Impulse : Jean-Philippe Allard ou l’histoire incroyable d’une renaissance musicale
Par Nicolas Vidal – bscnews.fr / Le Label Impulse renait de ses cendres après avoir fait les beaux jours du Jazz depuis les années 1960. Jean-Philippe Allard revient sur l’incroyable histoire d’Impulse et sur la genèse de cette renaissance. Le producteur revient pour nous également sur la nouvelle direction musicale qu’il souhaite donner au label , sur les prochains signatures à venir chez Impulse! et nous propose un regard passionnant sur le Jazz.
Pouvez-vous nous parler des débuts d’Impulse dans les années 1960 à New York ?
Impulse ! est lancé par ABC-Paramount en 1961 sous les auspices de Creed Taylor qui supervisera les dix premières références du label, parmi lesquelles des disques de Ray Charles, J.J. Johnson, John Coltrane et Gil Evans. Impulse! impose rapidement une ligne éditoriale rigoureuse, avec une très grande attention portée au son (les séances d’enregistrement sont souvent supervisées par le grand ingénieur du son Rudy Van Gelder, connu pour son travail pour Blue Note) et au support avec ces pochettes ouvrantes – dites gatefold – en très fort carton et au contre-collage brillant d’un luxe encore remarquable aujourd’hui. Dès l’année suivante, en 1962, c’est Bob Thiele qui prend les commandes et accueille tant les figures du swing que sont Benny Carter, Coleman Hawkins, Duke Ellington, que les parangons de la modernité incarnée par Yusef Lateef, Charles Mingus, Freddie Hubbard ou Sonny Rollins. Cette modernité va se « radicaliser » progressivement à partir du mitant des années 60 avec le free jazz ou ce qu’on a aussi appelé la « new thing ». A Love Supreme de John Coltrane marque bien ce tournant qui va fortement marquer l’image du label avec les albums de Archie Shepp, Albert Ayler, Pharoah Sanders, Alice Coltrane.
Pourtant, le label s’essaye à d’autres genres comme le folk (deux références seulement) ou la bossa-nova (sur les traces de Stan Getz), le jazz vocal (à petite dose il est vrai mais bien représenté par Jackie Paris, Lorez Alexandria, Beverly Jenkins, Freda Payne, Johnny Hartman ou le trio Lambert, Hendricks and Ross) mais aussi la musique latine avec Chico O’Farrill ou le blues avec John Lee Hooker et Mel Brown. Une couleur pop devient même persistante à partir du Summer of love (1967) avec les albums d’artistes cross-over comme Gabo Szabo ou Bill Plummer qui feront ultérieurement les délices des amateurs de easy listening.
À partir de 1969 Ed Michel et Steve Backer se partagent la direction du label et signe Keith Jarrett, Gato Barbieri, Ahmad Jamal ou Sun Ra. Le son s’électrifie quelque peu et le graphisme des pochettes se teinte de psychédélisme bien dans l’air du temps. En 1975, le label est confié à Esmond Edwards, avec des moyens réduits et se met progressivement en sommeil jusqu’en 1977. Une première tentative, dans le groupe MCA, le réveille en 1986 mais c’est en 1995 qu’une politique de signature plus systématique (Horace Silver, McCoy Tyner) tente de le remettre sur le devant de la scène. Quand MCA et Polygram fusionnent au tout début des années 2000 pour devenir Universal, la marque rentre de nouveau en léthargie.
Qu’est ce qui a guidé cette volonté de faire renaître ce célèbre label ?
