Émirats arabes unis : Alia Abdel Nour ou une justice de destruction massive
Par François Mattei, journaliste d’investigation – Une jeune femme atteinte d’un cancer depuis quatre ans, est morte en prison à Abu Dhabi au début du mois de mai. En y regardant de près, cette terrible histoire ressemble plus à une mise à mort programmée qu’ à une simple accumulation de négligences.
Accusée de terrorisme, Alia Abdel Nour , 42 ans, avait été diagnostiqué comme étant atteinte d’un cancer du sein peu après son arrestation à son domicile, le 29 juillet 2015. A cette époque, les raisons de son incarcération n’étaient même pas connues. Elle ne furent divulguées qu’en 2017 par un tribunal de l’Émirat, après une enquête entachée, d’après Human Right Watch, de tortures physiques , de pressions psychologiques pour tenter de lui extorquer des aveux, ainsi que de manquements aux règles les plus élémentaires du droit pendant son procès : lors de sa première comparution publique, elle n’était même pas assistée d’un avocat. Alia Abdel Nour fut condamnée à 10 ans d’emprisonnement. Pendant ses interrogatoires de police, on lui proférait des menaces de mort contre sa sœur, ses parents, et on lui faisait signer des documents dont elle ignorait le contenu.
Sa famille ne fut admise à la visiter en prison qu’à partir de févier 2016. Transportée pour la première fois en août 2016 à l’hôpital Al Mafraq , elle n’y reçut jamais les soins que nécessitait son problème de santé. Elle y était détenue pieds et mains attachées, dans une pièce sans lumière. Des gardes la surveillaient à l’intérieur même de sa chambre, et l’accompagnaient, poignets liés jusqu’aux toilettes. Sa santé se détériorant très vite à partir de l’automne 2017, sa famille formula à cinq reprises des demandes de libération pour raisons de santé auprès de la Cour Royale, mais ses requêtes furent toutes refusées. Des experts de l’ONU diligentèrent une enquête sur les conditions de détention inhumaines de la jeune femme, et sur l’abandon de tous soins médicaux. Ils demandèrent dans le même temps sa libération.
Le long calvaire d’une femme
La justice d’Abu Dhabi et son Prince , Khalifa Ben Zayed al Nahyane, ne donnèrent aucune suite à cette démarche. Aucune pitié.
Dès son arrestation, violente, pendant le déroulement de laquelle elle fut frappée, tout comme les personnes présentes à son domicile ce jour-là, Alia Abdel Nour a été en permanence traitée de telle façon qu’il apparaît clairement que le but poursuivi était de l’écraser, voire de la tuer . Enfermée au secret pendant les premiers mois de sa détention, seule dans une cellule sans lit, sans ventilation, sans fenêtre, dépouillée de ses vêtements, elle fut privée d’eau, de nourriture, les mains liées, et les yeux bandés.
Harcelée dans des interrogatoires quotidiens sur sa vie privée, sur le sites qu’elle visitait sur internet, elle fut finalement envoyée à la prison d’Al Wathba .
Un établissement pénitentiaire sur-peuplé , où les cellules abritent au moins huit détenus, sans climatisation, sans hygiène, sans le moindre nécessaire de toilette. Des poux et des cafards par milliers diffusent les bactéries et les maladies, tandis que des ouvertures sales, malodorantes, sont le seul équipement dont bénéficient les détenus pour se couvrir.
Des gardiennes d’origine marocaine et népalaise, d’après de nombreux témoignages recueillis par les experts de l’ONU, n’ont cessé d’harasser Alia, de l’humilier en la faisant se déshabiller à la moindre occasion, pour rester nue sous les regards.
Le 4 mai 2019, à la fin de ce calvaire, Alia meurt faute de soins, et à cause de ses conditions de détention.
Dès le 7 mai, le Conseil des droits de l’homme de l’ONU a tenu à souligner que l’absence de traitements avait provoqué la mort d’Alia, et a demandé une enquête sur les circonstances exactes de sa mort. Le même jour, l’Union européenne a accusé les autorités d’Abu Dhabi d’être restées sourdes aux appels à la libération anticipée d’Alia Abdel Nour, alors qu’elle était en phase terminale d’un cancer.
Tragique, la destinée brisée d’Alia Abdel Nour n’est malheureusement pas un accident, une exception.
Aux Émirats, liberté d’expression = crime
En mars 2017, c’est un défenseur reconnu des droits de l’homme, Ahmed Mansour, qui a été arrêté aux États arabes unis, pour « diffusions de fausses informations » sur les réseaux sociaux. Le fait est qu’il venait d’intervenir pour la libération d’Oussama Al Najjar, un pacifiste condamné à 10 ans de prison pour ses déclarations humanistes sur Twitter . Détenu au secret pendant plus d’un an, coupé de sa famille, sans avocat, il purge sa peine. Un éminent universitaire, Nsser Bin-Ghaith, a écopé de la même peine pour avoir émis des critiques sur la politique des autorités des Émirats arabes unis et de l’Égypte . Il avait entamé une grève de la faim pour protester contre ses conditions de détention, mais a du l’interrompre quand les autorités lui ont fait comprendre qu’elles allaient restreindre son droit de visite. Quant à l’universitaire britannique Matthew Hedges, arrêté en mai 2018 à l’aéroport d’Abu Dhabi alors qu’il allait rentrer en Angleterre, il n’a du son salut qu’aux pressions internationales, et a été « pardonné et libéré », après avoir été maintenu au secret, puis condamné à la prison à vie… Ainsi va la justice féodale des Émirats du Golf persique, principaux alliés de l’Arabie Saoudite dans la guerre d’extermination massive menée aux Yémen, et qui a déjà causé des centaines de milliers de morts.