Edward Albee : L’homme est un animal comme les autres
Par Julie Cadilhac –bscnews.fr/ Crédit-photo: Marc Ginot/ Un couple, Peter et Ann, en crise. Une crise sournoise pour ces bourgeois intellectuels car les masques ne tombent ( presque) pas, les blessures sont encaissées et les incompréhensions restent tacites parce que l’incommunicabilité règne. Ce n’est pas parce que l’on parle en effet qu’on conçoit un échange fructueux. Ce qui brise Peter et Ann, ce sont leurs différences intrinsèques, immuables et contre lesquelles il est vain de combattre. Aussi ils sont des modèles d’adaptation, des « résignés souriants ». Leur dialogue résonne avec un mélange terrible de gravité et de légéreté : car la raison les amène toujours à repousser leurs réactions instinctives, les ramène dans un droit chemin où ils s’embourbent – mais la tête haute. Dans un parc, Peter croise Jerry qui erre… en quête d’un vrai dialogue peut-être mais, comment savoir?
Deux tableaux sont présentés aux spectateurs, La Maison puis le Zoo, dans lesquels les fissures sont tout à la fois force et faiblesse. Force parce qu’elles magnifient l’être et sa pensée : l’écorché devient poétique, hâbleur, maître d’une matière de douleurs et de frustrations qui se métamorphose en une prose romanesque, grouillante de vie et d’émotions exacerbées. Faiblesse parce qu’elles sont le reflet d’êtres inadaptés ou subissant une vie qui ne leur convient pas. Xavier Gallais est époustouflant dans son rôle de naufragé qui divague, arrivant soi-disant d’un zoo, et profondément instinctif. Son animalité lui donne des airs de fou, à tort ; mais il se meut et réagit avec une spontanéité et une proximité perçues comme envahissantes car non conformes à la norme sociale.
On applaudira pour cette création d’abord le texte d’Edward Albee, même si, incontestablement ,on préfère la seconde partie – Le Zoo – écrite plus de cinquante ans avant La Maison. L’adaptation de Jean-Marie Besset permet une limpidité d’écoute sans ôter la poésie et le souffle de l’oeuvre dramatique: elle est donc à saluer également. Gilbert Désveaux de son côté a effectué un travail remarquable de direction d’acteurs ; il utilise de surcroît intelligemment l’espace et orchestre une rencontre entre Peter et Jerry aussi fantastique que juste. La scénographie d’Annabelle Vergne et les lumières de Maryse Gautier se marient parfaitement aux thèmes évoqués sur le plateau. Les comédiens, enfin, sont d’une grande justesse : Anne Loiret émeut en épouse policée qui s’autorise des digressions vite maîtrisées mais dont on entend les frustrations hurler derrière la poitrine, Jean-Pierre Lorit est agaçant de perfection raisonnable et Xavier Gallais troublera tous ceux qui, un jour, ont eu la chance de croiser un Jerry et ont vibré à son verbe illuminé, la tête dans les étoiles, qui, « rimant au milieu des ombres fantastiques, comme des lyres (…)tirai(t) les élastiques , de (s)es souliers blessés , un pied près de (s)on cœur! » ( Baudelaire, Ma Bohème). A voir!
Titre: La maison et le zoo
Auteur: Edward Albee
adaptation: Jean-Marie Besset
Mise en scène: Gilbert Désveaux
Avec Xavier Gallais, Anne Loiret et Jean-Pierre Lorit
Dates des représentations:
-Du 1er au 12 octobre 2013 au Théâtre des 13 vents à Montpellier
– Les 28 et 29 novembre 2013 au Théâtre 95 ( Cergy-Pontoise)
– Du 4 juin au 29 juin 2014 au Théâtre du Rond-Point ( Paris)
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