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Tatiana de Rosnay : « Les belles batailles littéraires de la Closerie des Lilas »

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Par Tyfenn Corvellec – Tatiana de Rosnay est une romancière passionnée. Sa première biographie, Manderley for Ever est parue en 2015. L’occasion pour elle de rendre hommage à celle qui l’a tant inspirée, et avec qui elle partage beaucoup de similitudes et de points communs, Daphné du Maurier. L’écriture et la lecture rythment la vie de l’auteur.

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En effet, Tatiana de Rosnay est également vice-présidente du Prix de la Closerie des Lilas, un prix littéraire qui se veut exclusivement féminin et qui couronne chaque année un livre écrit par une femme. Entretien avec Tatiana de Rosnay.

Votre dernier livre -paru en 2015- est la biographie de votre romancière préférée, Daphné du Maurier. Pourquoi avoir décidé de dédier cette première biographie à cette romancière ?
C’est une commande d’Albin Michel. Je n’aurai jamais eu l’idée de m’attaquer à un tel monument. Il faut savoir que Daphné du Maurier est mon idole, j’ai commencé à écrire grâce à elle. Je n’aurai jamais eu l’idée de travailler sur une biographie. D’ailleurs je ne m’en sentais pas vraiment capable. Lorsqu’on m’a proposé ce projet, j’ai beaucoup réfléchi et je me suis dis qu’au fond c’était un défi littéraire auquel j’avais envie de m’attaquer. Donc je me suis lancée dans l’écriture de ce livre en 2013. Il y a eu beaucoup de recherches et le livre est paru en 2015. Je ne le regrette pas du tout !

Comment avez-vous préparé cette biographie ? Avez-vous rencontré des membres de la famille de Daphné Maurier ?
Je suis tout simplement aller mettre mes pas dans les siens. Je suis allée en Cornouaille pour comprendre pourquoi elle aimait tant cette région et pourquoi ce lieu a tellement inspiré ses livres. Daphné du Maurier était très attachée aux lieux et aux maisons, d’ailleurs j’ai la même obsession dans tous mes livres. Et bien sûr, j’ai rencontré ses enfants, ses petits-enfants. Ce livre a été élaboré grâce à eux, à leurs souvenirs, aux photos qu’ils ont pu me donner, à toutes ses informations précieuses qu’ils ont bien voulu me livrer sur leur mère.

Les rencontres faites grâce à l’écriture de Manderley for ever vous ont-elles conforté dans l’image que vous aviez de Daphné du Maurier ? Vous êtes-vous trouvée des points communs avec elle ?
En fait c’est assez drôle, parce que je ne savais pas que j’avais autant de points communs avec elle. Je suis franco-anglaise comme elle, elle adorait la France – j’ai cherché tous les éléments qui ont créé son amour pour ce pays -, mais j’ai découvert beaucoup de choses que je ne savais pas ! De façon superficielle, elle aimait le bleu, elle n’aimait pas conduire, elle faisait très mal la cuisine, elle a eu les cheveux gris très tôt, tout comme moi. Et de façon plus profonde, elle a commencé à écrire très jeune, elle a été attirée par des atmosphères très noires, très inquiétantes. Pour découvrir les choses plus intimes et ce qui m’a vraiment inspiré chez elle, il faut lire le livre ! Ce n’est pas par hasard qu’en lisant ses livres à l’âge de dix ans j’ai voulu devenir écrivain à mon tour. Je lui dois beaucoup. Cette biographie est une sorte d’hommage, même si je suis restée très lucide. Ce n’est pas le livre d’une groupie.

