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Benjamin Lacombe et Marie-Antoinette : le magnifique mariage d’une reine et d’un orfèvre

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Par Julie Cadilhac – bscnews.fr/ Qui était réellement Marie-Antoinette? Qu’en sait l’imaginaire populaire sinon qu’elle fut décapitée, le corps sanglé sur la planche de la guillotine et qu’avant cette fin tragique, cette jeune femme autrichienne ne consomma pas son union avec le Dauphin Louis avant plusieurs années et qu’elle se précipitait dans la frivolité et le raffinement sans doute pour supporter sa solitude extrême? Voilà, en tous cas, l’image que nous en donne notamment le superbe long-métrage de Sofia Coppola en 2006 où la Reine était interprétée par la touchante Kirsten Dunst.

propos recueillis par

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Quelques années plus tard, c’est Benjamin Lacombe qui s’en empare et l’on ne s’étonne qu’à moitié! Créateur d’une Ondine fascinante, d’une Madame Butterfly à couper le souffle, d’une Blanche-Neige qui a conquis de nombreux pays, d’une Esmeralda envoûtante au sein du récit de Notre-Dame, s’emparer de la destinée de Marie-Antoinette ne pouvait qu’être la suite logique de son travail d’orfèvre. Et l’on n’est pas déçus : l’auteur y propose une narration originale qui mêle d’authentiques correspondances avec un journal intime imaginaire. Tout cela – car Benjamin Lacombe est extrêmement rigoureux- sous le regard correcteur d’une historienne, Cécile Berly. Du point de vue graphique? C’est Baudelaire qui s’impose sur nos lèvres : « là, tout n’est qu’ordre et beauté, luxe, calme et volupté»!
Il n’y a plus qu’à saluer ce magnifique travail et remercier chaleureusement l’auteur de nous offrir pour la troisième fois dans nos pages un menu royal pour le mois de décembre !

Comment est née l’envie de travailler sur Marie-Antoinette ?
Je me suis toujours intéressé à ce personnage, véritable icône et en même temps représentante d’un monde rempli d’inégalités et d’injustices dans lequel nous autres, non-aristocrates, aurions été bien malheureux. Ceci dit, ce monde ressemble de plus en plus à notre actualité avec des inégalités qui se creusent, la nouvelle aristocratie est celle de l’argent et l’on exploite toujours plus les classes sociales les moins élevées… je trouve qu’il y une odeur de fin de règne et de révolte qui s’installe de plus en plus.

En vous documentant, quels clichés de la Reine ( véhiculés par le cinéma et l’imaginaire populaire par exemple) ont cessé d’exister dans votre imagination?
Oh ils sont nombreux ! La reine a été une grande incomprise et ce depuis sa plus tendre enfance où sa mère et sa famille l’ont largement sous estimée : la pensant ravissante idiote, ce qu’elle était loin d’être -comme en témoignent ses lettres dont une partie sont reproduites dans le livre. Il y a cette fameuse phrase qu’elle n’a jamais dite sur les brioches et d’ailleurs il y a aussi le cliché de la reine gourmande se gavant de macarons, ce qui était totalement faux, elle mangeait très peu. C’est à peine si elle picorait, sa faiblesse était le chocolat et on peut l’en remercier, sans elle, le chocolat que l’on connaît et apprécie tant n’existerait pas, la fève de cacao a été transformée, sucrée et durcie selon ses goûts pour donner le chocolat que l’on connaît. C’était d’ailleurs un petit miracle à l’époque, au vu de leur connaissance en chimie. Je donne la recette de ce premier chocolat dans le livre d’ailleurs.

Quelles ont été vos sources pour les événements historiques et pour l’iconographie?
Très nombreuses, pour le texte j’ai avant tout lu les différentes biographies disponibles (Sweig, Fraser, Lever, etc..) J’ai lu toute la correspondance de Marie Antoinette, le journal de Fersen et même le livre de Madame Campan (même si celui-ci est moins utile car rempli de faussetés que la servante a inventé pour mettre en valeur sa maitresse ou elle même). Et puis la relecture et le savoir de Cécile Berly m’ont aussi beaucoup aidé. C’est une historienne spécialiste du XVIII sicècle qui m’a été recommandée par le Château de Versailles et je suis vraiment heureux et honoré de cette collaboration.
Concernant l’iconographie elle est nombreuse et facile à trouver. J’ai cependant fait de nombreuses visites à Versailles, j’ai été à Schönbrunn près de Vienne dans le palais d’enfance de Marie-Antoinette. J’ai vu la belle exposition consacrée à la reine au grand Palais, il y a quelques années, comme d’autres nombreuses à Paris consacrées à ce siècle, qui fut l’un des plus flamboyants pour l’art Français.

