Kiss & Cry : Michèle Anne de Mey et la nanodanse

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Par Carine Roy – bscnews.fr / Crédit-photo: © Michiel Hendryckx ( portraits) © Marteen / Dans Kiss & Cry, des mains dansent et un monde apparaît en miniature. Il y a un côté jeu secret d’enfants qui s’émerveillent devant leur train électrique dans un grenier familial…

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Ce sont les mains de la chorégraphe Michèle Anne de Mey et de Grégory Grosjean. Jaco Van Dormael les met en scène en utilisant plusieurs petites caméras embarquées dont les images sont projetées sur grand écran. Une installation technique impressionnante et ultra précise, pleine de tendresse et de fragilité. Ces mains dansantes deviennent un personnage, l’héroïne d’histoires d’amours contrariés, de rendez-vous manqués : Giselle , à laquelle on s’identifie et dont on suit, amusé et attendri, les tourbillons de la vie.
Jaco Van Dormael a réalisé trois films salués par le public et la critique : Toto Le héros, Caméra d’Or à Cannes et César du meilleur film étranger ; Le Huitième Jour récompensé par un prix d’interprétation à Cannes pour Daniel Auteuil et l’acteur trisomique Pascal Duquenne et Mr Nobody avec Jared Leto. Michèle Anne De Mey a été l’une des très belles interprètes d’Anne Teresa De Keersmaeker avant de fonder sa compagnie en 1990. Elle est un des grands noms de la nouvelle danse belge,artiste associée à la direction de Charleroi Danses depuis 2005. Rencontre avec une émouvante nanodanseuse…

Comment est née cette idée de mettre en scène des mains qui dansent ?
L’idée du spectacle et celle de danser avec les mains sont venues ensemble. Il y a à peu près sept, huit ans, on avait fait un chantier avec Grégory Grosjean, Jaco Van Dormael et moi-même. On cherchait ce qui pouvait réunir cinéma, théâtre et danse. Il y avait plusieurs, disons “sketches”, des essais qui en étaient ressortis. Jaco était à la caméra et c’était retranscrit sur grand écran. On y voyait une séquence de doigts, de couple et nous avions eu l’idée de nous mettre, nous, danseurs, dans la position de marionnettistes, de mettre en scène des personnages avec uniquement des mains. Et Jaco filmait. Ce tout petit donnait du tout grand et il y avait aussi le ballet du cameraman et l’on trouvait tout ça extrêmement troublant et intéressant. Et puis, il y a deux ans et demi, quand le directeur du théâtre du Manège à Mons, Daniel Cordova, a demandé à Jaco s’il n’avait pas envie de faire une mise en scène de théâtre, Jaco lui a dit qu’il aimerait bien pousser cette expérience-là et faire un vrai spectacle : caméra, petits mondes, doigts, mains et travailler en collectif. L’idée des mains et des doigts est venue de cette réflexion : Jaco disait : “Oui, mais moi, je ne sais pas filmer la danse car je ne sais pas choisir entre le gros plan, le corps entier… ou sinon le plan est trop large”. C’était donc parti un peu comme une blague, une recherché : on lui a dit “regarde, comme ça, si tu filmes nos doigts avec la caméra, tu as un gros plan et un corps en entier”. Cette image, c’est comme une métaphore et la main en entier devient tout un imaginaire.

Pouvez-vous nous raconter l’histoire de ce spectacle intitulé “Kiss & cry” ?
Le spectateur s’asseoit dans une salle et participe. Qu’est-ce qu’il voit ? Il voit la fabrication d’un film en direct; ça, c’est un peu l’enjeu du spectacle. C’est un plan séquence, rien n’est enregistré à l’avance. C’est un peu un “sans filet” à ce niveau-là. ça c’est l’histoire de la représentation. Il y a neuf personnes sur le plateau qui réalisent cette prouesse et ces neuf artistes-cameramen-danseurs-acteurs-manipulateurs- metteurs en scène vont nous raconter, avec l’aide d’une camera, une autre histoire qui est l’histoire de Giselle, une vieille dame qui se souvient de ses amours et va dans sa mémoire et ses trous de mémoire. Elle regarde passer les trains et se rappelle son premier amour dans un train. Elle avait 13 ans et a touché la main d’un jeune homme et depuis elle ne se souvient plus que des mains des hommes . Alors, elle se rappelle à partir de là tous les amours de sa vie : des amours finis, des amours passés et elle est à la recherche de sa vie et de ses amours… de ses amours perdus.

