Bruno Rédarès : « L’argentique est pour moi l’aristocratie de la photographie »

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Par Amélie Coispel – bscnews.fr/ Le Festival Européen de la Photo de Nu, initié par Bruno Rédarès et Bernard Minier, revient cette année pour sa 15ème édition. Parce qu’ils réussissent à mettre à nu autant leurs modèles que leurs sensibilités artistiques, de nombreux artistes se retrouvent à Arles pour exposer leurs oeuvres. Ici, le nu n’est pas vulgaire, il est esthétique. Et bien plus qu’une mise à nu, c’est une mise en lumière des corps qui y est proposée.

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Le Festival Européen de la Photo de Nu est la seule grande manifestation photographique en Europe sur le thème du Nu et du regard sur le corps plus généralement. Avec ce festival, vous relevez un pari de taille, celui de rassembler un public de tous horizons autour de la photo de nu. Comment en êtes-vous arrivé à monter ce projet ?

C’est un projet qui a été monté à deux avec Bernard Minier, qui est photographe sur Paris. Chacun de notre coté, nous organisions des stages sur le thème du nu, au début des années 90, et finalement, par l’intermédiaire de stagiaires, nous nous sommes rencontrés et nous avons souhaité aller au-delà d’une simple formation ou d’un simple stage photographique. C’est de là qu’est né le festival.

Le thème du Nu est un thème délicat, parfois controversé. Quelle est la limite à ne pas franchir entre esthétisme du nu et vulgaire pornographie ?

Le vulgaire pornographique, c’est une thématique bien particulière. Ce que nous essayons d’éviter, c’est de faire de la photo de charme, style glamour, qui,pour moi, n’a pas un grand intérêt parce que cela représente bien souvent une identité d’une femme nue. Ce que l’on recherche, c’est plutôt une photo intéressante sur le thème du nu qu’une photographie de la personne qui va poser. C’est assez simple de faire la différence. Il suffit de faire attention au regard des gens qui jettent un oeil sur la photographie. Quand on présente un tirage, si la personne en face dit « c’est une belle fille », ça aura beau être une belle fille, vous avez loupé l’objectif que vous vous êtes fixé. Je préfère qu’on me dise que la photo est belle, avec un montage qui est bien, ou moins bien, plutôt qu’on me dise que c’est un beau modèle. Nous ne sommes pas là pour faire une collection de beaux modèles. L’essentiel c’est l’image . Il faut travailler dans cette optique et mettre en valeur le modèle qu’elle soit petite, grande, maigre ou moins maigre etc. C’est l’esthétique du corps qui est ramené à la photographie qui est important.

Dans la programmation, vous évoquez différents moments. Quelles différences entre expositions, focus et projections ?

Il y a plusieurs niveaux d’exposition, non pas par rapport à la qualité, même si la priorité est donnée aux travaux les plus conséquents. Il y a une quarantaine d’artistes qui sont présentés. Nous n’avons pas la place de présenter 40 expositions majeures, donc il y a une quinzaine d’expositions à part entière qui sont dans des salles ou des lieux, avec un espace bien défini pour chacun. Ensuite, nous avons une très grande salle sur Arles, qui est l’une des plus belles salles d’expositions de la ville. Dans cette salle, nous présentons 10 artistes, on appelle cela le focus. Cela permet à des nouveaux artistes de mettre un pied à l’étrier et de présenter un travail dans un beau lieu avec d’autres artistes. C’est assez révélateur. Malheureusement, il nous reste parmi tous les dossiers que nous recevons, beaucoup d’autres artistes qui méritent d’être présentés donc nous faisons une sélection de leurs images et nous les présentons en projection. Il n’est pas rare de voir ces artistes en projections, représenter un nouveau dossier pour mettre en expositions ou en focus les années suivantes.

Comment sélectionnez-vous les photographes ?
On reçoit des CV assez ciblés par rapport au travail puisque les gens qui posent leurs candidatures regardent au préalable sur le site du festival, le niveau, les travaux qui sont déjà exposés ; ils essayent d’ores et déjà de se situer dans un niveau intéressant. Nous recevons beaucoup de dossiers qui sont analysés et sélectionnés début octobre de l’année précédant le festival. Malheureusement, nous ne pouvons exposer tout le monde, nous devons sélectionner les meilleurs. C’est plus un concours qu’un festival. Il y a des gens malheureusement pour qui nous n’avons pas la place ou de qui les travaux ne conviennent pas, ne correspondent pas à l’éthique du festival, ou qui sont encore perfectibles. Cela arrive que des gens soient refusés une année et soient pris plus tard. Il n’y a pas de critères spécifiques, les travaux sont très éclectiques, dans notre programmation. Il faut que ça plaise. Il y a un peu de tout, car depuis quelques années, nous nous lançons dans la création contemporaine, car il y a beaucoup de jeunes photographes qui travaillent aussi bien en post-production qu’en prise de vue, donc il y a une nouvelle orientation dans notre photographie.

