Les dépendances : ces fantômes insatiables

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Par Mélina Hoffman – Bscnews.fr / « C’est le règne de la dépendance, un monde dans lequel nous cherchons inlassablement en dehors de nous-mêmes quelque chose qui saura calmer un insatiable désir de soulagement ou d’accomplissement. Ce vide douloureux ne s’atténue pas, car les substances, les activités ou les objets dans lesquels nous cherchons un répit ne peuvent pas nous combler. Nous ne connaissons pas nos véritables besoins et, si nous restons dans le monde des fantômes affamés, nous Pne les connaîtrons jamais. Nous hantons nos vies sans être jamais complètement présents. » Qu’il s’agisse de substances psychotropes, de nourriture, de sport, de jeux, de sexe…, les dépendances sont toujours la manifestation d’une douleur profonde – consciente ou inconsciente. Avant toute chose, il est important de faire la distinction entre une simple passion et une dépendance. Tandis que la passion est source d’enrichissement et d’accomplissement, qu’elle favorise la création et un sentiment de satisfaction, la dépendance est quant à elle sombre et destructrice, elle nous consume de l’intérieur et nous isole peu à peu. Cette dernière se manifeste essentiellement par des comportements compulsifs et répétés, de l’irritabilité, ainsi qu’un sentiment de manque. Quelques soient les conséquences néfastes – voir dangereuses – de sa dépendance sur sa propre vie ou sur celle de son entourage, la personne dépendante ne peut résister à ce comportement qui soulage momentanément sa détresse psychologique. La dépendance ne laisse plus aucune place à la maîtrise de soi. « On peut comparer la différence entre la passion et la dépendance à celle entre l’étincelle divine et la flamme qui consume tout. »
Quelles sont les causes des dépendances ? ; Existe-t-il une personnalité qui prédispose à la dépendance ? ; Sur le plan physiologique, que se passe-t-il dans le cerveau des personnes dépendantes ? ; Pourquoi la « guerre contre la drogue » est-elle un échec et en quoi consisterait une approche humaine basée sur l’expérience clinique pour traiter les dépendances graves aux drogues ? ; Quelles sont les voies possibles pour sauver les esprits dépendants qui ne sont pas accros à des drogues dures – c’est-à-dire, comment peut-on aborder la guérison de nombreuses dépendances comportementales que favorise notre société ?… Autant de questions passionnantes et instructives auxquelles le docteur Gabor Maté nous propose des réponses à travers un témoignage bouleversant et profondément humain sur sa propre expérience en qualité de médecin dans le ghetto de la drogue de Vancouver. Cet espace, financé par quatre gouvernements et quatre fondations privées, accueille les personnes marginalisées pour leur offrir un espace de sécurité, un hébergement, un soutien psychologique et des soins. Il explique avec une sincérité touchante la difficulté à être toujours dans l’empathie et le respect, l’envie parfois de céder au sentiment de révolte, de colère qu’il éprouve face à ces individus qui n’ont pas ou plus envie de se battre, et qui bien souvent meurent des effets liés à leur consommation de drogue. « Les drogués sont souvent laissés pour compte et ignorés ; on ne les juge pas digne d’empathie et de respect. En racontant leur histoire, mon intention était double : les aider à faire entendre leur voix et mettre en lumière les origines et la nature de leur malheureux combat pour noyer leur douleur dans la drogue. Ils ont de nombreux points communs avec la société qui les ostracise. S’ils semblent avoir choisi un chemin qui ne mène nulle part, ils ont néanmoins beaucoup à nous apprendre. Dans le sombre miroir de leur vie, nous pouvons reconnaître les contours de la nôtre. »
Il nous parle longuement de ces personnes dont la drogue est devenu le refuge, un refuge qui leur permet de ne plus se retrouver seuls avec eux-mêmes et le vide intérieur qui les ronge. Il nous parle de la vulnérabilité préalable de ces individus face à des situations de dépendance, des carences affectives souvent héritées de l’enfance, des traumatismes divers souvent subis dès leur plus jeune âge. Il nous explique comment, en modifiant la structure chimique, l’anatomie et le fonctionnement du cerveau, la consommation de drogue prive peu à peu le toxicomane de son libre-arbitre, l’empêchant de faire les choix qui seraient les meilleurs pour lui, à savoir ceux du sevrage et de la santé. Il nous livre également le récit poignant d’une grossesse et de la naissance du bébé opiomane d’une mère toxicomane.
L’auteur avance timidement l’idée controversée d’une décriminalisation – et non légalisation ! – de la drogue dans des conditions de sécurité contrôlées, de façon à garder sous contrôles les toxicomanes dans le but de réduire les méfaits de la consommation de drogues et de pouvoir ainsi les guider plus facilement vers l’abstinence. Un ouvrage passionnant, documenté et très instructif sur un phénomène vaste et rependu – celui des dépendances – dont nous connaissons pourtant mal les mécanismes. Un livre à mettre entre les mains de chacun de nous, pour nous aider à comprendre toute la souffrance qui se cache derrière ces comportements que nous jugeons parfois avec sévérité et mépris, et peut-être à changer notre regard sur ce monde finalement pas si éloigné du notre. Reste à se poser une question : « Sommes-nous disposés à prendre soin d’êtres humains qui souffrent à cause de leurs propres comportements, lesquels découlent des difficultés qu’ils ont connues très tôt dans la vie et pour lesquelles ils n’étaient nullement responsables ? » Et c’est peut-être bien là que se situe une part non négligeable du problème…
Titre: Les dépendances, ces fantômes insatiables Auteur: Dr Gabor Maté Editions de l’Homme

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