Du domaine des Murmures: une performance mystique
Par Florence Gopikian Yérémian –bscnews.fr/ An de grâce 1187: la belle Esclarmonde refuse d’épouser Lothaire-le-Brutal que son père lui impose. Du haut de ses quinze ans, elle s’oppose à la volonté de son géniteur et préfère s’offrir à Dieu le jour de ses noces. Emmurée vivante, elle se retrouve isolée du monde dans une minuscule cellule jusqu’à ce qu’un miracle se produise: la pucelle accouche d’un enfant portant les stigmates du Christ! Progéniture divine ou démoniaque, ce nourrisson aux paumes percées donne soudain un nouveau sens à la vie d’Esclarmonde …
Librement inspiré du roman de Carole Martinez, ce très beau texte est à la lisière de la grâce et de la barbarie. Mis en scène sous la forme d’un monologue, il nous fait songer aux mystères religieux dont raffolait jadis la populace médiévale. Puisant dans les légendes et les récits de miracles, cette oeuvre peut être vue comme une célébration de l’amour maternel et de l’amour mystique qui transforme la candide Esclarmonde en une Sainte adulée de tous les pèlerins du royaume.
Cherchant sa liberté au fond d’une geôle, cette insoumise séduit les spectateurs par sa foi autant que par sa détermination. Qu’on se le dise: Esclarmonde n’est pas une simple vierge que l’on balaie d’un coup de verge! Elle refuse d’être la proie d’un époux violent et accepte encore moins de devenir le récipient résigné de grossesses successives. Qu’il s’agisse de son père, de son promis ou même de l’archevêque, elle ose dire non à tous et embrasse à corps perdu le destin d’une recluse. Les pensées et les voeux d’une chaste damoiselle n’ont cependant rien voir avec les désirs charnels d’une mère ou d’une femme mûre: du fond de son cloitre, Esclarmonde va grandir et réaliser peu à peu l’immense solitude dans laquelle elle s’est elle-même emmurée, quitte à laisser la folie se saisir d’elle…
C’est à Valentine Krasnochok que revient le rôle difficile de cette héroïne béatifiée. Seule sur scène durant plus d’une heure, elle confère à la figure d’Esclarmonde une impressionnante intensité théâtrale. Malgré son teint laiteux et son visage virginal, cette jeune comédienne possède une force de jeu et une franchise désarmante. S’appropriant parfaitement l’écriture voluptueuse de Carole Martinez, elle lui octroie une raisonnance aussi sombre que spirituelle. Laissant échapper sa forte voix de ses lèvres charnues, elle chante, psalmodie ou hurle sa détresse. Tour à tour mère, enfant ou prophétesse, elle nous entraine avec exaltation dans son étrange chanson de geste et fait apparaitre tous les personnages liés à son existence: à travers sa diction précise se dessinent ainsi le Seigneur des Murmures, les pèlerins, la bonne Bérangère, sans parler de l’archevêque et de sa suite épiscopale qui ne rêvent que de la soumettre à la Question. L’atmosphère dans laquelle nous plonge Valentine Krasnochok est obscure et très oppressante: évoluant sur un sol jonché de cailloux, elle n’a pour orchestration que quelque bruits d’eau ainsi qu’une chandelle éclairant sa cellule de réclusion. Passant successivement de la miséricorde la plus sacrée à la rage la plus profane, cette actrice est tout simplement envoûtante et parvient à faire resurgir du fond des temps un effrayant univers. Bravo Mademoiselle des Murmures!
Du domaine des Murmures? Un texte rude et douloureux porté par une actrice mystique!
Du domaine des murmures
D’après le roman de Carole Martinez
Adaptation et Mise en scène José Pliya
Avec Valentine Krasnochok
Théâtre de Poche Montparnasse
75, boulevard du Montparnasse – Paris 6e
Du 5 mai au 12 juillet 2015
Du mardi au samedi à 19h
Le dimanche à 17h30
Réservations: 0145445021
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