Anny Romand : la question posée à la mémoire

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Par Sophie Sendra – A quoi sert la mémoire ? A quoi servent les souvenirs ? Quel est le lien entre la résilience et la transmission ? Ces questions sont soulevées par un petit ouvrage qui a tout d’un grand, Ma Grand’Mère d’Arménie, de Anny Romand aux Editions Michel de Maule. Ce livre fait partie de cette « rentrée littéraire » mais il est noyé – malheureusement – dans le torrent de publications, de promotions de ceux qui sont les mastodontes du tirage.

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Serpouhi Hovaghian est née en 1893, elle est la grand’mère d’ Anny Romand. En retrouvant un carnet, l’auteure découvre l’histoire de cette femme qui l’a élevée et qui lui racontait, lorsqu’elle était petite, des épisodes de son exil, du génocide dont elle a été victime et témoin, celui de l’Arménie. Avec justesse, pudeur, style et finesse et loin des ouvrages qui versent allègrement dans le « pathos », Anny Romand prend le parti-pris de faire parler la petite fille de 10 ans qu’elle était. Le récit qui date de 1915 – écrit par cette Grand’Mère hors-normes – est en parallèle des anecdotes racontées par l’auteure. Ainsi s’exerce un subtil échange entre le passé, le récit du présent et le futur, temps réel de l’écriture.

Mémoire
Memoria veut dire « souvenir ». Il n’est pas plus important dans l’âme humaine pour la construction de soi que de faire appel à notre mémoire, à ce réservoir de souvenirs. Cette « memoria » permet à tous les peuples de savoir d’où ils viennent et où ils vont. La personne humaine est dans ce cas.
Lorsque nous savons, lorsque nous nous remémorons, il est possible de se rendre enfin libre, de se détacher pour mieux se lier au présent, vers un futur qui n’oubli pas.
Mais l’Histoire n’est pas de celle-là, elle bégaye sans doute un peu : « Voilà deux ans et leur haine contre nous n’a pas eu le moindre apaisement. Nous sommes les orphelins de ce monde sans patrie, sans foyer. Notre seule espérance dépendra de nos forces avec le courage de notre vaillante jeunesse ». Cet extrait du journal de Serpouhi – l’équivalent de Sophie en arménien – date du 21 avril 1917 et pourtant, il est si actuel. Le lecteur oscille entre cette petite fille Anny, qui parle au présent, très justement de sa Grand’Mère réfugiée en France – qui se bat avec ses démons – et le journal tenu des années auparavant par cette femme qui ne cesse de graver en français et en arménien, ce qu’elle vit dans son exode, sa fuite, cherchant refuge loin de la barbarie qui fait rage.

Résilience
La petite Anny devient alors le réceptacle des souvenirs de sa Grand’Mère qu’elle aime profondément. Sans le savoir, elle est sans doute ce qui permet à cette femme de rester en vie, de ne pas sombrer, de continuer à vivre malgré la perte de son mari, l’abandon de son fils, la mort de ses amis, les massacres. Cette petite fille qui prend soin d’elle – on ne sait d’ailleurs plus qui prend soin de qui – est son miracle, sa survivance, son « être au monde ». Elle permet au récit de ne pas être lourd, pesant. Cette « voix », celle d’Anny Romand, est celle de la résilience, de ce passage étrange vers le paisible.
Très intelligemment, l’auteure fait passer l’Histoire à tous les temps. Elle nous donne à réfléchir sur le poids du passé, le présent qui n’est plus et l’avenir qui doit se souvenir.
Il est possible de dire que cet ouvrage est une voie – voix – de transmission, qui permettrait d’interpréter ce que nous vivons aujourd’hui afin de faire revivre notre part d’humanité.
Ça n’est pas si souvent que nous avons entre nos mains un ouvrage qui parle si fortement de l’aspect transgénérationnel de la mémoire, lorsqu’il se présente, il ne faut surtout pas le lâcher. Cet aspect là de l’âme humaine est trop souvent oublié dans ce que doit être la construction d’un Etre et de son identité. Nous sommes ce que notre passé a fait naître en nous, par notre histoire et celle de ceux qui nous ont précédé. Avec ce passé, il faut construire, créer et aller de l’avant. La résilience n’est pas une table rase, elle est une acceptation qui permet de s’élever. Anny Romand a pris de la Hauteur et nous nous élevons avec elle.

S’il fallait conclure

Il est possible de faire un film de ce récit. Anny Romand devrait faire celui-là, elle qui est également réalisatrice. En attendant que sa propre petite-fille, Alicia Belle, puisse lire à son tour, l’auteure doit, telle une necessité, en faire une lecture, elle qui dirige de sa voix Une Saison de Nobel. Début décembre, vous pourrez l’entendre sous le ciel azuré de Nice, elle pourra sans doute vous dire que sa Grand’Mère s’appelait Sophie – Serpouhi – et qu’elle était une Grande Dame, comme le sont tant d’héroïnes. Quand l’humanité nous échappe, elles nous « obligent »… et c’est la moindre des choses.

Ma Grand’Mère d’Arménie
Anny Romand
Editions Michel de Maule
123 pages
9,00 euros

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