Nicolas Fargues suit sa ligne de courtoisie

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Par Laurence Biava – bscnews.fr / Après son Prix France Culture Télérama pour « Tu verras », son (8ème) roman où il analysait avec brio les atermoiements d’un père en prise avec son fils adolescent, Nicolas Fargues revient en cette rentrée de janvier 2012, avec « La ligne de courtoisie », où il démontre une nouvelle fois son excellence dans le registre de la comédie de moeurs et la satire sociale.

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Un antihéros dont on ne sait pas grand-chose sauf qu’il est un écrivain divorcé de 43 ans en panne d’inspiration depuis quelques ans et s’apprêtant à tout plaquer, campe ce brillant nouvel opus, sanglé, de bout en bout parfaitement maîtrisé, incisif et saillant, sans temps morts, encore un cran au dessus des précédents.  Même dispositif d’entrée en scène du personnage à l’instar de « Beau rôle », le roman débute globalement avec l’organisation d’un dîner convivial de pseudo adieu, censé réunir tous les êtres chers du narrateur. Volonté tenace de changer d’existence : la sienne, effectivement, d’existence, tourne désespérément à vide. Et ce dîner, élaboré avec une certaine passion, soigne sa mise, parce que le narrateur est « à ce point soucieux du confort des autres », parce qu’il lui semble important de « faire plaisir à ceux qu’on aime »…Déçu par ses relations, amer, dépressif, le personnage principal, dont on ne connaît pas l’identité, décide donc de quitter la France pour s’offrir un nouveau départ en Inde, à Pondichéry. Nicolas Fargues y croquera et avec quelle minutie les portraits des expatriés français. Hélas, loin de trouver ce second souffle existentiel qui lui faisait défaut, le narrateur accumule déboires hôteliers et déceptions sentimentales avant qu’une affaire fiscale provoquée par l’ex-épouse ne le ramène en France et offre ainsi au roman un sursaut final époustouflant et remarquable. Je me suis beaucoup amusée des tribulations épiques parisiennes et indiennes de ce personnage apparemment détaché, éternel insatisfait, plus masochiste que lâche, en sentiment de rupture,  quelqu’un qui subirait les autres, leur franche discourtoisie, et ce qu’on appelle communément la bêtise ambiante. Sans jamais oser protester. Quelqu’un qui, en effet, résiste en prenant soin de ne pas enfreindre les règles de bienséance, de savoir-vivre. Plaire ou déplaire, ne serait-ce pas la question ? Elle se pose pourtant avec tous : les enfants, les parents, le confrère de la maison d’édition, le romancier « rival » rencontré en Inde, pour ne citer qu’eux. Tout laisse penser que la diplomatie avec cet hôtelier indien est souvent excessive, elle confine même à ressentir un sentiment d’ injustice. C’est tout le petit théâtre de la comédie humaine que Fargues nous dépeint une nouvelle fois. Les descriptions sont rodées, les saynètes de la vie courante semblent appropriées pour le  laisser déployer son talent pictural. Si Gombrowicz et Houellebecq (moqué), sont cités, entre autres, dans ce roman, c’est surtout, et assez copieusement à Jean-Paul Sartre que j’ai songé, ainsi qu’à Roland Barthes, sans doute parce que tous les détails que Nicolas Fargues soulignent m’en ont laissé l’opportunité.  A l’instar de Sartre, donc, il me semble que l’auteur essaye de comprendre que les représentations de soi ne doivent pas trop s’écarter des manières dont les autres les perçoivent. Si l’apparence n’est pas si trompeuse, dit-elle pour autant la vérité ? Non, car alors, il n’y aurait ni obstacle, ni conflit entre les individus. Ce n’est pas simplement celle de notre apparence extérieure, dont nous parle Nicolas Fargues, pas davantage celle de notre apparence à nous même, mais de la totalité de ce que nous sommes, de ce que nous avons été, de ce que nous deviendrons, de ce que nous espérons, de ce que nous craignons, de notre comportement, de notre éducation. Cette représentation doit faire place à la totalité de notre expérience, tant du monde extérieur que du monde intérieur des émotions et des fantasmes, puisque ces derniers agissent inéluctablement sur nos perceptions, et que nos perceptions créent le monde.(ainsi le voyage en Inde, et sa projection). Ma première idée est que si nous nous trouvons tous pris dans des conflits dont la défense ne passe pas par l’apparence entre le désir d’être reconnu et la peur ou l’angoisse d’être exposé, vu, mal vu, mal aimé, incompris, il semblerait que ce soit pourtant cette première vision de l’autre, qui nous renseigne sur les perceptions du monde extérieur, et sur nos sentiments les plus intimes et les plus intérieurs. Ainsi, constatant ce conflit établi entre l’apparence et la vérité, il est évident que l’enfer, c’est les autres. Qui franchissent allègrement la ligne jaune. Qui inversent les rapports. Et les situations sentimentales se présentent ainsi sous la forme d’une somme de ratés relationnels. Naît l’incommunicabilité : les parents qui pensent à votre place et réglementent votre vie matérielle, suggèrent votre vie littéraire, les enfants qui n’ont cure de ce que vous faîtes et/ou êtes et se comportent comme des petits chats égoistes. Je crois que ce roman ne dit qu’un chose : c’est que l’amour n’existe pas. Qu’on peut s’évertuer à être courtois, disponible, ou un tant soit peu, s’abriter derrière la misanthropie, le pusillanisme, la lâcheté, rien ne changera jamais. L’enfer c’est les autres parce que les autres nous empêchent de nous imaginer tout seul ; ils ne nous voient pas seulement comme ils nous voient, mais aussi comme ils nous imaginent, tout comme nous nous voyons en tenant compte de leurs perceptions imaginaires. Dans ce processus de balancement entre voir et imaginer, les autres nous imposent notre humanité, imposent une sensibilité aux rapports humains, et imposent enfin des possibilités de sentir les tragédies et les joies de notre vie. Alors, à quoi sert il d’être ensemble si ce n’est pour faire un effort d’imagination ? C’est ce que dit en substance cette phrase : « Un ultime dîner à mon appartement s’achevait, organisé au prétexte d’adieux qui dans le fond n’émouvaient personne. C’était cela, la famille : une somme de solitudes uniquement liées par des obligations de bouche».

