Andrea Mantegna : un tableau exhumé d’un musée italien, qui vaut aujourd’hui plus de 25 millions de dollars
Un joyeux du Quattrocento, représentant la Résurrection du Christ, réalisé par Andrea Mantegna, a été redécouvert récemment à la pinacothèque Accademia Carrara de Bergame, en Italie. Le tableau se trouvait dans les entrepôts du musée, auquel il appartient depuis 1866. Il y a un an et demi l’Accademia Carrara a lancé une oeuvre de recensement dans la perspective de publier un catalogue sous le titre : « Accademia Carrara, Bergamo Dipinti Italiani del Trecento e del Quattrocento » (Accademia Carrara de Bergame. Tableaux italiens du quatorzième et quinzième siècle. NDLR).
Le catalogue a été élaboré sous la direction de Giovanni Valagussa, le conservateur de la pinacothèque. Avant cette découverte, personne ne pensait que ce tableau avait une quelconque valeur. Aujourd’hui, il est estimé entre 25 et 30 millions de dollars. Putsch a pu joindre, en exclusivité, la directrice de l’Accademia Carrara de Bergame, Maria Cristina Rodeschini.
Comment avez-vous compris qu’il s’agissait effectivement d’un tableau d’Andrea Mantegna ?
Lors des travaux d’édition du catalogue dédié aux peintres italiens du quatorzième et quinzième siècle, nous avons également analysé ce tableau que les experts avaient, même récemment, attribué à l’un des disciples actifs à la bottega, c’est à dire, l’atelier du grand peintre. En travaillant là-dessus; nous avons remarqué l’extrême qualité du style l’oeuvre. De plus, nous nous sommes aperçus pour la première fois que, dans la partie inférieure du tableau il y avait une toute petite croix en or, une croix dont la présence à cet endroit du tableau n’avait pas de sens.
L’intuition a permis d’avancer l’hypothèse que cette petite croix était la partie finale d’un élément présent dans un autre tableau. Ensuite nous avons commencé une recherche très pointue, dans le catalogue dédié à Andrea Mantegna. Elle a mis en exergue un autre tableau qui se combinait parfaitement avec celui présent à l’Accademia Carrara. On a donc compris qu’il s’agissait, à l’origine, d’un seul tableau qui, dans la partie supérieure de notre pinacothèque, représente la Résurrection du Christ et, qui dans la partie inférieure reproduit la descente aux enfers pour le rachat des âmes des hommes ayant vécu avant de l’arrivée de Jésus. Un autre signe particulier a attiré notre attention. Il s’agit de la représentation des limbes comme un arc rocheux démarrant dans « notre » tableau et terminant dans l’autre. Après cette phase de reconnaissance, nous avons procédé à la vérification de nos découvertes avec Keith Christiansen, le curateur en chef de la section peinture européenne du Metropolitan Museum of Art de New York (le plus grand expert au niveau mondial d’Andrea Mantegna) et Giovanni Agosti, professeur à l’Université de Milan (un autre grand expert international).
Où se trouve l’autre tableau qui composait l’ouvre unique originaire ? Est-il conservé dans un musée ?
Nous savons qu’il a été vendu aux enchères, en 2004, par Sothesby’s. Le collectionneur qui l’avait acheté avait payé à l’époque 23 millions de dollars. Depuis on a perdu sa trace. C’est plutôt fréquent dans le marché de l’art.
A votre avis, pourquoi le tableau originel a été coupé en deux ?
Il faut dire d’abord que l’oeuvre a été réalisé il y a 500 ans, donc le temps peut l’avoir endommagé. On doit aussi penser que, dans le passé, ce n’était pas rare de couper des grands tableaux en plusieurs parties pour les placer sur le marché. Dans ce cas précis, il s’agissait de deux scènes autonomes, pouvant exister séparément. Cela doit avoir facilité la séparation. C’est ce qui s’est passé pour certains grands polyptyques qui, dans leurs version unifiée, étaient plus difficilement commercialisables à la différence de ses parties séparées.
Pensez-vous organiser une exposition dédiée à ce chef d’oeuvre retrouvé ?
D’abord nous avons commencé la restauration du tableau afin de remettre en valeur les couleurs d’origine minérale, utilisées par Andrea Mantegna. La restauration devrait durer six ou sept mois, pendant lesquels, les visiteurs de l’Accademia Carrara pourront voir les restaurateurs travailler sur le tableau en vif. Ensuite, nous souhaiterions effectivement organiser une exposition dédiée à ce peintre. Idéalement, il serait formidable de pouvoir admirer notre tableau, côte-à-côte de sa partie complémentaire. Mais cela dépend de la disponibilité du propriétaire actuel du tableau vendu en 2004. Qui d’ailleurs pourrait être une personne différente de celle qui l’a achetée.
Si malheureusement le deuxième tableau n’était pas mis à disposition par son actuel propriétaire, pourriez-vous exposer d’autre tableaux de Andrea Mantegna ?
Bien sûr. L’ Accademia Carrara possède un autre chef d’oeuvre de ce peintre. Il s’agit d’une Madone à l’enfant sur toile. Sa particularité est d’avoir été peinte sur une toile de lin sans être recouvert par du vernis. Grâce à cette spécificité il s’agit d’une oeuvre très rare. Il en existe seulement deux dans le monde. L’absence de vernis permet d’admirer les couleurs du tableau dans toute leur splendeur. Cette Madone à l’enfant a été réalisée dans la période de la maturité du peintre, vers 1490. C’est à dire après la réalisation de ses œuvres les plus célèbres telles que la Camera degli sposi (en français la « Chambre des époux ») peinte dans le Castello San Giorgio du Palazzo Ducale de Mantoue).
Quelles seront les prochaines expositions organisées par l’Accademia Carrara pour les mois à venir ?
En octobre 2018 aura lieu une exposition sur Sandro Botticelli, lors de laquelle nous allons exposer les trois tableaux de ce maître de la peinture italienne, qui se trouvent dans notre pinacothèque. Pendant l’été, il y aura la restauration du tableau de Mantegna en vif. Pour le mois de mars 2019, nous pensons exposer des tableaux de Jacques-Louis David.
(crédit photos :Accademia Carrara, Bergamo (photos des tableaux et de la pinacothèque), Federico Buscarino (photo de Maria Cristina Rodeschini)
Pour aller plus loin : Accademia Carrara ; pages dédiées à la découverte du tableau d’Andrea Mantegna
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