David James Poissant : une nouvelle étoile de la littérature américaine

Partagez l'article !

Par Nicolas Vidal – bscnews.fr / David James Poissant est la nouvelle étoile de la littérature américaine. Avec «Le paradis des animaux», David James Poissant nous plonge au plus profond des travers humains avec un recueil de nouvelles poétiques, puissant et rugueux. Le jeune auteur américain est un ardent défenseur de la nouvelle et nous dit pourquoi. Entre fiction et genre, David James Poissant nous livre un entretien passionnant.

propos recueillis par

Partagez l'article !

Tout d’abord une question sur le titre de votre recueil , « Le Paradis des animaux». Pouvez-vous nous éclairer sur le sujet et nous dire quel est le lien qui relie l’animal aux protagonistes de vos nouvelles ?
D’une certaine façon, nous sommes tous des animaux. Les hommes ne sont rien d’autre que des animaux dotés de pouces opposables. La question est de savoir ce qui nous distingue du reste du règne animal. Est-ce l’amour ? L’âme ? Notre capacité à éprouver de la compassion envers autrui ? Sauf que les animaux en sont aussi capables. Et nous, humains, oublions bien souvent comment aimer et faire parler notre âme. En mêlant dans mes nouvelles les hommes aux animaux, j’ai essayé de mettre en lumière à la fois ce qui les unit et ce qui les oppose dans le règne animal.

Qu’est-ce qui vous a donné envie de réfléchir sur le culpabilité et le remords, des sentiments communs à plusieurs de vos personnages ?
A un moment ou à un autre de la vie, il peut nous arriver d’être blessant envers les autres, rarement de façon intentionnelle, et souvent vis-à-vis des personnes que nous aimons le plus. La plupart du temps, il suffit de dire qu’on est désolé, puis on tourne la page. Mais il arrive parfois qu’on atteigne un point de rupture. Un père qui arrête de parler à son fils. Une femme qui arrête de parler à son mari. Je m’interroge souvent sur les épreuves qui peuvent surgir et faire obstacle à ce que l’on appelle « l’amour ». C’est ce que j’aime explorer, en tant qu’écrivain. J’essaye de comprendre pourquoi aimer est si compliqué pour certains, ou pourquoi la rédemption est si difficile à trouver. La plupart de mes personnages voudraient désespérément être capables de dire « Je t’aime », ou « Je suis désolé », souvent les deux d’ailleurs. Dans ces nouvelles, j’ai voulu essayer de les amener à dire ce qu’ils avaient douloureusement besoin de dire, tout en essayant de provoquer l’empathie chez le lecteur, et ce des deux côtés de l’équation – envers les personnages qui souffrent et envers ceux qui sont responsables de leurs souffrances.

Revenons un peu en arrière. Pourquoi avoir choisi d’intégrer un atelier d’écriture et qu’est-ce que cela vous a apporté dans votre travail d’écrivain ?
Mes études d’écriture créative ont eu une influence considérable sur l’écrivain que je suis aujourd’hui. J’ai commencé par étudier la poésie. Puis, en licence, la fiction. Dans un sens, on peut dire que je suis un poète raté ! Mais les six années que j’ai passées à étudier l’écriture créative, d’abord à Tucson, en Arizona, puis à Cincinnati, dans l’Ohio, m’ont apporté ce qu’un poste à temps plein ne permet pas d’avoir : du temps pour écrire et du soutien. J’ai consacré ces années-là exclusivement à l’écriture et à la lecture. J’avais des professeurs extrêmement talentueux, ainsi que de brillants écrivains à mes côtés, venus comme moi pour étudier, et c’est grâce à nos échanges que j’ai aussi beaucoup appris. De telles études ne peuvent remplacer la maîtrise innée du langage et l’écriture, de même qu’elles ne peuvent pas faire naître une passion jusque-là inexistante, mais parfois le talent et la passion ne suffisent pas (du moins chez moi, cela n’était pas suffisant) si l’on ne sait pas dans quelle direction aller et s’il n’y a personne pour vous guider et vous aider à trouver cette direction. J’ai beaucoup aimé écrire dans le cadre de ces ateliers, mais mes textes n’étaient pas très bons. Il m’a fallu les conseils et l’œil aiguisé de mes professeurs pour réussir à comprendre ce qui ne fonctionnait pas dans mes nouvelles, et apprendre à juger mon travail de façon objective. Il faut des années pour apprendre à lire et à juger son propre travail en y portant un regard d’éditeur.