Et vous-même en tant que danseuse et chorégraphe, ce n’est pas un peu frustrant de danser seulement avec vos mains ?
Ce n’est pas du tout frustrant, c’est même un beau défi. De toutes façons, pour moi, beaucoup de mes mouvements continuent au-delà de mes mains ou partent même avant mes mains. Je m’investis autant que si j’étais toute entière en scène. Tout mon corps est sollicité, je suis un peu moins essouflée, c’est tout. Il y a toute une vie à travers les mains et c’est très intéressant. Tout vient du coeur, de la précision. C’est comme les poupées russes, il y a tellement d’échelles dans ce spectacle qu’il n’y a pas que les mains en fait. Il y a le ballet et de la précision à tous les niveaux. Il y a toute la coordination entre nous aussi, cette musicalité qui va, je crois, au-delà des mains.

Vous créez sur scène des intempéries miniatures, de grands ballets aquatiques avec dix doigts, vous jouez avec les illusions d’optique sans rienmichèle cacher au spectateur puisqu’il voit l’envers du décor. Ce côté bricolage apparemment fragile provoque beaucoup d’émotion… Comment avez-vous conçu ces décors et accessoires lilliputiens avec votre compagnon Jaco Van Dormael ?
On a beaucoup travaillé avec du made-home , on a utilisé les jouets de nos enfants qui avaient grandi, on a travaillé à la maison sur la table de la cuisine. On a manipulé de petits objets comme ça qui pouvaient servir de décors… On a d’abord fait un laboratoire, et donc tout était en perpétuelle transformation et tous ces petits mondes sont venus à nous; ce sont de petits exercices de style. On éclairait avec des lampes de poche, on travaillait sur des nano-mondes, donc il s’agit vraiment du monde de l’enfance: des trains électriques, des papiers collants, de la pluie realisée avec un sac-arrosoir et tout ça est montré…

Comme tout doit être réglé au millimètre et à très petite échelle, les répétitions ont-elles été difficiles ?
Non, pas du tout ! On s’est d’abord donné rendez-vous une semaine par mois pendant 3,4 mois en laboratoire dans un grenier à quatre, cinq. On n’a pas parlé d’histoire, du scénario, du spectacle final, on a cherché car c’est un travail collectif. On a travaillé avec la caméra dans les mains, des petits objets, on s’est amusé, on a trouvé 4 micro-scènes et on a cherché comment on pouvait retourner les caméras aussi bien au niveau technique qu’au niveau visuel. On a trouvé une chanson, on s’est dit, “tiens on va faire les feuilles mortes! Comment on va mettre en images cette chanson?”. On a trouvé comment on pouvait s’incruster dans une maison Playmobil, faire un film animalier, filmer en-dessous de la table, trouver des mondes dans les tiroirs, enfin on s’est amusé et on a trouvé un langage. Après on s’est demandé quelle histoire pouvait tenir le coup avec les matériaux qu’on avait. Ensemble, on a decidé que c’était l’histoire de Giselle parce que c’était cinq histoires d’amour comme les cinq doigts d’une main. Et là, de nouveau, on est tous repartis dans notre spécificité. C’est-à-dire, Jaco dans l’écriture du scénario et Thomas et Jaco dans le découpage des scènes. Grégory et moi dans la chorégraphie, Sylvie dans la conception des décors et Nicolas dans la lumière. On a pris tous ensemble des décisions sur les dispositifs scéniques et après on s’est retrouvés tous ensemble pendant deux mois pour la réalisation : comment placer les caméras et tous les problèmes plus techniques. Mais comme on était tous soudés, on est devenus monomaniaques : les piles de la lampe de poche devaient être à moitié pleines ou ceci et cela… c’était un moment fastidieux mais extrêmement heureux parce qu’on était comme les maillons d’une chaine. On travaillait de 10h du matin jusqu’à 11 heures du soir non stop !

Il y a un côté jeu d’enfant qui s’amuse avec son train électrique dans un grenier, comme dans les films de Jaco Van Dormael qui traitent beaucoup de l’enfance, de nos choix de vie… On retrouve aussi ces thèmes dans “Kiss & Cry…
Il y a des éléments qui appartiennent à l’univers de Jaco, d’autres qui appartiennent au mien. J’ai créé des ballets extrêmement ludiques comme “Ballatum”, “Katamênia” où la part du jeu, du rêve et de l’imaginaire sont très présents. Dans “Kiss & Cry”, on retrouve des couleurs du collectif, on secoue la cocotte et ça donne ça ! L’enfance, les jouets permettent d’aborder des sujets graves: tout le monde se rappelle de ses mains et des jouets entre ses mains. C’est la première chose qu’on voit.

