Pina Bausch : « Ce morceau de pelouse est large de six baisers »

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Par Julie Cadilhac – bscnews.fr/ « Ce morceau de pelouse est large de six baisers »: peut-être devrait-on se contenter de citer cette phrase, concentré d’absurde et de poésie, pour qualifier la pièce 1980 de Pina Bausch et s’en tenir là.

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À mi-chemin entre théâtre et poésie, cette pièce met en scène dix-neufs « danseurs » qui s’adonnent à des activités du quotidien dans lesquelles s’instaure progressivement de la singularité : qui en est responsable? la mise en scène, le jeu ou l’imagination du spectateur? Qui crée le spectacle au final, lui donne un sens? Pina Bausch invite à observer le quotidien, à le voir autrement jusqu’à en déceler une certaine poésie. Et..qu’est-ce que la poésie sinon une certaine capacité, peut-être, à s’émerveiller et à transcender le réel? Le plateau de 1980 est recouvert d’une pelouse accueillante sur laquelle se déroulent diverses scènes : une séance de bronzage, une scène d’adieu, un bal, un jeu de chaises musicales, un tea-time…pas de fil narratif pour ces scènes qui se succèdent, se répétent ou se superposent. Quel point commun alors entre cet homme sur un talon, cette femme à cheval sur le dos de son mari, l’homme travesti, l’homme dont l’éclat de rire fait renverser la chaise en arrière, la femme-anniversaire? Aucun si ce n’est qu’ils contribuent chacun, avec leur sensibilité et leur singularité, à la récurrence de topoi qui reviennent, comme un clin d’oeil, se décliner sous d’autres formes ou à l’identique; métaphore de la vie, de ses répétitions et de ses déraillements.

Le succès de cette pièce s’explique en grande partie par le charisme et la personnalité des interprètes qui agissent sur le plateau avec justesse et naturel, offrant des minutes d’un réalisme incroyable.La distribution est brillante, voilà qui est dit. Pina Bausch joue dans cette pièce avec des contrepoints qui ajoutent aux instants montrés un décalage souvent absurde, provoquent le rire ou invitent à le retenir : cette esthétique du contraste est au service d’une peinture de l’humain empreinte de tendresse, de polémique mais aussi de mélancolie. Précisons que lors des moments de communion dansés, où de petits gestes simples du quotidien sont additionnés en un intermède chaleureux, l’on s’émeut et l’on se sent bien en compagnie de cette troupe farfelue et bonhomme. L’impassible embrasse le désordre, la vie se décline en tableaux et si certaines minutes nous renvoient à des douleurs intestines, d’autres nous donnent carrément envie de dire « J’ai la frite », « Formidable », « C’est le pied ! »…A l’ouverture de la seconde partie notamment, la scène des saluts suivie des jeux de virelangues, du « Faîtes une phrase avec le mot « dinosaure », « En trois mots, présentez d’où vous venez », « De quoi avez-vous peur? » instaure une convivialité communicative et beaucoup d’émotion surgit de la vision de ce groupe de gens attroupés et complices qui finissent par nous faire la promotion de leurs jambes…dommage, cependant, que cette esthétique théâtrale, construite à partir d’improvisations et privilégiant la spontaneité qui fait éclore d’improbables moments magiques, ne sache pas ensuite raccourcir et s’étale sans se préoccuper de l’horloge intérieure du spectateur qui, même charmé, a, lui, les fesses bien coincées dans un fauteuil et finit par trouver ça long…de surcroît, la présence du magicien et du gymnaste font office de contrepoint « récréatif » dont on ne voit pas bien l’intérêt…
Un mot pour conclure sur la musique délicieuse, propre à la rêverie, qui accompagne ce spectacle, de John Dowland à Claude Debussy, en passant par Ludwig van Beethoven, Johannes Brahms, Benny Goodman ou encore John Wilson. S’il est compréhensible de ne pas être sensible au travail de la danseuse et chorégraphe allemande, il est cependant fort intéressant, nous semble-t-il, de découvrir son travail, innovateur à son époque, qui visait à ne pas reproduire des formes définies mais à s’intéresser à l’anatomie, au passé et aux possibilités de chacun des interprètes pour les faire danser. De petits gestes anodins répétés en multiplication des danseurs sur le plateau, Pina Bausch invite, avec fluidité et poésie, le spectateur à percevoir une vision du monde souvent pessimiste où se manifestent la codification de la séduction, la solitude dans le couple et la difficulté à communiquer. A voir donc pour vous confronter à un grand nom du spectacle vivant, si vous avez la chance que cette pièce vienne se représenter une nouvelle fois en France….

Les représentations uniques en France pour la saison 2013/2014 se sont déroulées au Théâtre de Nîmes du 18 au 21 décembre 2013

1980
Mise en scène et chorégraphie : Pina Bausch
Décor: Peter Pabst
Costumes: Marion Cito
Dramaturge : Raimund Hoghe
Collaboration: Hans Pop
Danseurs : Regina Advento, Ruth Amarante, Lutz Forster, Silvia Farias Heredia, Mechthild Grosmann, Barbara Kaufmann, Ditta Miranda Jasjfi, Daphnis Kokkinos, Eddie Martinez, Nazareth Panadero, Helen Pikon, Jean-Laurent Sasportes, Franko Schmidt, Azusa Seyama, Julie Shanahan, Julie Anne Stanzak, Michael Strecker, Fernando Suels Mendoza, Tsai-Chin Yu.
Magicien: Reiner Roth
Violon: Silvio Failla
Harmonium: Michel Chanard
Gymnaste aux barres parallèles : Peter Sandhoff

Crédit-photo : Ulli Weiss

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