Macron face au coronavirus : aux confins des frontières

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À compter du 17 mars, la France s’est retrouvée plongée dans le confinement général face à la propagation mondiale du coronavirus chinois (qui sévit depuis le 30 décembre dernier) ; une première dans son histoire. Après avoir fermé, coup sur coup, les écoles et la plupart des commerces (sauf les établissements vendant le strict nécessaire), entre le 12 et le 14 mars, le Président Macron a, en effet, opté pour un grand confinement de sa population, digne des situations de guerre.

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Tribune d’Henri Feng, Docteur en histoire de la philosophie

À compter du 17 mars, la France s’est retrouvée plongée dans le confinement général face à la propagation mondiale du coronavirus chinois (qui sévit depuis le 30 décembre dernier) ; une première dans son histoire. Après avoir fermé, coup sur coup, les écoles et la plupart des commerces (sauf les établissements vendant le strict nécessaire), entre le 12 et le 14 mars, le Président Macron a, en effet, opté pour un grand confinement de sa population, digne des situations de guerre.

Le retour à la réalité

Dorénavant, la pratique du pouvoir ne sera plus une partie de plaisir pour les startupers macroniens. Ou quand la peur de la réalité fait le lit de l’irresponsabilité ; à l’image d’Agnès Buzyn, qui a quitté précipitamment le ministère de la Santé pour se porter candidate à la Marie de Paris (le 17 février). A la frontière de la décence … Mais le principe de plaisir se heurte toujours à celui de réalité. Finalement, les États dits « modernes », économiquement libéraux et sociétalement libertaires, n’ont-ils pas un véritable problème philosophique avec l’idée de frontière, qui elle seule aurait permis d’affronter plus efficacement cette crise sanitaire ? En outre, que dire de ces nations européennes qui ont beaucoup trop tardé à fermer leurs portes, afin que chaque peuple puisse se sentir d’abord libre chez lui ? Parce que force est de constater qu’il s’agit d’une hécatombe pour le Vieux Continent : plus de 75.000 décès ! Tout ceci contraste nettement avec les 215 de Corée du Sud et les 100 du Japon. Remarquons que le pays du Matin calme n’a pas confiné sa population, alors que celui du Soleil levant le fait de la manière la plus mesurée possible. À l’évidence, ces Asiatiques du Nord ont su se protéger par d’autres moyens que les Européens, malgré leurs proximités géographiques avec la Chine, pays où le virus est apparu via la ville de Wuhan, lieu d’un vaste marché de viande de brousse, dont celle de chauve-souris. En bref, un foyer épidémique à grande échelle.

Du reste, au nom de la « rationalisation » du mode de fonctionnement des hôpitaux publics ainsi que d’une formation de plus en plus lacunaire – par cartésianisme, la médecine française brille peut-être par son esprit logique, mais pèche par son approche mécaniste du corps –, nos CHU ne sont-ils pas investis par des médecins venus d’Europe de l’Est au mieux, du tiers-monde au pire ? Ou quand la crise logistique détermine la crise sanitaire. Que dire aussi du dépècement budgétaire de notre armée nationale, dont les moyens ne seraient jamais à la hauteur d’une guerre bactériologique ? Uniquement 1,86 à 2% de notre PIB. Bien au contraire de la Chine où les frontières et les militaires n’ont pas tardé à intervenir. Résultat : le pic de contamination est passé dans l’Empire du Milieu, en dépit du seuil substantiel de 4.000 décès, chiffre officiel mais dont il est permis de douter. Maintenant, il est clair que la fermeture immédiate des lignes aériennes partant d’Asie et le blocage drastique des déplacements dans l’espace Schengen auraient sauvé nos ainés et d’autres personnes à risque. Bon gré mal gré, Wuhan n’est pas en France. On ne peut donc que se rendre compte de la force du tragique, les vieux archaïsmes revenant éternellement. Et, en ne voulant pas privilégier la méfiance à l’égard des États, Emmanuel Macron n’a fait que susciter la méfiance entre individus. Sans doute, le début du chaos quand on voit les populations des banlieues, en particulier, ne pas vouloir jouer le jeu – trop national sans doute ! – de la « distanciation sociale ».

