No Land’s Song: un plaidoyer musical contre l’absurdité d’une tyrannie
Depuis la révolution de 1979, l’Iran interdit aux femmes et particulièrement aux solistes de chanter devant un public mixte. En effet, selon les dires de la guidance islamique, toute voix féminine serait susceptible d’atteindre une fréquence sonore pouvant provoquer du plaisir, voire de l’ivresse, à un spectateur masculin …
Malgré cette interdiction, la jeune compositrice Sara Najafi a décidé de tout mettre en oeuvre pour faire raisonner les voix de ses consœurs au cœur de Téhéran. Défiant la censure et les difficultés, il lui a fallut prés de trois ans pour parvenir à ses fins. Ce documentaire, réalisé par son frère Ayat Najafi, nous entraîne en musique dans les pas agiles et déterminés de cette jeune iranienne.
Tout commence en 2011 lorsque Sara entreprend de tendre un pont culturel entre son pays et la France en organisant officiellement un concert de femmes. Prenant contact avec des chanteuses iraniennes (Parvin Namazi), tunisienne (Emel Mathlouthi) arménienne (Sayeh Sodeyfi) et françaises (Élise Caron et Jeanne Cherhal), elle souhaite intrinsèquement se servir de cet évènement pour faire changer les mentalités locales en montrant aux autorités à quel point l’art lyrique peut transcender les mœurs. Le ministère et les chefs religieux ne l’entendent cependant pas de cette oreille: considérant cette requête farfelue comme un acte révolutionnaire, ils ne fournissent à Sara aucune autorisation et font même peser des menaces à son encontre. Armée de son dictaphone dissimulé sous son hijab, la jeune fille enregistre tous ses rendez-vous ministériels afin de montrer au monde à quel point l’interdiction de faire chanter une soliste est totalement dénuée de sens. En effet, à chacune de ses visites, Sara doit faire face à d’archaïques bureaucrates qui lui imposent des barrières frisant le ridicule: si ce concert est toléré, il devra être complété par des musiciens hommes, personne ne pourra danser ou gesticuler sur scène, les voix de femmes devront être couvertes par les accompagnements, quant aux membres du public, ils seront tous sélectionnés à l’avance…
Malgré la pression, Sara ne renonce pas: trop passionnée pour se laisser bâillonner, elle réussit à obtenir les visas de ses amis artistes et fait découvrir à ces étrangers le poids réel d’un régime totalitaire. La rencontre musicale est cependant très belle car par delà les langues et les races, tous ces chanteurs réussissent merveilleusement à s’entendre et se comprendre. Demeurant à l’unisson face aux coups dissuasifs du ministère de la culture et à ses argumentations théologiques, ils s’entraînent avec passion, mêlent leurs voix, leurs rythmes mais aussi leurs racines pour faire jaillir de magnifiques moments de musique.
À travers cette parenthèse chantée qui se soldera finalement par une représentation unique face à un public restreint, le réalisateur tente poliment de nous montrer à quel point la révolution iranienne a annihilé toute la richesse culturelle de son pays. Depuis 1979 la plupart des cinémas ont été fermés par le gouvernement, les théâtres aussi, sans parler des cabarets ou de la simple vente de CD jugés indécents par le parti. Revenant en images sur les grandes chanteuses iraniennes des années 20 et 60, Ayat Najafi porte un regard nostalgique sur un âge d’or qu’il s’évertue à faire revivre à travers le concert iconoclaste de sa soeur. En écoutant cette performance finale, les spectateurs ressentent avec émotion la beauté et la puissance de ces chants de femmes qui s’élèvent mélodieusement pour quémander leur liberté. En quittant la salle, l’on se dit qu’il faut avoir un esprit bien étrange pour faire de ces charmantes solistes de si viles pécheresses…
No Land’s Song: un reportage musical oscillant entre la voix de Dieu et celle des femmes…
No Land’s Song
Réalisé par Ayat Najafi – Long Métrage documentaire
Avec Imed Alibi, Élise Caron,Jeanne Cherhal, Chakad Fesharaki, Sébastien Hoog, Sara Najafi, Ali Kazemian, Emel Mathlouthi, Edward Perraud, Ali Rahimi, Sayeh Sodeyfi et Maryam Tajhdeh
2014 – 1h33
Ce film a participé au festival des droits de l’homme de 2015
Sortie en salles le 16 mars 2016 (Distributeur Jour2Fête )
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