Lidija et Sanja Bizjak : des soeurs peu classiques

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Par Romain Rougé – D’origine Serbe, Lidija (l’aînée) et Sanja (la cadette) forment un duo de pianistes atypique. Douze ans les séparent mais la musique classique les rassemblent. . Duettistes jusqu’au bout, les soeurs Bizjak reviennent sur leur parcours et leur travail en commun dans une interview deux en une.

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Douze ans vous séparent. Hormis cette distinction d’âge, qu’est-ce qui vous différencient dans le travail et dans votre personnalité ?

Lidija : Douze ans n’est évidemment pas seulement une différence d’âge, mais tout ce qui va avec : nous nous retrouvons constamment dans les périodes – différemment différentes ! C’était une chose quand on commençait à pratiquer un peu plus souvent le duo quand Sanja avait 15 ans et moi 27 : elle s’intéressait à beaucoup d’autres choses comme le clavecin, ses propres études qu’elle finissait à Paris chez notre professeur commun Jacques Rouvier, et elle continuait dans les classes prestigieuses de Alexander Satz, Elisso Virsaladze et Dmitri Alexeev à Graz, à Munich et à Londres. Au final, c’est moi qui était un peu plus intéressée au développement du duo. C’était une jeune fille prometteuse et moi une musicienne avec quelques prix internationaux et quelques concerts importants derrière moi.
Depuis beaucoup de choses ont changé : j’enseigne le piano à Caen, nous avons toutes les deux nos carrières distinctives, l’investissement dans le duo s’est équilibré et on avance de concert en concert, d’un enregistrement à un nouveau projet de CD.
Nos tempéraments sont aussi assez différents et on essaye de tirer le meilleur de toutes ces différences !

Vous dites que le fait d’être sœurs « ne change rien dans l’interprétation mais peut changer dans le tempo du travail » parce que, contrairement à des collègues, vous pouvez « dire les choses plus clairement et avancer plus rapidement ». Dès lors, comment se passent les séances de travail entre vous ?

Lidija : Bien et mal ! Ça dépend des jours, des sujets, de l’humeur, des périodes. Le problème de travailler ensemble, avec quelqu’un qui vous est si proche, est bien connu dans n’importe quel domaine car on risque souvent de mélanger les deux choses, et la sagesse est très précieuse ! Mais à part le fait que nous ayons des « origines » musicales très semblables et que nous ne devons pas discuter de beaucoup de choses qui sont sous-entendues, cette proximité est aussi un de nos points le plus fort. Il y a peu de moments dans ma vie où je me sens autant en sécurité qu’avec Sanja sur scène, et cela m’est inestimable.

Sanja, vous avez déclaré que la musique russe dans laquelle vous avez baigné était votre « madeleine de Proust ». Quel souvenir gardez-vous de ces années musicales à Belgrade ?

Sanja : Avec ma professeure de piano à Belgrade nous avons travaillé plein de pièces pour enfants des compositeurs russes comme Prokofiev, Kabalevski, Chostakovitch, des partitions qu’elle a rapporté de ses voyages en Russie. Un peu plus tard, j’ai travaillé plusieurs Etudes-Tableaux op.33 de Rachmaninov que j’ai gardés dans mon répertoire jusqu’à aujourd’hui pour l’enregistrer en CD. Il y a trois ans, je l’ai complété avec l’opus 39. Même si nous avons travaillé beaucoup de répertoires classiques et romantiques, on peut dire que les Etudes-Tableaux sont ma « madeleine » à laquelle je reviens régulièrement pour retrouver toujours quelque chose de nouveau.

Vous avouez l’importance de l’influence des professeurs de piano venus de Russie parce que la Serbie était un pays « au régime beaucoup plus libre que les autres pays de l’Est ». Pensez-vous que cette pédagogie initiée dans les années 1960-1970 influence encore aujourd’hui les nouvelles générations ?

Lidija : Je pense que l’éducation musicale a énormément changé depuis parce que nous avons beaucoup moins de différence entre les écoles russes, françaises, italiennes, allemandes… Cela peut donner des bonnes choses comme par exemple, plus de choix et de liberté d’interprétation. Dès lors, cela signifie qu’il faut aussi aller un peu plus chercher dans l’instinct même de chaque musicien, mais cela peut aussi faire l’effet contraire, avec le danger que de plus en plus de pianistes jouent de la même manière un peu partout dans le monde. Même si personnellement je ne me sens pas appartenir à une école particulière, j’ai un grand respect pour ce qui reste de l’école russe : c’est pour moi un mélange juste de l’harmonie, l’amour du toucher au piano, le respect pour le compositeur et la recherche constante de son propre sens d’interprétation.

A chacun de vos concerts, vous essayez d’ajouter une oeuvre que vous ne connaissez pas ou que vous découvrez. Qu’est-ce qui motive ces choix ? Y-a-t-il des auteurs-compositeurs qui vous tiennent à coeur ?

Lidija : Ce n’est pas vrai pour chaque concert, mais il est vrai que nous essayons d’apprendre des nouvelles pièces régulièrement, parfois parce qu’un certain répertoire nous intéresse particulièrement, parfois parce ce qu’on nous demande un programme spécial pour un concert. En commençant le duo, nous avons naïvement pensé qu’on ferait vite le tour du répertoire ! Depuis, nous avons compris que plus on joue, plus le répertoire s’élargit ! Nous nous amusons bien dans le répertoire américain pour deux pianos que nous enrichissons depuis quelques années. On joue aussi avec la recherche infinie du son, la pédale ou la flexibilité rythmique à deux dans la musique française. Récemment, nous avons pris du plaisir dans la découverte de la transcription de Reger, des Concertos brandebourgeois de Bach, mais les « must » éternels restent quand même les Schubert et Mozart pour quatre mains.