Quelle réflexion apportez-vous autour de ce festival ? Quels sentiments, quels concepts souhaitez-vous mettre en exergue à l’occasion de l’événement ?
Cela permet aux gens de s’exprimer, dans un contexte propice à la photographie. Parfois, cela permet aussi d’exposer aux côtés de grands photographes, car nous avons déjà eu des invités d’honneur de marque : on a eu Jean-François Bauret, qui est malheureusement parti en début d’année dernière, on a eu Jeanloup Sieff, Hans Sylvester etc. Quand vous avez un photographe qui tente de présenter son dossier et se retrouve au même niveau qu’un grand photographe qui est connu mondialement, c’est très valorisant pour lui.

En tant que photographe, préférez-vous le numérique ou l’argentique ?
Malheureusement, nous avons de moins en moins de travaux argentiques. Je fais de la photo depuis plus de 30 ans, et j’ai commencé avec l’argentique, en noir et blanc, et je développais mes tirages. Ce qui est regrettable, c’est que d’année en année, il y a une réelle diminution des travaux en argentique qui sont présentés dans toutes les expositions, ce n’est pas propre au Festival Européen de la Photo de Nu, c’est de manière générale. Cette année, nous avons seulement un artiste qui va présenter des travaux en argentique. L’année dernière, c’était pareil. C’est vraiment une minorité maintenant. Cependant, les gens qui présentent leurs travaux en argentique sont des photographes relativement aboutis, et pour moi, cela reste l’aristocratie de la photographie.

Le numérique dans sa globalité s’est fait une place très importante dans la société actuelle. D’ailleurs, vous lui consacrez une pluralité d’événements dans ce festival, notamment avec le stage « Iphonographie » ou l’exposition collective « Inudes » ou encore la projection « corps et texte ». Quel lien faites-vous entre photographie et numérique ?

C’est une nouvelle vision, c’est de la création contemporaine et il y a des gens qui sont très doués dans la post-production. Tout le monde a un ordinateur depuis des décennies donc c’est une nouvelle ère photographique qui s’est installée et qui, visiblement, va perdurer. Cependant, pour celui qui fait de la photo numérique et n’est pas capable de traiter ces fichiers, c’est plus compliqué que 30 ans en arrière, où un photographe qui faisait du noir et blanc pouvait faire développer ces photos dans un laboratoire.

D’ailleurs Jérémie Mazenq poursuit une véritable réflexion sur le numérique avec l’exposition « Deux point zéro » qui traite de la nudité sur les réseaux sociaux. Pourriez-vous nous en dire un peu plus ?

C’est un travail sur lequel nous avons accroché à l’unanimité. C’est un travail à la fois en numérique et en argentique, puisque ça a été reprographié à la chambre. Il n’y a pas vraiment de trucages dans ces photos. C’est quelqu’un que je ne le connais pas personnellement mais je pense que ça va être une exposition phare du festival.

La photographie aurait-elle une fonction de dénonciation ?
Non, je ne pense pas qu’elle ait une fonction de dénonciation, c’est un état d’âme que les artistes souhaitent montrer, quelque chose qui est propre à chaque artiste.

Le numérique laisse aussi place au développement de la photographie amateur, notamment avec des applications comme Instagram. En tant que photographe, quel est votre avis là-dessus ?
La photographie ne doit pas être réservée à une simple élite comme auparavant, il faut qu’elle s’ouvre à tout le monde. D’ailleurs, aujourd’hui tout le monde a un appareil photo, sinon un téléphone portable. Il y a un nombre incalculable de photos qui se font tous les jours, par tout le monde. Faire des photos c’est bien, il faut que les gens puissent après y travailler. Malheureusement, la photo numérique n’existe souvent que virtuellement. Peu de gens font des tirages photos. Pour moi, la photographie, c’est aussi un support papier. Une fois que l’on a un tirage dans les mains, on a une photo. Regarder une photo sur écran, on la regarde demain, on ne sait pas si on l’aura encore après, si on aura encore le fichier.

Un concours ouvert à tous permet chaque année à un lauréat d’exposer dans un espace dédié, lors du festival. Pourriez-vous nous dire quelques mots sur ce concours ?
C’est un concours que nous menons depuis une dizaine d’années avec le magazine Réponse photo. C’est un concours qui a beaucoup de succès car, suivant le thème, on reçoit prés de 300 dossiers. Cependant, il n’y a que 3 lauréats donc cela met la barre assez haut. Lorsque l’on annonce au premier lauréat qu’il sera exposé sur Arles, c’est une grande joie pour l’artiste. Chaque année, on refait ce concours sur un thème légèrement différent. Cette année, c’était sur l’autoportrait.

Festival Européen de la Photo de Nu – 15ème édition
Du 7 au 17 mai 2015
Arles & les Baux de Provence
http://www.fepn-arles.com/

Crédit-Photo: Bruno Rédarés

Crédit-photo – portrait Bruno Rédarés: Jean Turco – 2009

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