« Opération Commando » en Macronie ?
Tribune d’Henri Feng, Docteur en histoire de la philosophie
Le nouveau Premier ministre, Jean Castex, a prononcé son discours de politique générale, le 15 juillet. Il s’agissait, en effet, de tracer les grandes lignes des dix-huit prochains et derniers mois du premier mandat présidentiel d’Emmanuel Macron, dont l’ambition de se représenter en 2022 ne fait pas vraiment l’ombre d’un doute : rien de neuf en Macronie, en l’occurrence, un énième plan pour « la jeunesse », de l’écolo-sociétalisme (plus de pistes cyclables), la reprise des négociations sur les régimes de retraite, un projet de loi à venir contre « les séparatismes », etc. De toute façon, dans l’optique des élections départementales et régionales de 2021, il fallait bien un élu de terrain, qui plus est à l’accent gersois, pour donner l’impression d’un retour aux fondamentaux de la politique française depuis la Révolution : l’art d’être un notable. D’ailleurs, Castex avait annoncé, dès le 8 juillet, « un gouvernement de combat, tourné vers l’efficacité, un gouvernement de dialogue et des territoires ». Puisque les équipes ministérielles d’Edouard Philippe avaient péché par un grand mépris à l’endroit des gilets jaunes (surtout ceux de la fin de l’année 2018). Et que dire des multiples couacs de communication des Sibeth Ndiaye et compagnie ?
Pourtant, seul un tiers du gouvernement a été renouvelé par le Président Macron et « Monsieur déconfinement » : Bruno Le Maire et Jean-Michel Blanquer sont conservés et renforcés respectivement à l’Économie et à l’Éducation nationale, Olivier Véran toujours à la Santé, Jean-Yves le Drian encore au Quai d’Orsay, mais Gérald Darmanin promu à l’Intérieur (« Kéké Castaner », de retour à l’extérieur), Barbara Pompili renvoyée à l’Écologie (elle avait occupé ce ministère sous la tutelle de Ségolène Royal en 2016-2017), la pharmacienne Roselyne Bachelot à la Culture (après avoir occupé à outrance les plateaux de télévision), Gabriel Attal remplaçant la sémillante Sibeth au porte-parolat, la nouveauté venant plutôt de la nomination du ténor du barreau Éric Dupond-Moretti à la tête de la Chancellerie. Voilà, donc, une équipe censée répondre à la désertification électorale croissante depuis l’élection de Macron à la Présidence de la République : prés de 26% d’abstention au second tour de la dernière présidentielle de 2017, prés de 52% d’abstention au premier tour des législatives et près de 60% d’abstention à l’issue du second tour des municipales du 28 juin dernier. Un pays fracturé géographiquement et sociologiquement, où les zones périphériques et les petits territoires laissent désespérément le pouvoir aux centres-villes, autrement dit à une minorité idéologique pour qui le cœur demeure à gauche tant que le portefeuille reste à droite.
À l’évidence, la sociologie est à la politique ce que la métaphysique est à la physique : l’étude de l’essence de la chose en question. Ainsi, la sociologie, disait Bourdieu, « se présente comme une topologie sociale ». Et notons que la France est divisée en trois blocs depuis le début des années deux mille : l’Ouest ouvert sur le monde et de culture néo-protestante, le Nord paupérisé et en proie à toutes les migrations, puis le bloc Est/Sud imprégné essentiellement d’un esprit identitaire et souverainiste. Il suffit de regarder la carte des résultats du premier tour de la présidentielle de 2017 pour s’en convaincre. À cela s’ajoute les villes de Paris et de Lyon qui sont de plus en plus gentrifiées [cf. Fractures françaises, Christophe Guilluy, éditions Flammarion, collection « Champs-essais », 2013]. D’ailleurs, Nicolas Sarkozy avait, en son temps (lors de sa campagne victorieuse de 2007), réussi, peu ou prou, l’exploit de parler à ces trois Frances sur la base d’un triptyque idéologique incarné par l’alliance subjective, voulue par l’ancien Maire de Neuilly, entre le social-libéral Alain Minc, le souverainiste Henri Guaino et le conservateur Patrick Buisson (ou « identitaire », dit-on, aujourd’hui).
Par la suite, François Hollande a gagné l’élection présidentielle de 2012, en écartant éhontément le bloc Est/Sud. En quelque sorte, Terra Nova avait eu la peau de Mamie Nova. Le grand remplacement, c’était déjà « maintenant », et la France des clochers devait à souhait se laisser caricaturer. En somme, Macron n’a fait que récolter les fruits d’un arbre devenu, tragiquement, pourri : la France n’étant déjà plus la France, mais une vague province américaine où le credo « yes we can » tend à effacer le credo « la République une et indivisible, c’est notre Royaume de France », de Charles Péguy. Alors, la République en marche claironne encore sur la fin de la République française, dans la mesure où son chef pense international. D’ailleurs, celui-ci n’aura jamais loupé une occasion de critiquer, de l’étranger, les us et coutumes du peuple qu’il est censé incarner, et souvent en anglais de surcroît, l’objectif étant de se faire bien voir devant les médias du monde entier.
Et force est de constater, à présent, que le macronisme, que les camps national et conservateur subissent avec patience, n’est qu’un bougisme, et ce, au même titre que le sarkozysme : la recherche du « contact » face à la caméra et les coups de menton, sans oublier l’affairisme et les combines (politiques). Puis notons que Castex a travaillé à l’Élysée durant la dernière année du mandat sarkozien, et que le foccartiste Robert Bourgi a présenté Dupond-Moretti à l’ancien chef de l’État, de 2007 à 2012 (selon ses dires sur le plateau de LCI, le 7 juillet), ceci faisant quelque peu écho à l’article de RFI intitulé « Les affaires africaines d’Éric Dupond-Moretti, nouveau ministre français de la Justice », publié le 7 juillet. Par conséquent, il ne faut pas se tromper : d’une certaine manière, ce gouvernement Castex n’est que le cache-sexe de la Macronie. Parce que, si « Opération » il y a, ne serait-ce pas, d’abord, une « Opération Exfiltration » au profit du désormais ex-Premier ministre et consorts, vis-à-vis des nombreuses plaintes déposées après le confinement anti-Covid ? De plus, entre la popularité grandissante du chiraquien Philippe (54%, d’après une enquête d’Orange-RTL du 19 juin) et l’impopularité des technocrates comme Muriel Pénicaud (limogée, depuis, à la direction du ministère du travail), entre autres, la « start-up nation » et son saint-simonisme avaient du plomb dans l’aile. Toujours est-il que la Macronie doit survivre en dépit de Macron lui-même : préparer, pour l’oligarchie, le coup d’après, c’est-à-dire pour Xavier Niel, Patrick Drahi et Bernard Arnault, principalement. Encore et toujours, rien de nouveau dans le « Nouveau monde »…