brault) commentent : « Ils sont contents, regardez comme leurs yeux s’éclairent, ça se passe bien, c’est idéal […] la peau respire, mais leur mental surtout, il y a des signes déjà, mouvements de paupières, position des jambes, soupirs, cette manière de se recentrer si vite. »
Lentement, trop lentement, le bonheur apparent est chassé par une angoisse sous-jacente. Chez la dizaine de vacanciers s’opère une déshumanisation programmée, les échanges sont aussi creux que leur appétit pour la vie. Bientôt, ils « sont de plus en plus nombreux » à venir de toute part, s’inquiète le duo aux manettes. Ils sont désemparés et dépassés par ces familles entières qui affluent à la recherche d’un oasis de répit.
La nourriture manque, l’obscurité gagne du terrain, l’organisme s’éteint à grand renfort de somnifères. Cette lente agonie du tourisme de masse, décrit par Hugues Jallon dans son œuvre, est ici représentée par les corps des comédiens plaqués contre les écrans, devenus paravents de néons. Ils s’affaissent pendant plusieurs minutes comme le spectateur dans sa chaise tandis qu’une voix off récite mot pour mot le texte de Jallon.
Suicide en espadrilles
Trop plaquée, pas assez interprétée, c’est la critique essentielle que l’on peut faire à cette pièce qui laisse la sensation de longs monologues successifs. Malgré les quelques saynètes ajoutées par Myriam Marzouki, on s’ennuie vite sans parvenir à s’extraire de cette léthargie. Charline Grand est la seule à véritablement emporter le public grâce à sa voix grave, sensuelle et vibrante. Les autres, comédiens amateurs pour la plupart, y mettent du cœur sans conforter leur jeu. Dans l’ouvrage, les personnages sont eux aussi désincarnés afin de refléter un bataillon en quête de bronzette mais, sur les planches, tout s’évapore. La mise en scène souffre du même mal, s’appuyant trop sur les écrits sans en réinventer l’univers et nous proposer une relecture convaincante.
La représentation s’achève avec des projections visuelles saccadées, proche de l’épilepsie, et l’ultime tirade de Charline Grand. Avec folie, elle décrit les survivants qui s’extirpent de leur refuge, traversent les herbes hautes pour finalement assister au triste spectacle « des bêtes se diriger vers les falaises ». Ce passage, où des hordes de sangliers se suicident, ouvre et clôt le livre comme la pièce. À l’image d’une parenthèse, elle enferme la bestialité des pratiques touristiques et condamne les hommes qui se ruent dans les clubs de vacances comme des troupeaux quittant un enclos pour un autre. Chez Hugues Jallon, les bêtes nous fauchent au passage ; avec Myriam Marzouki, elles nous frôlent à peine.
Dates de représentation:
– Les Jeudi 27 mars à 19h30 et vendredi 28 mars à 20h30 au Théâtre du fil de l’eau, 20 rue Delizy,93500 Pantin
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