Vos personnages sont complexes tant ils sont animés par cette incroyable propension à embrasser les travers humains presque malgré eux. Ainsi, comment travaillez-vous sur ces personnages ? Vous basez-vous sur des observations réelles de personnalités que vous connaissez ou que vous croisez ? Ou cela relève-t-il purement de votre imagination ?
Les lieux qui servent de décors à mes nouvelles sont en grande majorité des endroits où je suis déjà allé et que je connais bien, mais les personnages, eux, sont le fruit de mon imagination. Certains écrivains recommandent d’écrire sur ce que l’on connaît. D’autres disent qu’il faut écrire sur ce que l’on aimerait découvrir en tant que lecteur. Pour ma part, je dis qu’il faut écrire sur ce qui nous effraye. Les thèmes que j’aborde dans ce recueil —le suicide, la perte d’un enfant, la séparation, l’érosion de l’amour, l’infidélité, le cancer et la maladie— reflètent ce qui me terrifie, ces choses de la vie que j’aimerais n’avoir jamais à connaître mais qui appartiennent pourtant au champ des possibles. Ainsi, lorsque j’écris, je pense à mes plus grandes peurs et j’y confronte mes personnages.
A la lecture de ces nouvelles, on se demande quel est rapport que vous entretenez avec la fatalité tant vos personnages sont sans cesse sur le fil du rasoir, prêts à se dissoudre ?
Je ne sais pas si je crois au destin, mais ce qui est sûr, c’est que mes personnages s’interrogent sur le leur. Ils se posent des questions sur Dieu, sur le libre arbitre, sur la vie après la mort si elle existe. Ce sont des questions que je me pose moi-même sans arriver à trouver les réponses. Mes personnages n’y arrivent peut-être pas mieux que moi mais ils trouvent une forme de paix ou, du moins, le courage de continuer à avancer, de surmonter la peine et la tristesse, de vivre, tout simplement.

« Une nouvelle peut s’immiscer en vous et vous habiter pendant longtemps, vous prendre aux tripes, et vous couper le souffle… »

Est-ce que la figure de l’animal pourrait être ce lien qui relie les personnages dans votre recueil ? Ou alors est-ce que les animaux sont des éléments qui permettent à vos personnages de se révéler à eux-mêmes ?
C’est tout à fait vrai pour certains personnages : ils observent les animaux et la nature qui les entoure dans l’espoir d’y trouver une réponse, de se trouver eux-mêmes ou de comprendre ce qui les dépasse dans le monde extérieur. Certains en payent le prix, comme Linda à la fin de la nouvelle « Les derniers des grands mammifères terrestres », tandis que d’autres parviennent à trouver une forme de guérison, comme Dan dans « L’Homme-Lézard ».

Qu’est-ce qui vous attire dans l’écriture de nouvelles et que vous ne trouvez pas dans la construction d’un roman, David James Poissant ?
Les romans, même les plus réussis, sont à mes yeux d’une telle ampleur qu’il est souvent difficile d’en démêler les fils. Il est rare de pouvoir lire un roman d’une traite, et il est difficile de savoir combien de séances de lecture seront nécessaires pour en venir à bout, ou quel est le bon moment dans l’histoire pour faire une pause, afin d’apprécier au mieux la lecture. Mais les nouvelles, comme les films, sont données au lecteur et appréciées dans leur entièreté. Il est donc plus facile pour un auteur de nouvelles de maîtriser le rythme de l’histoire et, en partant du principe que la nouvelle sera lue d’une traite, de savoir comment distiller les révélations et les rebondissements de façon à provoquer la plus forte émotion possible. Dans la plupart des cas, une nouvelle réussie provoque chez le lecteur tout ce que peut provoquer le roman. Une nouvelle peut s’immiscer en vous et vous habiter pendant longtemps, vous prendre aux tripes, et vous couper le souffle. J’aime cette puissance qu’a la forme courte. Que je sois en position d’écrivain ou de lecteur, j’adore cette expérience.