C’est une biographie spéciale puisque le lecteur a l’impression d’être dans les pas de Daphné du Maunier et d’être le témoin privilégié de moments de vie vécus par la romancière… Maintenant que la biographie sur celle qui vous obsède depuis vos dix ans est écrite, la boucle est-elle bouclée ?
Je pensais que j’allais boucler cette boucle et assouvir ma passion de Daphné du Maurier, mais il s’avère qu’elle me fascine toujours autant. Je la relirai. Elle exerce toujours un pouvoir sur moi, je suis toujours dans les mêmes univers, même si comme elle, je change souvent mon fusil d’épaule et que nous avons toutes les deux écrit des livres très différents les uns après les autres. Mais je crois que la plus belle chose dans cette histoire, c’est que je suis devenue très proche de sa fille, Tessa. Elle a l’âge de ma mère aujourd’hui. Je la vois très régulièrement quand je vais à Londres. Et si on m’avait dit qu’un jour, je deviendrais une amie proche de la fille de Daphné du Maurier, je ne l’aurais pas cru. Tessa est devenue quelqu’un de très précieux pour moi.

Tatiana de Rosnay, vous êtes non seulement une romancière de renom, mais vous êtes aussi vice-présidente du Prix de la Closerie des Lilas. Pourquoi vous êtes vous liée à ce projet ?
Au début je me suis lancée dans cette aventure par amitié pour Emmanuelle de Boysson, qui a eu l’idée de créer un prix littéraire il y a maintenant dix ans. Comme Emmanuelle est une femme que j’admire beaucoup par ses écrits et sa personnalité, j’ai trouvé que c’était une très belle initiative. Au début, on ne savait pas que nous allions dépendre de la Closerie des Lilas comme partenaire. On était un groupe de femmes qui avait envie de créer un prix, mais nous étions un peu dans l’ombre. Et puis, il y a eu la Closerie qui est arrivée par l’initiative de Stéphanie Janicot, qui fait partie de notre jury permanent. Toute l’aventure a vraiment pris corps au moment où la Closerie nous a dit « oui ». C’est une histoire d’amitié, d’amour des livres, liée à un lieu mythique, qui a, je crois, beaucoup aidé à forger la réputation et la renommée de ce prix.

Pourquoi avoir créé un Prix exclusivement féminin qui vise à promouvoir la littérature féminine ? Qu’est-ce qui vous différencie d’autres prix comme le Femina ?
Emmanuelle avait constaté que dans beaucoup de prix littéraires, la plupart des jurés sont des hommes, ainsi que la plupart des primés. Le premier prix de la Closerie à été remis le 7 mars 2007, la veille de la journée mondiale de la femme. Nous avons décalé la date vers avril pour des histoires pratiques de la Closerie. En tout cas, l’ idée était de promouvoir la littérature féminine, en créant un jury uniquement féminin.
C’est d’ailleurs ce qui nous différencie du prix Femina : même si le jury est entièrement composé de femmes, elles ne vont pas obligatoirement couronner une femme. L’autre différence, c’est que le Femina a un jury fixe, alors que nous, nous avons un jury tournant, c’est quelque chose d’assez nouveau.

Justement parlons-en. Le jury du Prix de la Closerie des Lilas est composé de deux jurys. Un jury permanent dont vous faites parti, et un jury invité. Qu’est ce qu’apporte ce jury qui se renouvelle tous les ans ?
Le jury fixe est composé de six membres. Nous choisissons chaque année un jury tournant qui est composé de cinq à huit femmes. En tout, nous sommes donc une douzaine. Ce qui est passionnant, c’est que ces femmes viennent de bords extrêmement différents. Il y a des cinéastes, des romancières, des femmes politiques (Roselyne Bachelot a d’ailleurs intégré le jury une année), des comédiennes et des journalistes, c’est vraiment un horizon très vaste. Elles apportent un regard neuf. Chaque année, nous avons un jury quasiment nouveau, nous ne sommes jamais dans nos petites habitudes. La dénomination commune, c’est d’aimer lire. C’est toujours très agréable de se retrouver à la Closerie, c’est un endroit magnifique. Le prix de la Closerie des Lilas est une aventure qui se remet en jeu et qui apporte un cru différent chaque année. Sans oublier nos discussions absolument passionnantes et riches puisque personne n’est d’accord.

