Pantagruel : la vitalité de la langue rabelaisienne mise à l’honneur par Benjamin Lazar et Olivier Martin-Salvan
Par Julie Cadilhac – bscnews.fr/ Quel amoureux de la langue française n’est jamais tombé sous le charme de la langue généreuse, profondément humaniste et haute en couleurs de François Rabelais? Ce verbe joueur aux rugosités archaïques et au souffle moderne, étonnamment capable de basculer du scabreux au merveilleux?
Sachez d’abord que dans ce Pantagruel, on entend le texte en langue originale, sans transformation ni modernisation, et que ce travail aussi délicat que burlesque réussit à offrir autant de minutes d’enchantement que de franche rigolade! Olivier Martin-Salvan y incarne, avec une faconde et une aisance flamboyantes, tout à la fois le père Gargantua – qui ne sait s’il faut rire ou pleurer le jour où la naissance de son fils accompagne le décès en couches de son épouse – , Pantagruel bébé poupard puis étudiant à l’appétit furieux – que ce soit de victuailles ou de connaissances! – , Panurge mais aussi Alcofrybas Nasier, le narrateur des aventures de ce jeune géant, qui l’accompagne dans ses voyages et aura même l’occasion de découvrir le monde foisonnant qui vit dans ses entrailles et sa gorge.
Un acteur-clown lyrique surdoué, dirigé par un maître de l’art baroque, au service d’une langue farouchement libertaire et tonitruante, voilà le mets délectable qui est servi au public! En orfèvre soucieux de perfection, Benjamin Lazar y ajoute les notes complices de quelques instruments du XVI ème siècle , des costumes à la beauté brute et quelques éléments décoratifs superbes. Cette composition théâtrale a un je ne sais quoi de magique ; la puissance du verbe de Rabelais s’associe en effet à une atmosphère de clair-obscur moyen-âgeuse imaginée par Pierre Peyronnet où les visages sont parfois rehaussés d’une loupiote de lumière qui leur donne des airs inquiétants, la scénographie veut donner l’impression aux spectateurs qu’il est confronté à la langue elle-même, à ses obscurités et ses souterrains, et rend compte aussi, avec autant d’habilté que de simplicité, du jeu des échelles. Les costumes, enfin, sont également d’une grande pertinence et teintées d’onirisme : constitués de matériaux bruts ( crin, paille, fourrure…), ils semblent surgir d’un carnaval populaire ancestral. Sur le corps trapu, poilu et vigoureux d’Olivier Martin-Salvan, ils achèvent de contribuer à la représentation du « corps-monde » des géants.
Quelques scènes mémorables à citer? L’immense bibliothèque qui paraît minuscule à Pantagruel et dont il s’empiffre littéralement; chaque livre s’avérant un mets plus ou moins digeste dont les effets secondaires sont souvent tordants….ou encore? La première rencontre avec le singulier Panurge, polyglotte des grands chemins, et ses chansons dédiés au festoiement et à l’ivresse.
Une pièce passionnante où le savoir devient une source de rires inépuisable, où l’on croit voir se déverser sur le plateau ces » paroles gelées » » dragées perlées de diverses couleurs », ces » mots d’azur, mots de sable, mots dorés » qui « quelque peu échauffés entre « les mains d’Olivier Martin-Salvan « fondent comme neige »….Un spectacle qui communique « l’immense appétit du monde » de Pantagruel » qui le pousse sur les chemins » et donne envie de (re)dévorer le texte original pour revivre l’aventure!
Pantagruel
De François Rabelais
Conception artistique et adaptation: Benjamin Lazar et Olivier Martin- Salvan
Mise en scène: Benjamin Lazar
Collaboration à la mise en scène: Amélie Enon
Musiciens: Benjamin bédouin ( Cornets et flûtes) et Miguel Henry ( Luth et guitare).
Composition musicale: David Colosio
Recherche dramaturgique: Mathilde Hennegrave
Lumières: Pierre Peyronnet
Scénographie: Adeline Caron
Assistanat à la scénographie: Sylvie Bouguennec
Costumes: Adeline Caron et Julia Brochier assistées de Margaux Sardin
Crédit-photo: Nathaniel Baruch
Avec Olivier Martin-Salvan
Dates des représentations à venir:
– Du 18 au 21 février 2014 au Théâtre des 13 Vents à Montpellier
– Le 8 mars 2014 à la Scène Watteau à Nogent-sur-Marne
– Du 24 avril au 25 avril 2014 au Théâtre de Morlaix
– Les 27 et 28 février 2015 à 20h30 à Sortie Ouest ( 34)
– Du 15 au 25 avril 2015 au TNS ( Strasbourg)
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