Si vous deviez ne citer qu’une seule nouvelle de ce recueil qui, à vos yeux, représente le mieux votre travail, laquelle serait-ce et pourquoi ?
Je crois que je choisirais « 100% coton », une très courte nouvelle dans laquelle un homme, dont le père vient de mourir, essaye de revivre le meurtre dont ce dernier a été victime et, ainsi, de se suicider. Dans mes textes, j’oscille toujours entre l’envie de veiller au côté réaliste de l’histoire et la tentation de virer vers l’étrange et le bizarre, m’aventurant sur les terres kafkaïennes disons, ou dans le monde d’Italo Calvino. Ainsi, « 100% coton » est une histoire sous-tendue par la tension qui oppose l’absurde au réalisme très humain de son personnage, une nouvelle sur le fil du rasoir qui essaye d’être aussi absurde que réaliste. C’est le genre d’histoire qui amènera, du moins je l’espère, le lecteur à penser : « C’est impossible, une telle chose ne peut pas arriver », et dans le même souffle : « Mais en fait si, bien sûr que ça peut arriver. » Dans ce domaine, l’écrivain le plus doué à mes yeux est George Saunders, notamment dans les deux derniers recueils qu’il a publiés. J’ai énormément appris sur ce qui fait un texte réussi en lisant ses nouvelles.

On sait que votre prochain roman devrait paraître prochainement aux Etats-Unis. Pourriez-vous nous en dire quelques mots ? Retrouvera-t-on l’atmosphère qui règne dans « Le Paradis des Animaux » ?
Oui, je pense que l’univers du roman sera proche de celui des nouvelles. J’ai choisi deux textes du recueil (« Le diagramme de Venn » et « Réveiller le bébé ») comme point de départ pour ce nouveau livre. A la fin de la deuxième nouvelle, on découvre que Richard et Lisa Starling ont eu un bébé, Michael, et qu’ils ont finalement décidé de ne pas se séparer. Le roman reprend cette histoire, trente-trois ans plus tard. Richard et Lisa sont toujours mariés, ils ont atteint l’âge de prendre leur retraite, et ont deux fils devenus adultes. Plutôt que de passer leur retraite dans la maison familiale au bord d’un lac, en Caroline du Nord, ils font le choix de la vendre et de partir s’installer en Floride. Un peu secoués par la nouvelle, leurs deux fils viennent passer quelques jours dans cette maison, mais quand un drame vient secouer la communauté au sein de laquelle ils ont toujours habité, tous se trouvent confrontés à des blessures du passé qu’ils pensaient enfouies et oubliées. D’un côté, nous sommes dans un roman assez classique sur une tragédie familiale dans le Sud des Etats-Unis. De l’autre, c’est l’histoire d’un ornithologue, d’un physicien, d’un peintre, d’un professeur, d’un junkie et d’un représentant de commerce pour un laboratoire pharmaceutique qui, tous, doivent faire des choix difficiles. C’est un roman sur l’amour et la sexualité, la fidélité et l’infidélité, les mariages heureux et malheureux, les couples libres. C’est aussi l’histoire d’une semaine hantée par la mort et le souvenir, une semaine en famille qui met en lumière les difficultés à être parent et qui changera durablement chacun des personnages.

Si, à votre tour, vous deviez conseiller un auteur que vous appréciez particulièrement, lequel serait-ce ?
Il est tellement difficile de n’en choisir qu’un! Mon livre préféré est sans hésitation Gatsby le Magnifique – c’est pour moi le roman qui se rapproche le plus de la perfection, si tant est qu’un roman peut être parfait. Fitzgerald est donc tout en haut de la liste de mes écrivains préférés, avec Virginia Woolf. Mrs Dalloway et La Promenade au phare sont de vrais bijoux. Dans le domaine de la nouvelle, difficile de surpasser Raymond Carver, ou Elizabeth McCracken. Je sais que vous m’aviez demandé de nommer un seul écrivain, mais le fait est que je pourrais en citer plus de cent !

Le paradis des animaux
de David James Poissant
Collection Terres d’Amérique
éditions Albin Michel
Parution Juin 2015

> Le site officiel de David James Poissant

( Crédit Photo : Ashley Inguanta )

Lire aussi :

Kube : une box littéraire sur mesure pour les fous de livres

Léa Wiazemsky : une jeune romancière à l’écriture sensible et juste

José Carlos Somoza : Tétraméron, un « livre qui contient des coffres » à ouvrir

Joao Tordo : « La folie n’est pas l’absence de raison, mais l’absence de tout sauf de raison »

Sara Mesa : «Lorsqu’il est confronté à des situations extrêmes, l’être humain se montre sous son pire et son meilleur jour »

Emmanuelle Friedmann : une histoire des pupilles de guerre

Martine Leroy :  » la langue du cirque est vivante, partagée et populaire »

Il vous reste

0 article à lire

M'abonner à