Mythologie : Le syndrome du Minotaure

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Par Sophie Sendra – Dans la mythologie grecque, le Minotaure fut enfermé par Dédale afin de cacher son existence au reste du monde. Mi-homme, mi-taureau il symbolise les pulsions les plus enfouies de notre inconscient, notre côté « animal ». Tué par Thésée, avec le concours d’Ariane, il représente dans la symbolique, la quête de la signification la plus profonde de nos comportements et la maîtrise de notre nature.

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Tout le monde peut se rappeler que Dédale, connu pour son génie, permit de contrôler et de cacher la « bête » dangereuse en édifiant sa plus belle réussite, un labyrinthe exceptionnel. En enfermant la bête, Minos espérait cacher la naissance du « monstre », cet « objet » de tromperie. En l’empêchant de sortir au grand jour, Minos pensait que sa mémoire l’oublierait et que Poséidon ne s’apercevrait pas de son méfait.
Tel Thésée, le monde comme il va cherche, semble-t-il, à comprendre la nature profonde de ce qui le dirige. Nos sociétés pensent avoir tué le Minotaure grâce au fil de la raison, mais il apparait que le phénomène pulsionnel soit toujours là. Le regard est ailleurs
Dédale n’est pas celui qu’on croit. Homme jaloux du talent de son neveu, il le précipita dans le vide afin de conserver aux yeux du monde, et à son propre regard, la haute opinion qu’on avait de lui et qu’il se portait à lui-même. Banni pour son crime, il trouva refuge auprès de Minos qui le prit en pitié. Pour cacher se défiance vis-à-vis de Poséidon, Minos utilisa Dédale pour cacher ses fautes à savoir la convoitise, la tromperie de sa femme avec un taureau et la naissance du Minotaure.
Quand on éloigne de sa vue les conséquences de nos actes, ceux-ci ne disparaissent pas, nous ne faisons que regarder ailleurs en espérant que la mémoire se désactive. Les symptômes du monde tels qu’ils nous apparaissent ne peuvent être le résultat d’un hasard, mais l’avènement d’une multiplicité de coïncidences qui ont leurs sens. Que serait-il advenu du Minotaure s’il n’avait été enfermé au cœur d’un labyrinthe dont il ne trouvait pas la sortie ? Il gambaderait sans doute au milieu de deux mondes, passant de l’un à l’autre, sans que plus personne ne fasse attention à lui. En le bannissant, Minos prit la décision, malgré lui, de renforcer sa colère.

De la sociologie du labyrinthe

En nous penchant sur cette histoire issue de la mythologie, nous pourrions être tentés de croire qu’il n’y a que la psychanalyse qui est concernée par cette interprétation : quête de l’inconscient, maitrise de pulsions, mais il n’en est rien.
A regarder de plus près, les sociétés confrontées aux bannissements multiples et variés, à l’exclusion, à la fracturation sociale, construisent bien malgré elles, un labyrinthe dont elles sont elles-mêmes les victimes. Ca n’est pas le Minotaure qui engendre sa propre colère, c’est le labyrinthe qui engendre la colère du Minotaure. Les sociétés dans lesquelles nous vivons font appel à des Dédale de génies pour construire autour d’elles des kilomètres de voies labyrinthiques, enchevêtrements de voies sans issues, de couloirs interminables afin que les mondes ne se rencontrent jamais et qu’ils ne sortent pas de l’endroit où on les a placés. En pensant éloigner, enfermer, rejeter ceux qui ne semblent pas faire partie d’elles-mêmes, les sociétés pensent se protéger d’un danger qui les menaceraient, d’un monstre rassemblant, en son être le plus profond, toutes les pulsions animales qui leur font tant peur. En se refermant sur elles-mêmes, nos sociétés créent leur propre labyrinthe, devenant à leur tour, un Minotaure rongé par la colère.

Les Dédale du futur

Forts de leurs constructions, les Dédale du futur, promettent monts et merveilles pour enfermer la bête afin qu’elle ne ressorte jamais. Murs, barbelés, frontières, tout y passe.
Dans une lointaine mythologie, il faut se rappeler que Minos, persuadé par Dédale de lui fournir « l’objet » de sa paix intérieure, s’en remet à l’architecte pour concrétiser la construction de l’édifice. A coup de promesses les plus farfelues les unes que les autres, Dédale assure une solution efficace pour contrer les peurs d’un Minos en panique. Le génie n’avait pas prévu la possibilité qu’un Thésée et qu’une Ariane trouvent le Minotaure, le tue et par-là même révèlent son existence et la faille logique du labyrinthe. La seule victime dans tout ça : le Minotaure qui n’avait rien demandé. Jorge Luis Borges évoquait déjà cela en reprenant le fameux mythe dans une nouvelle intitulée La demeure d’Astérion.
La nuance à apporter à l’interprétation de ce mythe est que Thésée et le Minotaure ne sont que les deux faces d’un même personnage, et par extensions, d’une même société, d’un même monde. Nous constatons que des Dédale du futur se font jour, un peu partout, promettant des labyrinthes parfaits, omettant de préciser à qui va ressembler le Minotaure, car il a, pour le moment, plusieurs visages. Afin de savoir à qui ressemblera le Minotaure, il faudra attendre encore quelques mois et regarder comment les Dédale persuaderont les Minos. En revanche, on n’est jamais à l’abri d’être, à notre tour, l’Astérion de l’histoire.

S’il fallait conclure

Toutes ressemblances avec des personnages existants tels que Donald Trump, Ted Cruz, Marco Rubio dans les rôles des Dédale du futur et Bernie Sanders, Hillary Clinton de ceux de Thésée et Ariane, ne seraient que pures coïncidences.

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