Vii le roi terre : une plongée mystique dans une Ukraine archaïque fantastique
Par Julie Cadilhac– bscnews.fr/ ©Mario Del Curto/ La scénographie, tout d’abord, est une petite merveille propre à plonger dans la rêverie tous ceux qui sont doués d’un peu d’imagination. La musique du groupe « ethnochaos band » enchante de même par un je ne sais quoi de primitif et d’halluciné qu’elle distille dans chacun de ses murmures, de ses caresses de cordes, de ses imprécations vocalisées.
Le spectateur est invité à un voyage dans un monde archaïque teinté de magie où l’on est bien obligé de finir par croire aux sorcières, à la chute du paradis et à la violence de l’amour….Dans une forêt étrange, peuplée d’êtres aux us et coutumes si éloignés des nôtres qu’ils en deviennent inquiétants, l’oeil témoin de deux francophones qui ont échoué là et tentent sans succès de s’accrocher à leurs références contemporaines pour comprendre ce qui se déroule sous leurs yeux. Leurs valeurs et leurs repères habituels se désagrègent devant l’indicible mystère qui hante ce lieu. Vlad Troitskyi fait remonter les réminiscences d’un monde disparu ( ou presque) où la foi était ardente et où les hommes ne cherchaient pas – sans succès – d’autres valeurs sur lesquelles s’appuyer. Dans cet univers inspiré des coins les plus reculés de l’Ukraine ,où l’on est plus proche de la terre et du rite que de la civilisation, les êtres sont liés par leurs traditions. Cependant le metteur en scène ne se contente pas de montrer un folklore, il montre le joyeux chaos qui naît du choc du passé et du présent. A la lisière du plateau, il laisse aux deux « étrangers » de ce monde la possibilité de s’échapper, de quitter le conte dans lequel l’on peut être un héros mais où l’on doit alors en supporter toute la dimension tragique. `
Que feront nos deux indigènes du monde contemporain? S’immergeront-ils dans cette culture inspirée et entière ou fuieront-ils par la porte de secours? Sauront-ils comprendre cette singulière folie qui habite les autochtones? Vlad Troitskyi soulève une problématique passionnante : cesser de croire est-il un gage de progression? Si l’être possédé ou pétri de superstitions est condamné aux chaines et s’enferre dans ses peurs, doit-on pour autant condamner les religions et leurs mythologies? la spiritualité et le mysticisme n’apportent-ils pas aux êtres des valeurs que l’on ne peut dénigrer? N’est-on pas le produit de sa terre et ,en nous séparant de nos fois et de nos croyances, ne sommes – nous pas en quelque sorte déracinés? Quel avenir pour l’être déraciné? Sommes-nous passés de l’obscurantisme à un athéisme sans saveur et sans énergie?
On regrettera simplement quelques longueurs et l’on arguera que la deuxième partie, plus argumentative, gagnerait à alléger les monologues des deux « étrangers » francophones pour laisser à la poésie indicible de l’ensemble le loisir de se répandre dans nos imaginations…terreau dont Vlad Troitskyi sait user avec talent!
Titre: Vii – Le Roi Terre
Conception et mise en scène: Vlad Troitskyi
Texte: Klim
Traduction: Julia Batinova
Scénographie: Dmytro Kostiuminskyi, Vlad Troitskyi
Composition musicale: DakhaBrakha, Roman Iasinovskyi, Solomia Melnyk, Vlad Troitskyi
Dates de représentations:
Du 19 au 20 juin 2012 au Printemps des Comédiens ( Montpellier)
Du 6 au 8 septembre 2012 à Kiev
Du 11 au 14 décembre 201é au Théâtre de la Ville ( Paris)
En mai 2013 au Festival Passages à Metz?
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