Quand impulse avait intégré Universal, tout ce qui était sous cette marque, comme Diana Krall, était devenu Verve. Verve s’est alors orienté sensiblement vers le cross-over et les autres marques de jazz du groupe Universal ne créaient pas réellement de répertoire de jazz à proprement parler. EmArcy était utilisé pour des sorties internationales de manière disparate ou Concord qui est en fait un label distribué. Je pensais que le moment était venu de relancer un label avec une belle image et reprenant son crédo originel : « The new wave in jazz » tout en se concentrant sur ceux que je pense être des maîtres de cette musique et ceux qui le deviendront un jour. Il existe un public beaucoup plus large que généralement admis pour cette musique. En se donnant les moyens nécessaires de l’atteindre, on récompense aussi de grands musiciens de jazz dont je trouve fou qu’ils n’aient pas vraiment de label et travaillent en free lance. Dave Holland et Kenny Barron tournent ensemble depuis deux ans et personne n’avait pensé à les enregistrer. Dans les années 1990, ce ne serait pas arrivé !
Depuis l’émergence du Free Jazz soutenu par Impulse, quelle est aujourd’hui la ligne musicale du label ?
Comme évoqué plus haut, le free jazz n’est qu’une des nombreuses couleurs patrimoniales du label. Le jazz classique y est fortement et dignement représenté depuis toujours. Henry Butler, Steven Bernstein et leur Hot 9 rendent hommage à Fats Waller et Jelly Roll Morton, deux maîtres des années 1920 et 1930 tout en apportant une touche de modernité qui est propre au pianiste Henry Butler, fortement ancré dans la tradition de la Nouvelle Orléans mais qui a joué avec Charlie Haden, ainsi qu’au trompettiste Steven Bernstein proche de l’underground new yorkais de John Zorn et qui a régulièrement travaillé pour des artistes tels que Lou Reed, Elton John ou Sting. Kenny Barron est aujourd’hui un vrai maître du piano, un géant de cet instrument dont les jeunes générations s’inspirent.
Les jeunes générations justement sont curieuses et connaissent cette histoire de par l’accès illimité et permanent aux catalogues. Nos signatures pour 2015 en sont une illustration parlante avec Jacky Terrasson qui revisite Dave Brubeck ou Bud Powell à sa manière, avec un son très contemporain ; Indra Rios-Moore qui s’appuie sur le blues, Duke Ellington pour donner corps à une expressivité vraiment impressionnante, atemporelle et déjà très sûre d’elle ; les Snarky Puppy qui sont un véritable phénomène et donne un coup de jeune sur le jazz comme le titrait Jazz Magazine l’année dernière. Impulse! va privilégier l’intégrité, la créativité et une certaine ouverture, dont a finalement toujours fait preuve la musique de jazz.
Comment se situera-il par rapport à la production déjà riche de Jazz chez Universal ?
En complément des labels déjà existants qui s’expriment de manière locale (en signant des artistes déjà bien implantés sur leur territoire), Impulse ! va explorer une dimension vraiment internationale. La question déborde celle du groupe Universal. Par exemple, en Europe depuis la fin des années 1980, la plupart des labels se sont concentrés sur ce qui se passait en Europe. La musique de jazz s’est donnée au monde et de formidables musiciens s’expriment dans cet idiome tant aux Etats-Unis qu’en Europe mais aussi en Afrique, en Australie, en Asie, etc. L’idée est de leur donner une aura internationale, de développer ces projets de manière globale parce que la caisse de résonance de cette musique est également globale et lui donne un public qui n’a même jamais été aussi nombreux qu’aujourd’hui.
Les sorties des projets Butler et Berstein et celle de Charlie Haden ont-elles bénéficié d’une préparation particulière ?
