Sunderland: une comédie sociale qui parle aux ados
De Florence Yérémian – Tout débute par un orgasme au téléphone rose. Dans cette petite ville de Sunderland, la généreuse Ruby s’applique en effet chaque jour à donner du plaisir aux hommes… moyennant pécule. Il faut dire que la vie est dure sous le ciel gris de cette banlieue londonienne: entre les matchs de foot qui s’entassent et les usines d’élevage qui ferment à cause de la grippe aviaire, le climat est déprimant.
Il en va ainsi chez les soeurs Mawln : Sally a justement perdu son emploi et elle ne sait plus quoi faire pour empêcher les services psychiatriques de lui prendre sa cadette atteinte d’autisme. Malgré l’optimisme permanent de leur colocataire Ruby, les perspectives d’avenir sont plus que limitées: soit Sally épouse le jeune Gaven et s’enterre à Sunderland, soit elle se suicide comme le fît jadis leur mère retrouvée pendue au bout d’une corde…
Une petite annonce dénichée dans un journal véreux remet soudain tout en question: un couple sans enfant serait prêt à payer très cher pour avoir une mère porteuse. Sous le regard réprobateur de ses proches, la belle Sally envisage alors de mettre en location… son utérus !
Sunderland est la seconde pièce de Clément Koch. Avec cette comédie sociale sans prétention, l’auteur s’attache à dépeindre le quotidien d’un ersatz de famille. Doté d’une écriture féroce mais pleine d’émotion, il nous livre les problèmes et les doutes de deux soeurs entièrement livrées à elles-mêmes. Ponctuant ses dialogues de lourdes interrogations scandées de répliques ironiques, il parvient à extraire de son récit autant d’amertume que de petits bonheurs.
Afin d’incarner les soeurs Mawln, la metteur en scène Véronique Febvre a choisi deux jeunes comédiennes : Estelle Martin qui prête ses jolis traits et sa nervosité à Sally, et Anne Cabon qui interprète sa petite soeur autiste avec une certaine candeur. Bien que la première possède un jeu encore instable et que la seconde soit trop répétitive dans sa gestuelle, ces demoiselles attendrissent leur public grâce à l’amour et la dépendance qui lient leurs protagonistes. Fort heureusement, elles sont chaperonnées par Marine Berthelier qui vient divertir la galerie avec le personnage fort en gueule de Ruby. Enveloppée de collants roses fluo et d’une jupe léopard, cette corpulente actrice est d’un tempérament plus que revigorant. Assumant parfaitement le côté prolétaire de son héroïne banlieusarde, Marine Berthelier nourrit son jeu de paillardises et d’étourderies qui la rendent vraiment lumineuse. Rythmant ses répliques de sourires en coin et de réparties corrosives, cette boute-en-train réussit sans se forcer à ponctionner la pièce de toute sa tristesse.
Bien qu’orchestrée par une troupe d’amateurs, cette récente adaptation de Sunderland possède une singulière raisonnance. Certes, elle mérite une mise en scène plus recherchée, de véritables transitions scéniques et une musique en phase avec les évènements, mais elle n’en demeure pas moins d’une grande authenticité. Offrant des rires autant que des larmes, elle a le pouvoir particulier de séduire un public d’adolescents qui semblent réellement se reconnaitre dans cette palette de personnages en mal de vivre. La pièce a d’ailleurs obtenu le Prix des Collégiens lors du XXVe Festival théâtral de Maisons-Laffitte.
Sunderland ? Une histoire d’amour, de sacrifices et de spermatozoïdes…
Sunderland
Une pièce de Clément Koch
Mise en scène par Véronique Febvre
Interprétée par la Compagnie du Rideau Bleu: Marine Berthelier, Agnes Bonhomme, Anne Cabon, Alexandre Deville, Jean-François Gomez, Estelle Martin, Vicky Matranga, Nicolas Plas
Site de la Compagnie du Rideau Bleu:
http://rideaubleu.wix.com/rideaubleu#!sunderland/g9cdw
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