Pour avoir une chance de faire parti des sélectionnés il faut que le livre soit sorti en 2016. Quels sont les autres critères ?
Ce sont des romans grand public, de qualité. Il faut que le livre soit écrit par une femme, en français. Il faut que l’on puisse l’offrir à tout le monde. Il faut également qu’il soit publié entre janvier et fin mars / début avril. C’est ce qu’on appelle la deuxième rentrée littéraire (la première étant en septembre). Il y a énormément de livres qui sortent à cette période, il faut donc que nous anticipions. Dès le mois de novembre, les éditeurs nous font parvenir les livres sous forme de manuscrits ou d’épreuves, et nous faisons notre sélection. Parfois, des membres du jury tournant nous rejoignent parce qu’elles ont envie de lire avec nous. A la fin, il doit y avoir une liste d’une dizaine de livres. Vers Noël, on a déjà une idée des livres qui seront intégrés dans la sélection. Par conséquent, nous lisons chacune une vingtaine de livres et nous essayons de nous mettre d’accord pour trouver ceux qui ont récolté le plus de voix. A l’inverse du Goncourt, on va aller chercher une romancière qui n’a peut-être pas été sous les feux de la rampe, ou qui présente son premier roman. Cela ne veut pas non plus dire qu’on ne va pas couronner un livre que nous avons vraiment aimé comme en 2014 avec le livre de Lola Lafon, qui avait déjà obtenu énormément de prix. D’un autre côté, nous sommes capables de dénicher des talents comme par exemple Alice Zeniter, gagnante en 2013 avec un magnifique roman. Nous avons été les premières à la mettre en lumière. On peut se permettre de temps en temps d’être audacieuses. Le plus important, c’est d’avoir un vrai coup de coeur pour le livre.

Une première liste à été sélectionnée le 16 février par le jury. Dix romans sont sortis du lot. Qu’est-ce qui a orienté vos choix ?
En 2016 il y a une liste exceptionnelle. Certaines années il y a un ou deux livres qui sortent du lot, là nous avons une richesse de livres absolument incroyable. Tous les livres qui ont été choisi dans cette sélection ont été lus avec un plaisir immense. Chaque livre a un fort potentiel, que ce soit un auteur de premier roman comme Sara Léon, Wanderer, ou les valeurs sûres comme Pascale Kramer (Autopsie d’un père) ou Cécile Ladjali avec son livre Illettré. Et puis il y a des petites pépites comme Juila Kerninon, dont le premier roman avait beaucoup intéressé notre jury il y a deux ans. Cette année je pense que ça va être très serré. Tout le monde a son favori. Cela va être à la fois passionnant et compliqué de faire émerger la lauréate. Cela promet de belles batailles littéraires !

Parlez nous de l’académie Lilas de la Closerie…
C’est une très belle idée d’Emmanuelle de Boysson. À chaque fois que nous avons un jury qui se termine, nous organisons un grand diner qui s’appelle « l’Académie ». En général, ça se passe dans un restaurant. On y retrouve toutes les anciennes membres, et on vote pour la femme de l’année. Là aussi, cela débouche sur des débats passionnants parce que tout le monde a une idée un peu différente sur qui peut être la femme de l’année. C’est aussi un bon moyen de garder un lien. Je pense que c’est ce que voulait faire Emmanuelle : que les femmes des jurys se retrouvent et discutent, que nous ne perdions pas le lien de ce que nous avons créé ensemble. L’année dernière, nous avions couronné cette femme merveilleuse de 88 ans : Marceline Loridan-Ivens qui a écrit un témoignage bouleversant, Et tu n’es pas revenu. Ce soir-là, nous remettons donc deux prix : le prix de la Closerie des Lilas, et le prix de l’Académie qui couronne la femme de l’année.

« Manderley Forever » – Tatiana de Rosnay – Alabin Michel – Héloïse d’Ormesson – 22 euros
www.prixcloseriedeslilas.fr
Jury permanent : Emmanuelle de Boysson, Tatiana de Rosnay, Adélaïde de Clermont-Tonnerre, Carole Chrétiennot, Stéphanie Janicot, Jessica Nelson
Jury invité : Aure Atika, Lydia Bacrie, Anne Barrère, Catherine Ceylac, Aurélie Filippetti, Pascale Frey, Farida Khelfa, Sarah Lavoine, Amélie Nothomb et Elisabeth Roudinesco
(Crédit photo : Denis Félix)

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