Le projet de Henry Butler, Steven Bernstein & the Hot 9 m’a été proposé par un producteur indépendant, Joshua Feigenbaum, qui avait fait enregistrer cinq titres au groupe sur lequel j’ai complètement craqué. Ensuite, ils ont complété le projet qui est devenu Viper’s Drag, le premier album de la renaissance d’Impulse. Ce projet est aussi un formidable projet scénique dont raffole le public qui a pu les voir dans les festivals. Henry Butler incarne la tradition vivante de la Nouvelle Orléans, sans passéisme aucun. Il a enregistré quelques disques sous son nom mais aucun ne présente aussi bien son formidable potentiel. Et c’est un homme extraordinaire, investi dans l’enseignement de la musique aux non-voyants qu’il est lui-même, généreux et incroyablement positif. Pour l’album de Charlie Haden en duo avec Jim Hall, j’ai écouté avec le contre bassiste que je connaissais depuis très longtemps pour l’avoir produit dès les années 80, beaucoup d’enregistrements. Nous avons choisi ce concert capté par la radio canadienne à Montreal parce qu’il était incroyable et il documentait un dialogue jusqu’alors inédit au disque. Charlie Haden est malheureusement décédé avant la sortie de cet album mais il savait qu’il allait sortir. Un album qui a trouvé son public tant aux Etats-Unis qu’en Europe et partout ailleurs dans le monde.
Quelle sera la pierre angulaire de la renaissance d’Impulse ?
L’idée est tout d’abord de redonner à impulse! tout ce qui a fait la légende de sa marque : sa personnalité, son excellence, son ouverture. Par ailleurs, le fait que le jazz ait été plutôt abandonné par les majors depuis une dizaine d’années (le début de la crise du disque) a créé une habitude des artistes à s’auto-produire. La technologie fait qu’on peut faire des disques de jazz de qualité sans dépenser beaucoup. Se créent alors des projets qu’ensuite on va placer auprès d’un label ou un autre. La conséquence, c’est un manque de personnalité des labels et souvent des défauts de production, dû au manque de recul, dans le packaging, la qualité du son, le montage ou le choix des titres. Beaucoup de ces projets sont valables mais ils n’ont pas été produits par un label pour un public. Ce sont des disques qui sont davantage faits pour trouver des concerts, parce que la vraie économie est dans les tournées. On peut donc revenir à l’idée de produire vraiment. Ce qui ne m’empêche pas de craquer sur des « bandes » si je les trouve fantastiques.
Par ailleurs, si on parle de supports, Impulse! va exister au digital comme au physique, car si le modèle du streaming tend peu à peu à s’imposer, l’objet disque (CD ou LP) reste important pour le public. L’excellence des vinyles impulse! est légendaire et reste un modèle pour nous (même si elle est techniquement difficile à reproduire à l’identique). Le digital et en particulier le streaming est loin d’être idéal pour les niches qui risquent d’être écrasées mais il ne faut pas partir perdant et il vaut mieux exister sur ces plateformes comme nous le proposons par exemple via l’offre de playlists Digster. Enfin, tant que c’est possible, impulse ! proposera également des contenus video afin de faire parler de ses projets sur les réseaux sociaux via YouTube. Nous construisons peu à peu une communauté impulse! composée de fidèles de la marque mais aussi de nouveaux venus attirés par son histoire et son actualité. Nous constatons une cote d’amour sans cesse grandissante pour le label aux fameux point d’exclamation !
Comment s’opèrent les choix musicaux pour les nouvelles sorties ?
Essentiellement au coup de cœur. Comme cela s’est passé pour Indra Rios-Moore par exemple dont l’album produit par Larry Klein (Tracy Chapman, Joni Mitchell, Madeleine Peyroux, Melody Gardot) est arrivé jusqu’à moi, un peu par hasard. L’album des Snarky Puppy est également porteur d’une grande excitation dans la manière qu’ont ces musiciens de concevoir leurs projets. Ils viennent de l’indépendance après avoir créé pendant près de dix ans leur environnement. Ils n’auraient pas proposé cet album à n’importe qui et le prestige d’impulse! ainsi que notre vision les ont convaincus de s’inscrire dans l’histoire de ce label.
Label Impulse!
Déja disponibles
> Butler, Bernstein & the Hot 9: Viper’s Drag
> Charlie Haden – Jim Hall
( Crédit photo : Philippe Lévy-Stabb)
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