Rencontre: Jérôme Le Dorze et son petit soldat
Propos recueillis par Julie Cadilhac – PUTSCH.MEDIA /
Une question d’abord inévitable: En tant que professeur des écoles, avez-vous toujours été un conteur passionné? L’écriture est-elle venue après, comme un besoin de compléter sur la feuille, les rêves que vous aviez partagés avec vos élèves? J’ai toujours été un lecteur passionné. Mon métier m’a amené à découvrir la littérature « jeunesse », à lire de nombreux livres aux enfants et à y prendre beaucoup de plaisir. A en donner aussi, j’espère. L’écriture est venue beaucoup plus tard, il y a environ trois ans. Essentiellement parce que j’avais un peu plus de temps.
Pourquoi faut-il lire (ou raconter) des histoires aux enfants selon vous?
Je pense qu’il faut lire des histoires aux enfants pour le plaisir, les émotions, les rêves qu’elles procurent. Les livres peuvent amener également les enfants à réfléchir, à se poser des questions. Et puis, me semble t-il, il y a le contact avec l’objet qui est important… L’odeur du papier. Un enfant, qui a aimé un livre, va le reprendre et même s’il ne sait pas lire, va se raconter de nombreuses fois l’histoire. Il devient acteur.
Quelles sont les difficultés d’écriture d’un auteur d’albums jeunesse? Quelles doivent être ses priorités?
Pour les autres auteurs, je ne sais pas. Je ne peux parler que de mon expérience. Le plus difficile, pour moi, est de traiter de sujets qui m’intéressent en tant qu’adulte (comme la guerre, le temps qui passe, la mort…) et de pouvoir les rendre accessibles, intéressants pour les enfants, leurs parents… D’ailleurs, je ne sais pas exactement ce que signifie être auteur pour la « jeunesse »… Car, à force de côtoyer les enfants, je me rends compte qu’ils ont tous des vécus uniques, des intérêts différents… Une des caractéristiques des enfants, très positive, est qu’ils ont peu d’à-priori. Ils sont ouverts et ont envie de découvrir.
Vous semblez utiliser des effets d’insistance et de répétitions, vous travaillez aussi sur le vocabulaire et les nuances dans « un bel uniforme gris »? Je me trompe? Quelles doivent être les qualités primordiales d’un texte dédié aux enfants? Diriez-vous que vos écrits sont pédagogiques?
Le bel uniforme gris est une histoire qui utilise la forme de la « randonnée » : des rencontres successives et un refrain. J’aime cette forme d’écrits que l’on rencontre souvent en littérature jeunesse. Dans ce texte, comme dans les autres, je passe beaucoup de temps à travailler le vocabulaire. Essayer de trouver le bon mot, le plus proche possible de ma pensée, tout en restant accessible à des enfants. Même si on peut lire des histoires sans comprendre tous les mots. On peut saisir le sens d’un texte, sa musicalité, sa poésie sans pour autant tout expliquer. C’est pour moi l’une des qualités principales d’un texte. L’autre étant le rapport qu’entretien l’écrit avec l’illustration. J’aime que l’illustration complète le texte et pas qu’elle soit uniquement redondante.
Votre premier album parle d’un petit bonhomme qui part en guerre et revient sans avoir connu la guerre, la tête pleine de souvenirs, le coeur débordant d’amis et un costume multicolore. Quel message souhaitiez-vous transmettre aux enfants? Les enfants ont-ils besoin de textes profondément optimistes?
Je voulais parler dans ce livre d’un enfant à qui l’on dit d’aller faire la guerre. On peut imaginer que cet enfant ne va pas à l’école. Il a pris l’habitude d’obéir. Mais comme il a un bon fond, les rencontres sur son chemin vont l’amener à aider des gens, à se faire des amis. Je ne voulais pas délivrer un message. Je voulais que ce texte puisse entraîner des questions. Nous, si l’on nous disait de prendre les armes, le ferait-on ? Obéirait-on, aveuglément ? Est-ce que si cet enfant (faisant référence aux enfants soldats) allait à l’école, il aurait obéi ? Qu’aurait fait cet enfant s’il avait rencontré des soldats ? La fin est optimiste. Ce n’est pas toujours le cas dans les textes que j’écris. Je ne pense pas que ce soit obligatoire dans un livre. Mais je voulais que cet enfant continue son chemin, ses rencontres…
Les superbes illustrations d’Alessandra Fussi ont-elles été en conformité avec votre imaginaire? Quels souvenirs retirez-vous de cette première expérience d’auteur découvrant les illustrations de son récit?
Quand j’écris un texte, j’ai des images très précises dans la tête… Comme dans un film. Donc, les illustrations seront toujours différentes de celles que j’avais imaginées. Et c’est vraiment enrichissant. Car, je vois comment une autre personne s’approprie mon texte avec son vécu, sa culture… Et comme Alessandra a énormément de talent, j’étais enchanté du résultat. Les illustrateurs et illustratrices m’impressionnent beaucoup car je ne sais pas du tout dessiner. Il y a un côté « magique » de voir les personnages, les lieux « prendre vie ».
« Différent » est votre quatrième album: pensez-vous que votre écriture a évolué, que vos enjeux ont changé avec le temps? Je ne crois pas que mes enjeux aient changé. Le principal pour moi est de prendre le maximum de plaisir à écrire et si possible à en donner aux futurs lecteurs(trices). Que mes textes puissent intéresser les enfants mais également leurs parents, grands-parents… Que mes textes aient différents niveaux de lecture. Et puis, amener les lecteurs à se poser des questions. Quant à mon écriture, elle évolue forcément. Même si j’ai du mal à l’analyser. J’essaie d’être plus concis, de laisser le plus de place possible à l’illustration, aux non-dits.
Dans « différent », vous jouez avec les pronoms qui s’emmêlent, non? pour quelles raisons?
J’aime écrire des histoires en parallèle (mouton et loup) qui se rejoignent. Dans cette histoire, ça me semblait intéressant d’utiliser deux pronoms qui identifient et différencient les deux personnages principaux. Car, sans le savoir, ils se ressemblent beaucoup. Voilà pourquoi les phrases qui évoquent le loup et le mouton ont des structures identiques avec des pronoms qui diffèrent. Et puis, quand ils se rencontrent, les deux pronoms ne font plus qu’un : « nous ». Je voulais symboliser ainsi leur amitié. J’aime bien aussi jouer avec les mots, la grammaire…
Ce texte déborde de poésie, d’oxymores et d’envie de tolérance: aviez-vous imaginé des dessins en papier mâché? Qu’apporte, selon vous, la technique de Chloé Rémiat à votre récit?
Je n’avais pas songé à ce type d’illustrations. Mais je suis très content du résultat. Nathalie Collon a le talent d’associer les auteurs et les illustratrices. Je trouve que le papier donne du réalisme à l’histoire et permet de révéler fortement les sentiments des personnages : peur, tristesse, joie. Chloé Rémiat est très douée.
Apprendre la différence et l’accepter est une des premières leçons de l’école, non? Quels autres thèmes avez-vous envie aujourd’hui d’aborder? D’autres projets d’albums?
Oui, il est évident que l’école a pour but d’apprendre à vivre ensemble, d’accepter les autres. Ce qui est tout sauf évident. Sinon, j’ai écrit d’autres textes qui abordent le temps qui passe, la mort, la solitude… J’aime bien également les histoires qui font peur comme dans « Barbe Bleue ». J’ai un certains nombre de projets en cours qui trouveront peut-être un éditeur… J’aimerais aussi être capable un jour d’écrire un roman…