“Kiss & Cry” m’a fait penser aux spectacles du collectif néerlandais Hotel Modern qui renouvelle l’art de la marionnette et combine manipulation d’objets et vidéo, théâtre et arts plastiques. Vous les connaissez ?
Oui, oui, on les connait bien, On a vu “Histoires de crevettes”, leur spectacle de marionnettes avec des crevettes qui est retransmis lui aussi en direct avec la vidéo. Mais il n’y a pas de partie chorégraphique; il y a des objets bricolés, des similitudes, mais pas de chorégraphies avec les mains.

Il existe aussi une publicité pour du vernis à ongles Chanel qui met en scène des mains qui dansent…
Quand la publicité est sortie cinq mois après la première, on a posé des questions à Chanel qui ne nous a pas répondu. Et donc, juste avant de jouer au 104 à Paris en 2011, on a fait un communiqué de presse disant qu’on avait bien fait le spectacle avant Chanel et qu’ils ne nous avaient pas répondu. Cela a fait une histoire pas très intéressante et pas très agréable, puis ça s’est tassé. Pour moi, le principal est que le monde de la presse soit au courant que notre spectacle était sorti avant. Cette publicité on peut la voir partout dans le monde, même au Japon… Nous, c’est en 2015 qu’on va au Japon, et là, le public pourrait croire qu’on a copié cette publicité. Ce qui serait un peu dommage pour nous. Donc, en faisant ce communiqué, on a protégé notre spectacle.

Vous êtes artiste associée à la direction de Charleroi Danses, en tant que chorégraphe, quels sont vos projets, en plus de la tournée de “Kiss & Cry” ?
Du “Lamento d’Adrianna” de Monteverdi, j’ai fait un solo pour une danseuse exceptionnelle Gabriella Lacono, l’une des plus belles danseuses que je connaisse, On vient à Paris le 11 juin à la Cartoucherie de Vincennes pour le Festival June Events.

Votre compagnon Jaco Van Dormael a suivi des études de cinéma et mis en scène des spectacles de clown. De vôtre côté, être danseuse, c’était un rêve de petite fille ?
Mon papa était représentant en disques et ma maman a été assistante sociale. Elle s’occupait de mon frère Thierry et de moi. Quand j’avais quatre ans, je regardais les groupes fokloriques et je trouvais ça très sympa, je faisais la majorette! Je voulais être danseuse, fermière ou femme de cirque !! (rires) J’ai continué dans la danse et cela me convient très bien !

> “Kiss & Cry”, création collective de Michèle Anne De Mey, Gregory Grosjean, Thomas Gunzig, Julien Lambert, Nicolas Olivier, Sylvie Olivé, Jaco Van Dormael.
Un livre également de photos et de textes issus de ce spectacle : “Kiss & Cry” de Thomas Gunzig – Les Impressions Nouvelles – Collection : Traverses.

Les dates:

2013
– Les 4,5 et 6 juin 2013 au festival du Printemps des Comédiens ( Montpellier)

– Du 19 juin au 6 juillet 2013 au Théâtre du Rond-Point, Paris

– du 6 au 18.08 – Sommerfestival, Helsinki (FI)
– du 02 au 04.10 – International Festival of firsts, Pittsburgh (US)
– du 10 au 12.10 – Emerson arts, Boston (US)
– du 24 au 26.10 – Festival Cervantino, Guanajuato (MX)
– du 11 au 24.11 – La Condes, Santiago (CL)
– du 19 au 22.12 – KVS, Bruxelles (BE)

2014
– du 08 au 09.01 – Opéra Théâtre de Saint-Etienne, Saint-Etienne (FR)
– du 19 au 28.02 – Grand Théâtre de Namur (BE)
– du 19 au 23.03 – La Coupole, Combs-la-Ville (FR)
– du 16 au 18.04 – Comédie de Valence, Valence (FR)
– du 02 au 04.05 – OCC, Athènes (GR)
– du 10 au 18.05 – Les Écuries – Charleroi Danses, Charleroi (B)

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