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José Carlos Somoza : Tétraméron, un « livre qui contient des coffres » à ouvrir

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Par Hugo Polizzi –bscnews.fr/ Après avoir été traduit de l’espagnol par Marianne Millon, Tétraméron de José Carlos Somoza a été publié aux Editions Actes Sud en février 2015. Soledad (« solitude » en français), 12 ans, est une fillette invisible aux yeux de ses camarades. En classe verte avec sa classe de collège pour visiter un ermitage non loin de Madrid, elle s’égare et se retrouve nez à nez avec quatre adultes. Ils forment une société secrète du nom de Tétraméron. Chacun en vient à raconter des récits aux desseins sombres et ambiguës. Veulent-ils du mal à Soledad ?

propos recueillis par

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Quoiqu’il en soit, elle n’a d’autre choix que de plonger dans ces histoires et elle sent qu’elle ne pourra être acceptée dans le cercle qu’en jouant le jeu. Comme dans un voyage initiatique, elle perd peu à peu ce qui lui reste de candeur infantile. Le roman prend des tours malsains entre attirance et révulsion. La trame aussi symbolique que les personnages met le lecteur mal à l’aise, le fait frissonner et l’intrigue. José Carlos Somoza a partagé avec nous les subtilités de ce roman peu commun.

Tétraméron est un cocktail détonant, un mélange de styles, où les clins d’oeil et les références sont nombreuses. Naviguant en eaux troubles, Soledad plonge dans un monde qui n’est pas de son âge. Est-il pour vous une allégorie de la cruauté humaine et de la mort de l’innocence ?
Tétraméron est une sélection de contes s’organisant autour d’une intrigue centrale. La trame est la suivante: une fillette à l’imagination débordante découvre le curieux et énigmatique chemin de la vie et de l’expérience. Si allégorie il y a, ce serait celle de l’imagination pure : cette faculté qui nous permet de créer à partir de rien et de nous aventurer au fond de nous-même grâce à des symboles.

Votre roman est un hommage à la tradition orale, aux histoires que les parents racontent à leurs enfants pour leur apprendre par des moyens détournés et métaphoriques les dangers de la vie et les faire grandir. Mais les histoires des quatre conteurs n’ont rien d’enfantin, les déviances y sont abordées sans ambages. Que vouliez-vous suggérer chez le lecteur en faisant braver les tabous à vos personnages ?
Mes oeuvres ne s’apparentent pas à la littérature de jeunesse. Dans le cas présent, la protagoniste est une jeune fille, mais tout ce qui lui arrive se situe hors de la « fantaisie enfantine », pour la nommer ainsi. Peut-être est-elle mal définie car la démarcation entre l’enfance et la maturité n’est pas clairement visible. Bien des pensées soi-disant « adultes » sont observées chez les enfants.

Vous avez emprunté au Decameron de Boccace son procédé de mise en abîme. Les récits enchâssés donnent l’impression d’un labyrinthe et il arrive que le lecteur, tout comme votre protagoniste, s’y perde. En laissant le champ libre à l’interprétation, ne craigniez-vous pas que la nébulosité de l’intrigue et l’ésotérisme du thème en devienne hermétiques aux yeux du lectorat ?
Le lecteur ne peut s’y perdre s’il suit Soledad (la protagoniste) tout au long du chemin. Elle nous guide du début à la fin. Il ne faut pas chercher plus loin que la simple exploration intérieure via l’imagination.

Soledad est orpheline de mère, une fillette de douze ans dont le cas n’intéresse personne — c’est du moins ce qu’elle croit —. Aussi, trouve-t-elle de l’attention auprès de cette société secrète. Dans ce jeu de rôle, les quatre adultes sont-ils des adjuvants bienveillants ou des opposants malintentionnés ?
Les adultes de Tétraméron sont aussi symboliques que la protagoniste. D’une certaine manière, leurs noms correspondent aux quatre éléments classiques. Le livre contient des « coffres » et de l’homme attaché à la réalité matérielle, à la femme rêveuse et effacée, chacun de ses éléments est une clef pour les ouvrir.

Lorsque vient son tour, Soledad doit raconter son anecdote. Ayant, de fait, cinq personnages, pourquoi ne pas avoir intitulé votre livre « Pentaméron» ?
Lorsque Soledad est sur le point de raconter son histoire, Madame Gün (le nom dérive du « Wind » anglais, « vent » en français) a déjà joué les filles de l’air. Le nombre de personnages reste donc à quatre.

Que pensez-vous du fait que cet ouvrage soit à première vue classé en « jeunesse » ?
C’est une erreur symptomatique du désordre causé par la profusion de livres. J’ai pu voir dans des librairies plusieurs de mes oeuvres dispersées aux quatre coins des rayonnages. Le plus amusant a été d’apprendre que dans l’une d’entre elles, mon roman, La Caverne des idées, était recommandée comme littérature gay.

Avec Tétraméron, vous vous êtes écarté de votre style habituel pour laisser place à un sentiment plus exacerbé : l’émotion. Pourquoi en être venu à ce nouveau concept ?
Tétraméron n’est pas un roman à considérer en un seul bloc mais bien comme une sélections de récits liés par une intrigue. La trame se passe de commentaires justement parce qu’elle est issue de l’imagination créative de la protagoniste.

Vous avez, un temps, exercé une profession de psychiatre en Espagne. Vous êtes-vous servi d’expériences que vous aviez vécues avec des patients comme d’un matériau pour écrire les anecdotes des conteurs ?
En toute franchise, non. C’est la solution de facilité que de le penser, j’imagine, mais mes expériences avec les patients m’ont simplement permis de les aider, ou du moins de m’y efforcer. Naturellement, la psychiatrie m’a apporté une connaissance bien plus vaste sur ce qu’«être humain » signifie. Elle m’a même rendu sceptique au sujet de notre capacité à transcender nos pensées subjectives.

Vous aviez précédemment déclaré que vos obsessions se reflétaient au travers de ce livre. Quelles sont-elles ?
Ces contes comportent un prélude des romans suivants (il ne faut pas oublier que j’ai rédigé les premières ébauches de Tétraméron au tout début de ma carrière littéraire) : par exemple, j’entreverrai l’idée de Clara et la pénombre dans le conte La décoration, puis La Dame n°13 se détachera du conte Le mariage de Madame Boj, et de l’intérêt pour la physique quantique dans Particules rouges naîtra La Théorie des cordes.

Tétraméron de José Carlos Somoza,
traduit de l’espagnol (Espagne) par
Marianne Millon, éd. Actes Sud, février
2015, 256 pages, 21,50 €.

En dédicace à la Comédie du Livre ( Montpellier) les samedi 30 et dimanche 31 mai 2015

Interview réalisée et traduite de l’espagnol par Hugo Polizzi

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