Balade en Perception

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Par Sophie Sendra – bscnews.fr/ Le nouvel ouvrage de Michel Serres qui s’intitule Yeux (Aux Éditions Le Pommier) nous permet d’aborder notre sujet de prédilection, la perception. Expliquer ce qui est à voir ou à percevoir n’est pas une mince affaire car la différence entre ces deux termes n’est pas évidente.

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Il est possible de dire que « voir » c’est utiliser l’un de nos cinq sens pour prendre contact avec ce qui nous entoure. En effet, nous pouvons voir avec nos yeux, mais également avec le toucher, transcender les sens afin de leur attribuer une « vision » telle une synesthésie. Percevoir c’est autre chose. Il est possible de l’envisager comme le fait de « percer puis voir », comme s’il y avait un effort à fournir, un secret à découvrir. Afin de voir au-delà de ce qui est présenté à nous il faut aiguiser notre regard, changer notre point de vue, créer une parenthèse phénoménologique. Comme l’explique Michel Serres, il est indispensable de questionner le peintre, le photographe, l’artiste, qu’il soit connu ou moins connu du grand public.

Angles de vues
Afin de déceler les faiblesses que peut avoir notre regard sur le monde, il semble évident que la photographie peut nous aider à y voir plus clair. Cet Art nous permet d’arrêter le monde perceptif le temps d’un instant et de le regarder à tête reposée. On peut ainsi découvrir des étrangetés, des moments imperceptibles que notre conscience n’a pas vu. Ce sont ces moments que nous propose Michel Frizot au travers du Catalogue officiel des expositions présentées à la Maison européenne de la photographie à Paris (du 12 novembre 2014 au 25 janvier 2015), Toute photographie fait énigme (Éditions Hazan). L’auteur nous propose de visiter un monde énigmatique celui des photographies laissées de côté et qui offrent à nos yeux des clichés stupéfiants de spontanéité, étranges parfois, comme si le hasard avait été convoqué ou que le talent de ces auteurs anonymes n’avait pas été révélé.

Les Éditions Hazan ne s’arrêtent pas là
Une autre réalité est en marche avec l’ouvrage de Gilles Mora consacré à Aaron Siskind, photographe américain décédé trop tôt. Ce journaliste et enseignant était plus que cela, il était également un artiste de la perception puisqu’à partir des années 50 il travaille sous l’influence de la peinture. Sa photographie devient multiple et tentaculaire, elle prend le sens de la multiplicité donnant à voir puis à percevoir la Beauté là où on l’attend le moins. Une magnifique traversée de la perception que Michel Serres ne démentirait pas, lui qui interroge le regard du peintre, le spectateur lui-même et la façon dont on regarde une oeuvre.

Les yeux, force perceptive
La peinture est commune à toutes les civilisations et, elle est à ceci particulière qu’elle a permis à l’homme de donner une trace de son passage dans le monde, devenant l’expression de l’Histoire humaine, d’une anthropologie involontaire. C’est sans doute pour cela que Michel Serres nous parle des grottes de Lascaux. L’Art pictural traverse le temps et les époques comme une trace indélébile de notre évolution, de notre perception du monde. Comprendre le monde qui nous entoure c’est aussi agrandir notre Regard sur l’image, (Hervé Bernard, Éditions Regards et Impressions) c’est élargir le champ des possibles, changer de culture, s’éloigner des ports trop chauds de nos certitudes voilées. Ainsi il devient impératif de découvrir la vie quotidienne, l’imagination nippone, les paysages illustrés par Katsushika Hokusai. Regroupés dans un ouvrage volumineux – une édition complète commentée par Martin Forrer conservateur des Arts Japonnais au Musée National des Pays-Bas – intitulé La Manga, cet ouvrage vous ouvre les portes d’un monde souvent méconnu, le japon du XVIII° et du XIX° siècle. Ces dessins imprimés à l’origine sur du bois en trois couleurs (noirs, gris et couleur chair) nous montrent à quel point notre regard doit être apprivoisé et que la seule chose universelle qui se dégage de ces témoignages si lointains et si proches, c’est la poésie.
Cy Twombly était de ceux-là, de ces poètes qui nous montre l’interaction entre les Arts. La frontière entre les expressions n’existe plus. Mort en 2011, cet américain est intercontinental puisqu’il s’intéresse également à cette vieille Europe où il s’installe en 1957. Tout devient support, tout est couleurs dans cet ouvrage éponyme dirigé par Nicolas Del Roscio (Éditions Hazan). Dessins, sculptures, photographies tout est expression du voir, tout est laissé à notre perception.

S’il fallait conclure
Michel Serres se pose une question essentielle dans son ouvrage Yeux, celle de savoir jusqu’où l’homme pourra-t-il « voir » le monde ? Ces ouvrages peuvent répondre en partie à cette question : jusqu’à ce que l’homme découvre qu’au-delà de la forme, de la culture, des civilisations, il a toujours voulu traduire ce qu’il percevait déjà en intuition, la Beauté du monde.

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