Albertine Sarrazin: le portrait doux-amer d’une écrivaine en cavale
Par Florence Gopikian Yérémian – bscnews.fr/ Avant même de décortiquer le texte ou la scénographie de cette pièce, il faut saluer bien bas la prestation viscérale de Mona Heftre. Avec sa crinière grisonnante et ses yeux charbonneux, cette comédienne sans âge a réussi à s’accaparer littéralement la figure d’Albertine Sarrazin. Tous les plus de quarante ans connaissent les affres et les mauvaises passes de cette écrivaine des années 70 mais Mona Heftre, elle, va au-delà: elle adule Albertine! En s’immisçant instinctivement dans le personnage de cette écorchée de la société, elle la ressuscite le temps d’un soliloque et permet au public de redécouvrir son vrai visage.
Déposée dès sa naissance à l’assistance puis adoptée par un couple de vieux, la môme Albertine a bien du passer le quart de sa vie en prison. Entre les fugues, les maisons de redressement et les séjours derrière les barreaux, elle a fait le tour de la question carcérale et s’est forgée une bien singulière carapace de taularde prosatrice.
La pièce, sobrement mise en scène par Manon Savary, nous entraine dans les pas rageurs de cette fière insoumise qui, malgré les obstacles, a pleinement voulu jouir de sa courte vie. Brossant son parcours depuis ses années collège jusqu’à sa mort prématurée, cet impétueux monologue nous laisse à bout de souffle sur le bitume aux côtés de l’indomptable Albertine: entre les trottoirs de Pigalle, les virées aux assises et les couloirs de Fresnes, il est étonnant de voir à quel point cette frondeuse idéaliste a trainé ses basques dans toutes les galères sans jamais perdre espoir !
Si Albertine a résisté à la prostration autant qu’à la faucheuse, c’est en parti grâce à sa force de caractère mais c’est aussi à cause d’une certaine insouciance qui lui a permis de s’élever au delà du monde, dans cet entre-deux réservé aux aèdes et aux fous. Admiratrice du sulfureux Rimbaud, elle fait, à sa façon, partie des poètes maudits car c’est à son écriture qu’elle doit sa rédemption: de sa plume noire et écorchée, Albertine a recraché ses douleurs et son mal être quotidien. A l’ombre de ses cellules successives, elle a gratté du papier et poussé ses phrases jusqu’à les faire saigner pour en tapisser les murs. Avec son encre franche et son étonnante suffisance, elle s’est virtuellement libérée de son incarcération et a finalement réussi à se faufiler dans la cours des grands écrivains du XXe siècle!
Son roman L’Astragale demeure le plus connu de sa principale trilogie. Elle y raconte sa chute de dix mètres de haut pour échapper au cachot et tomber, par le plus grand des hasards, dans les bras de Julien, l’homme de sa vie. Car elle sait aimer la sauvage Albertine, elle a même l’émotion à fleur de peau! Certes, c’est une habituée des relations saphiques mais la prison ne lui en a pas offert beaucoup d’autres… Certes, elle a plongé très tôt dans la prostitution mais il fallait bien trouver un moyen pour subsister : quand on appartient au monde de la rue, chacun sait parfaitement qu’il n’y a aucune loi, aucun frein, juste une lutte quotidienne pour se faire une place sur terre sans trop savoir laquelle. Alors oui Albertine possède à son actif mille et une débauches: du hold-up avec révolver au tapinage à la sauvette, la gamine a tout essayé et pourtant cela n’a pas fait d’elle une mauvaise fille. Aussi cruelle que douce, cette femme-enfant donne tout simplement l’impression d’avoir passé sa vie à la chercher.
Encore bravo à Mona Heftre qui met son talent et son immense sensibilité au service de la môme Sarrazin: qu’il s’agisse de sa gouaille colérique, de son port altier ou de sa bouche amoureuse, cette étonnante comédienne parvient à composer une Albertine perpétuellement en quête d’absolu. Avec ses chansons tristes et ses clins d’oeil à la gavroche, elle rend hommage à une « scandaleuse oubliée » et séduit définitivement tous les publics.
Albertine Sarrazin
Adaptation et interprétation: Mona Heftre
Mise en scène: Manon Savary
Théâtre de Poche
75, boulevard du Montparnasse – Paris 6e
– Jusqu’au 3 mai 2015
Du mardi au samedi à 21h – le dimanche à 15h
Réservations: 0145445021
– Le 13 mai 2015 dans le cadre du Festival « Seules…en scène » au TOP ( Boulogne-Billancourt)
Profitez de cette pièce pour redécouvrir les textes originaux d’Albertine Sarrazin: L’Astragale, La Cavale, La Traversière
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