Vous accordez une grande importance à ce que vos rôles soient équilibrés, surtout quand vous jouez à quatre mains en tournant souvent autour des deux banquettes de piano. Comment arrivez-vous à effectuer ce travail de coordination ? Cela vous demande-t-il beaucoup d’entraînement ?

Lidija et Sanja : Quand on joue à quatre mains, nous sommes comme un quatuor à cordes, nous avons quatre lignes (au moins) pour chaque main. Pour comprendre l’ensemble d’une pièce, nous devons aussi nous intéresser aux parties qu’on ne peut pas jouer physiquement. C’est une question d’habitude d’écoute. Mais ce qui est particulier dans le quatre mains, c’est surtout que c’est le seul moment où deux musiciens partagent le même instrument. Nous apprécions d’échanger les basses et les aigus du piano et de partager la pédale pour ne pas perdre cet équilibre d’écoute.

Depuis votre première représentation en duo en 2002 (lors du concerto pour deux pianos et orchestre de Mendelssohn avec la Philharmonie de Belgrade), est-ce qu’il y a un événement majeur qui a marqué votre carrière ?

Lidija et Sanja : C’est sûrement la participation au Festival de BBC Proms dans Royal Albert Hall à Londres, avec 5000 personnes qui vous écoutent attentivement et réagissent à l’humour de la musique de Saint-Saëns dans Le Carnaval des Animaux. Il y a aussi les visites régulières au Festival de la Roque d’Anthéron, un lieu mythique pour les pianistes où les platanes ont vu passé Richter, Argerich, Lupu, Sokolov… On se sent toujours aussi fiévreux de sortir sur la grande scène sous la fameuse coque parce qu’il y a une atmosphère particulière qui y règne. Mais, comme on dit, il n’y a pas de petits concerts.

Vous êtes attachées toutes les deux à avoir une carrière indépendante de concertistes. Si vous êtes « égales et complémentaires » en duo, qu’est-ce qui vous différencient dans votre carrière solo ?

Sanja : Même si nous avons toutes les deux eu les mêmes professeurs au départ, nous avons quand même douze ans d’écart et nous avons grandi dans des circonstances différentes. Aujourd’hui, Lidija a davantage cette dose de sagesse et de patience. Elle enseigne, elle joue beaucoup de musique de chambre avec d’autres musiciens, elle s’engage dans l’organisation d’un festival en Serbie… De mon côté, je suis encore à la recherche de ce que je pourrais faire avec ma profession, j’ai encore l’âge de faire quelques concours, j’aimerais davantage apprendre du répertoire soliste. Ce qui m’intéresse, c’est de travailler et de jouer avec des chanteurs dans le répertoire du Lied. Parallèlement, je peux devenir assez exigeante pendant nos répétitions en duo.

Debussy, Chabrier, Ravel : vous allez aborder ces oeuvres lors de votre concert au théâtre de Sète. Etait-il important pour vous d’honorer des auteurs-compositeurs exclusivement français ? Quel regard portez-vous sur les oeuvres françaises ?

Lidija : La musique française fait partie de nos vies musicales depuis notre plus jeune âge car notre première professeure à Belgrade, Zlata Maleš (que nous avons eu toutes les deux), a elle-même passé deux ans à Paris auprès de Pierre Sancan. De fait, son goût pour cette sensibilité musicale française si particulière nous a été transmis dès le départ avec des pièces de Debussy et Ravel bien sûr, mais je me souviens aussi d’une toccata de Sancan qui a été à une époque mon cheval de bataille !

Sanja : Depuis nos études au Conservatoire de Paris avec Jacques Rouvier et Maurice Bourgue, nous avons travaillé sur les multiples niveaux sonores, l’instrumentation et l’écriture particulière, un traitement de piano tout à fait révolutionnaire. Tout cela s’est ouvert peu à peu à nous et, aujourd’hui, nous nous sentons presque comme chez nous en jouant ces pièces incroyables que nous avons de la chance d’avoir dans le répertoire original pour le duo de pianos.

Quels sont vos prochains projets en duo et en solo ?

Lidija et Sanja : Après les concerts à Sète et à Alès, nous jouerons pour la première fois à Perpignan avec l’orchestre de de la ville et le chef Daniel Tosi avec qui Lidija a déjà collaboré toute seule. Ensuite nous enchaînons directement avec le festival de Pentecôte dans le Berry avec l’orchestre Pelléas et Benjamin Levy, l’ensemble avec lequel nous avons joué déjà plusieurs fois, et à chaque fois avec beaucoup de plaisir. Enfin en juin, nous revenons pour la troisième fois au festival de Lille, cette fois-ci avec l’orchestre de Picardie et Arie van Beek pour quatre concertos de Bach et de Mozart. Et après, les festivals de l’été commencent…

Lidija & Sanja Bizjak
Duo de piano à quatre mains
Debussy – Charbier – Ravel
Théâtre de Sète – Hérault
Mardi 10 mai 20H30 – 1H15
Réservez votre place ici

www.bizjakpiano.com

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