J’ai également pensé et souvent à Roland Barthes lorsqu’il dit ceci : « Ce que cache mon langage, mon corps le dit. Mon corps est un enfant entêté, mon langage, est un adulte très civilisé ». J’ai senti une certaine souffrance dans ce récit maniaco/dépressif, dans la façon de dépeindre « quelque chose et quelques uns me gênent aux entournures ». J’ai pointé des réflexes maniaques qu’aucun neurologue, au creux, de ses analyses ne renierait. Ce qui est extraordinaire dans ce roman, ce sont ses paradoxes : au consumérisme ardemment souligné, succède un sentiment d’ascétisme et d’effeuillage des codes. Au-delà de la narration très descriptive et de son sens profond, il est une ébauche palpable d’instrospection, d’analyse expérimentale, voire clinique, qui n’est pas très éloigné du langage des signes, de son appropriation, par le fait de souligner les tics verbaux et onomatopées d’époque. (« souci », « j’hallucine », « sympa », et autres mots en italique) tout ce qu’affectionne les verbeux au répertoire lexical si mince et aux raccourcis risibles. Pour leur faire la nique, Nicolas Fargues leur répond avec son verbe haut et son très éclairé vocabulaire. Quel brio, quel talent, je m’incline. (on aimerait que tous les romans soient aussi bien écrits : honte à quelques uns, au passage). L’opus réserve donc une part belle à tout ce qui relève de la morphopsychologie, des descriptions des visages jusqu’aux émanations des corps. Il est souvent question de souligner le coté mimicracra de certains protagonistes, (on notera que les autres sont souvent sales), quelques obsessions récurrentes, des inspirations et expirations nasales, des sourcils froncés, des mouvements labiaux, un pli épicanthal de ma paupière, des sillons nasaux, des rangées de dents, des exhalaisons, ou tout autres termes ou descriptions jubilatoires relatives aux stries, pattes d’oies, jeunesse ou vieillissement des traits, rides d’expressions et j’en passe. Le corps investit le discours, il le dépasse même. Ici, on gratte, on nettoie, récure, lave, rince beaucoup, toute odeur ou élément suggérant la saleté est effectivement soulignée. Signe de cette époque hygiéniste que Nicolas Fargues le sondeur, le visionnaire, ne manque pas de relever ?. Que dis je ! d’ausculter . L’écriture d’orfèvre quasi entomologique dont il use pour nous plonger irrémédiablement au plus près de tout, est admirable et fascine. On peut cependant y lire et y voir, un parfait exercice d’auto-flagellation.. Lisez cette nouvelle complainte sur l’air du temps ».

> Ligne de courtoisie de Nicolas Fargues – Editions POL

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