La question des frontières chez les philosophes

À cause de ces Messieurs accrochés à leur idéologie sans-frontiériste tels des mollusques à un rocher, la société civile française s’apprête à vivre en coupe réglée, au minimum pour six semaines. Voilà pourquoi il convient de s’interroger sur les motivations philosophiques de toutes ces décisions de celui qui se targue d’être le disciple de Paul Ricœur (1913-2005) et le fils intellectuel du conseiller des Princes depuis 40 ans, Jacques Attali. Pourtant, de La République au Politique, le maître Platon avait clairement posé la question des limites en faisant montre d’une pure apologie de la nation et de la royauté : la cité-État grecque fut, à la manière de l’Idée, la seule forme politique viable. En bref, une limite territoriale où le dedans n’est plus le dehors ; où l’homogénéité ne se mêle pas à la spécification. Un héritage proprement européen, tout en étant universel, si l’on s’attarde à penser avec Régis Debray (né en 1940) la notion même de frontière, dont il parle dès 1967 (La Frontière, publié chez Seuil), avant que l’humanité ne bascule définitivement dans la globalisation, c’est-à-dire dans la mondialisation reconstituée par la double lame haute finance/haute technologie : l’homme moderne serait programmé, d’un bout à l’autre de la planète, pour devenir standard ; ici et là le même ! Ce travail sera repris en 2010 à travers l’essai intitulé Eloge des frontières (Gallimard), l’auteur démontrant brillamment en quoi la frontière n’est rien d’autre que la porosité, et non pas le mur. Non pas l’outil du sectarisme, mais plutôt celui d’un certain cosmopolitisme.

De façon similaire, Platon avait manifesté la dialectique possiblement harmonique entre l’identité et la différence, cette dernière étant aussi bien celle du genre que de l’espèce. Comment ne pas évoquer ici ce que Socrate avait rapporté de son échange avec Diotime, dans Le Banquet, concernant l’origine d’Eros, le dieu de l’amour ? « Alors Pénia [« l’indigence »], s’avisant qu’elle ferait bien dans sa détresse d’avoir un enfant de Poros [« l’abondance »], s’alla coucher auprès de lui, et conçut Eros. » En somme, toute frontière est une limite de l’être, l’épiderme comme principe des rapports de chair. Donc, le frisson se ressent d’autant plus quand une limite est franchie : il n’est ni plus ni moins que le contrepoids de l’existentielle angoisse. Ou la frontière comme seule condition de possibilité de l’amour, si ce n’est du métissage, tant celui des corps que celui des âmes. Sur le plan strictement politique, cette authentique dialectique du Même et de l’Autre permet de définir l’identité culturelle : une espèce s’inscrivant durablement dans un genre ; son peuple par rapport à la masse humaine. Un logos – « parole » ou « discours » – qui est alors à même de discerner le vrai du faux, et qui constitue « ma place » dans l’infinité du cosmos. La frontière, le meilleur antidote contre le poison du vertige, l’autre nom de l’angoisse, ce mal-être qui dit indéfiniment « peut-être »…

Quoi qu’il en soit, le « no limit » des Anglophiles ne pouvait que s’écraser sur une ultime limite. Affirmons alors que le nationalisme n’est pas la guerre, mais plutôt le contraire. Sur ce point précis, le philosophe Alain (1868-1951), contemporain de la Première Guerre mondiale, avait compris, dans ses Propos sur les pouvoirs, en quoi les sociétés étaient nées du besoin de protection avant de celui de nourriture : « J’en conclus (…) que l’Economique n’est pas le premier des besoins. Le sommeil est bien plus tyrannique que la faim. On conçoit un état où l’homme se nourrirait sans peine ; mais rien ne le dispensera de dormir, si fort et si audacieux qu’il soit, il sera sans perceptions, et par conséquent sans défense, pendant le tiers de sa vie à peu près. Il est donc probable que ses premières inquiétudes lui vinrent de ce besoin-là ; il organisa le sommeil et la veille : les uns montèrent la garde pendant que les autres dormaient ; telle fut la première esquisse de la cité. La cité fut militaire avant d’être économique. » Assurément, l’Histoire se venge toujours…

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