Fabrice Luchini : l’obsession du texte et l’enfantement du comédien

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Par Nicolas Vidal – Recevoir le nouveau livre d’une moderne/petite/grande/éphémère ou nouvelle célébrité a toujours suscité en moi l’aversion brutale du préjugé. Même en me faisant violence, je ne peux m’empêcher d’y voir plus de promotion que de profondeur littéraire. Mais Fabrice Luchini a bousculé vigoureusement ces préjugés. Et tant mieux.

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Pendant les premières minutes, alors même que le livre est encore à moitié enfoui dans l’enveloppe, «Comédie française» n’a pas échappé à ce verdict. Jusqu’à ce que je l’ouvre et que mes yeux filent à toute vitesse au bas de la première page. Le plaisir est donc là, présent, incontournable et goguenard. La verve de Luchini a fait le reste jusqu’à la dernière page du livre qui se termine par «ce serait peut-être même le secret du métier d’acteur …».
Le chapitre sur Guermantes (on notera la référence à la Duchesse du même nom et à sa notion flamboyante de la distinction ) où l’acteur explique son apprentissage de la «langue vivante» adossé à cette délicieuse anecdote du «Tu te dérobes ?» alors qu’il crânait et zonait avec sa bande du quartier des Abbesses.
Avec Luchini, on glisse sur les mots tout en se confrontant à des auteurs de son répertoire. On a envie de lire et de relire Céline, plonger dans l’oeuvre de Molière ou parcourir à grandes enjambées la poésie de Rimbaud. C’est à la fois la philosophie du rien qui insuffle la passion du mot, du vers et de la strophe. La malice de Fabrice Luchini (car l’homme est malicieux) déconstruit le mot en retournant le terreau fertile de son imagination pour mieux éclairer ces oeuvres.
Qu’est-ce que ça veut dire « production brève, dans le champ amoureux, d’une contre-image de l’objet aimé ?» Ce qui est exemplaire, chez Barthes, c’est la tentative d’une sur-précision du senti, une formulation de la sensation, qui pourrait frôler la préciosité et qui pourrait provoquer l’irritation, et qui, par le biais du sensible, fait qu’il échappe à ces deux défauts.

Fabrice Luchini entre dans Barthes avec envie et passion. Il trie le texte pour en extraire la substantifique moelle. Elle est à la fois sucrée et compréhensible. À la lecture, les textes finissent par scintiller si l’on se donne la peine d’y prêter quelques attentions. Il finit par avouer ce trop plein d’obsession qui le hante :
« Je suis tellement sûr de mes écrivains – Céline, Flaubert, La Fontaine, Molière – que je suis inébranlable, inconstestable. »

Incontestable. Voilà la force d’un mot qui le campe et définit le comédien au plus près.

Il serait malvenu d’omettre que l’une des grandes vérités de cet ouvrage repose aussi sur l’identité du comédien parfait et juste dans son essence la plus pure, le jeu. Luchini s’affronte en bloc et de toute sa personne au rôle de l’acteur. Le rôle dans ce que cette fonction a de plus profond jusqu’à la transcendance du texte

Quand tu joues du Henry Bernstein, tu peux apporter ton casse-croûte, ta psychanalyse, ton Oedipe, car les personnages sont à peine esquissés. C’est l’auberge espagnole ; chacun y ajoute ce qu’il veut, et c’est très bien. Mais quand tu joues Molière, il faut que tu te dégages de tout apport personnel.

Tout porte à la pénétration du texte chez Luchini. Comment dit-on, comment respire-t-on et quel est le rythme juste pour dire les vers de Molière ou encore la question cruciale qu’il pose sur l’alexandrin ? Il cite plus loin Jouvet «Pour être comédien, il faut se montrer» (…) « pour bien pratiquer ce métier l’important est dans le renoncement de soi pour l’avancement de soi-même

Enfin Luchini réfléchit aussi de façon poussée à la notion de l’enfantement déroulée comme un fil rouge tout au long du livre et il avance l’exigence du mérite « Mon seul mérite éventuellement : me laisser enfanter. Ça n’a l’air de rien, mais ce n’est pas évident de se laisser enfanter. Ce serait peut-être même le secret du métier d’acteur…»

Comédie française est un livre passionnant, très drôle et brillant.

Comédie française
Ça a débuté comme ça…
Fabrice Luchini
Editions Flammarion
19 euros

( Crédit photo Dominique Isserman )

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