Le polar aquarellé a vécu

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Par Marc Emile Baronheid – bscnews.fr / Le polar aquarellé a vécu. Normal : il trouve ses sources dans cette actualité violente dont les médias se délectent, tant elle fait vendre. Qu’ils vivent à Cheyenne, en Nouvelle-Zélande ou sous nos fenêtres, les auteurs mettent toute la gomme pour ficeler des intrigues terribles voire terrifiantes et, créant des héros de séries, prévenir qu’on n’en restera pas là.

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Angoissant. La nouvelle enquête de l’inspecteur John Luther commence mal. Un jeune couple vient d’être trouvé sauvagement assassiné ; le bébé que portait la femme a été arraché de son ventre. A voir le physique impressionnant de Luther et sa manière carrée d’appliquer ses principes, on aurait tendance à le croire trempé dans l’acier inoxydable. En réalité il est profondément ébranlé, habité jour et nuit par l’affreuse immensité de sa tâche, au point de ne pas vouloir admettre que son couple va en être la première victime collatérale. Face à un implacable tueur d’enfants qui prend plaisir à le narguer et à le discréditer auprès de sa hiérarchie et dans l’opinion publique, Luther est furieusement tenté de franchir la ligne rouge sang qui sépare les flics réglos de ceux s’avérant incapables de résister à leurs démons. Attention ! Vous allez goûter aux joies troubles de l’insomnie.

« Luther : l’alerte », Neil Cross, Belfond noir, 20,50 euros

Nature inhumaine. Que l’ énorme faute d’accord verbal à la 4e page de couverture ne vous dissuade pas d’ouvrir cette nouvelle aventure du garde-chasse américain Joe Pickett. Le gaillard vaut le détour. Quelque peu brut de décoffrage, à l’instar de ceux qui veillent à la préservation du grand Ouest si l’on en croit le cliché qui a cours, Pickett enfourche son destrier pour enquêter sur d’étranges événements survenus dans les forêts du Wyoming. La fausse bonne idée ! Il rencontre de très inquiétants jumeaux qui le trucideraient volontiers, se retrouve pris dans un imbroglio où personne n’est bon, personne n’est gentil. Les politiciens et les spéculateurs – pour autant qu’ils ne cumulent pas les vices – n’ont qu’une idée en tête : se débarrasser de cet empêcheur de magouiller en rond. Joe P est vraiment mal embarqué. Va-t-il s’en sortir ou sera-ce sa fin de course ? Un western policier d’une rare intensité.

« Fin de course », C.J. Box, Calmann-Lévy, 20,90 euros

Chicago sur Rhône. Lyon n’en finit plus de susciter des romans désenchantés. Il est vrai que le terrain s’y prête admirablement. Pour Farel, flic intègre et déterminé, ce n’est plus vivable. Un assassinat de notable met le feu aux poudres et porte l’attention sur Vauclin, mystérieux personnage, col doré parmi les cols blancs, auquel on prête une importante puissance occulte. Son parcours est classique, qui va du communisme révolté à l’affairisme sans scrupules. Farel avance droit et vite, aussi la machine à le broyer se met-elle en branle, actionnée par rien moins que Matignon. Ses adversaires sont tapis dans l’ombre du pouvoir et pressés de l’éliminer par tous les moyens. Ce serait chose faire si Farel ne pouvait compter sur l’appui d’une juge aussi résolue que lui. Un seul ennui : elle
est absolument légaliste. Lorsque les événements le touchent dans ce qu’il a de plus cher, Farel décide de s’affranchir de l’ortodoxie et d’appliquer, en la dopant, la loi du talion… Encore une franche réussite pour Jigal, alias Jimmy Gallier, dont il faut louer et soutenir le flair, l’engagement, l’enthousiasme. Mais quand diable va-t-il se décider à relire soigneusement les épreuves ?

« Tortuga’s bank », André Blanc, Jigal « Polar », 18 euros

Plus vrai que nature. Une geôle italienne où croupit encore Carlo, rescapé des années de plomb et des Brigades Rouges. Il parvient à s’échapper, entraînant malgré lui Filippo Zuliani, un petit délinquant sans envergure. Lâché dans la nature, le demi-sel se réfugie à Paris, regardée alors comme La Mecque des fuyards politiques transalpins. Par simple envie de séduire une femme, Filippo l’inculte se met à écrire ce qui deviendra un roman. Il y raconte la prison, la cavale, ce Carlo entretemps tué dans des circonstances étonnantes, sinon douteuses, dont il fait son héros. Un éditeur aisément identifiable flaire le bon coup. La presse s’entiche de Zuliani, « un représentant des classes dangereuses comme on les aime » mais le contenu du récit hérisse les officines italiennes. Vrai ou faux, ce prétendu exercice de fiction ? Il lève des lièvres peu recommandables et rouvre des plaies purulentes. Devenu quelqu’un par la magie noire de l’écriture, Filippo n’en a cure. Résolu à continuer d’écrire, il n’imagine même pas ce qui se trame dans l’ombre du pouvoir. Par-delà la fable sur l’écriture, le nouvel opus d’une auteure au long passé militant dénonce une violence permanente abritée sous le masque de la raison d’état, ce qui reléguerait presque au rang d’ amusements mesquins la singapourriture, l’abus de faiblesse, le maquignonnage d’œuvres d’art.

« L’évasion », Dominique Manotti, Gallimard « Série Noire », 16,90 euros

(*) phrase fétiche de Geneviève Tabouis, célèbre chroniqueuse politique française de la seconde moitié du siècle dernier

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