Claire Berest : la veine urticante d’une romancière

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Par Marc Emile Baronheid – Plutôt qu’un long fleuve tranquille, la vie de Claire Berest paraît avoir franchi des rapides indociles. Tant mieux : c’est ce qui nourrit la veine urticante d’une romancière dont voici le troisième opus.
« Je suis à Bellevue, le lieu où l’on se retrouve quand on s’est perdu de vue ».

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Bellevue, ses urgences psychiatriques, son offensive de médicaments, ses pensionnaires hétéroclites. Et dire que 48 heures plus tôt, la jeune femme mordait la vie à belles dents. Il a suffi d’un 4 juin, jour très porteur historiquement (lire la page 123), coïncidant avec son anniversaire. « J’allais avoir trente ans, et pour la première fois de ma vie, je voulais faire une fête. Je fantasmais une nuit terrible, une nuit diluvienne ». C’est peu dire que ses tribulations répondront aux vœux d’Alma. D’abord elle quitte – non sans une vengeance mesquine – le logement qu’elle partage avec Paul. Tant pis pour lui ; il n’a pas à porter un après-rasage à l’odeur crispante. Puis elle rencontre Thomas B., écrivain en vue, prétentieux comme il se doit (on n’est pas impunément lauréat du prix Flore, ni obnubilé par Gracq), qui cherche des proies faciles pour une nouvelle collection. Et c’est là que tout part en vrille. Plus angoissée qu’il n’y paraît par ce cap de la trentaine, Alma W. lâche la bride d’une libido furieuse et gourmande, impérieuse et irrésistible. Un bienfait collatéral de l’enseignement des Liaisons dangereuses ? Plutôt le début d’un engrenage destructeur, de quarante-huit heures d’une odyssée paroxystique placée sous le signe de Verlaine, avec à son terme « l’immense fatigue d’être, l’immense fatigue d’être encore ». Objet violent très identifié, Bellevue c’est le spleen qui se roule dans la chaux vive.

Pour ressentir plus intensément l’amplitude de la secousse, il est recommandé d’écouter, chemin faisant, le nouvel album d’Angélique Ionatos. « Reste la lumière » recourt à des poèmes grecs, pour secouer les fers d’un pays contusionné, desservi parfois par l’arrogance de ses dirigeants. Incantatoire, puissamment innervée, d’une sensualité dont le phrasé diaphane évoque l’audacieuse fragilité de la dentelle de Bruges, la voix d’Angélique I. est dilatée par son autoritaire jeu de guitare et la présence d’instruments confondants: le violoncelle de Gaspar Claus, le bandonéon de Cesar Stroscio. Parfois un ange passe, échappé de Madredeus. Berest-Ionatos, un choc évident.

« Bellevue », Claire Berest, Stock. 17,50 euros
« Reste la lumière », Angélique Ionatos, label : Ici, d’ailleurs. 12 euros

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