Vous la représentez souvent portant notamment des perruques extravagantes. Dessiner une Reine de cette époque, c’est la panacée pour un illustrateur tant y fourmillent de détails possibles dans le costume, non?
Les perruques ne sont pas les plus difficiles : le Rococo dans son entier est une gageure ! Cette opulence de détails partout, dans les costumes, l’architecture, c’est fou ! La peur de ne pas en faire trop aussi, de ne pas tomber le kitch… C’était un travail de patience et aussi de choix. Mais je dois dire que de cette frénésie de détails, de couleurs, de matières offre une certaine vivacité, énergie et fraicheur qui, je le crois, se dégage du livre et des illustrations.

Si vous deviez résumer en quelques phrases le caractère de Marie-Antoinette tel que vous l’avez perçu, vous diriez?
Je la dirais à la fois profonde et légère, extravagante et secrète. C’est une femme faite de contradictions (comme nous le sommes tous), mais je pense qu’elle était avant tout une grande incomprise. Sur la fin de son règne je la dirais impressionnante et digne. Pour le reste il vous reste à lire le livre ( sourire) !

« Marie-Antoinette n’a jamais eu le goût de l’écriture» explique Cécile Berly dans la préface. Imaginer son journal intime, c’était une façon de fouler une voie nouvelle et de vous permettre des infidélités avec la réalité ?
Elle n’avait pas le goût de l’écriture mais nous avons retrouvé plus de milles pages d’écrits et de correspondance de sa main. Ajoutez à cela tout ce qui a été détruit… Bref même si elle n’aimait pas écrire, elle s’y contraignait, c’était le siècle des Lumières, l’écrit était indispensable alors. Elle y était d’ailleurs largement encouragée, voire même forcée par sa mère, on le lit très clairement dans le règlement à lire chaque jour, écrit pour sa fille par l’impératrice Marie-Therèse avec lequel Marie Antoinette est envoyée à Versailles ; reproduit en début de livre, l’impératrice somme sa fille d’écrire et lire chaque jour, de prier aussi. La rédaction d’un journal intime me semble dans ce contexte tout à fait probable; de plus, celui -ci est très irrégulier, avec parfois des ellipses de plusieurs années ; c’est assez proche de la personnalité de la reine qui n’aurait pas pu se contraindre à une rédaction trop régulière de ce dernier.

Cécile Berly écrit aussi :« L’ écriture fictionnelle ose ce que l’Histoire interdirait.» Pensez-vous que la fiction, parfois, raconte mieux l’Histoire que l’Histoire elle-même?
Elle la raconte différemment, là où l’oeuvre historique sera plus complète, plus savante et précise, l’oeuvre de fiction, grâce à des personnages et à une plus grande liberté dans l’animation de ceux-ci , pourra plus facilement nous plonger dans une époque, dans une intimité que l’écriture historique aura bien du mal à nous faire ressentir. Ici l’emploi de la première personne a une force d’identification qu’une écriture plus détachée d’historien n’aura jamais, c’est une certitude. Je pense que l’empreinte que la fiction peut laisser dans la mémoire du public peut en être d’autant plus forte.

Pause gourmande: avez-vous testé vous- même les pistoles au chocolat et le croissant de lune?
Oui les deux, j’ai dégusté, comme beaucoup, les croissants de lune, mais je préfère son enfant ou petit frère : le croissant au beurre, moins sec et plus savoureux. Pour les pistoles aussi, le magasin Debauve et Gallais n’est plus une pharmacie comme à l’époque où il avait créé le premier chocolat pour la reine, mais au vu du succès de celui-ci, s’est transformé en Chocolatier. On peut toujours y déguster des pistoles ; les préférées de Marie Antoinette étaient ceux aromatisés à la fleur d’oranger.

Revenons aux choses sérieuses: On trouve des lettres authentiques dans le livre: le vocabulaire et la syntaxe sont très différents de la nôtre, forcément. Quels en sont les principaux codes? Avez-vous choisi de vous en asservir dans le carnet, en partie parce que c’est un lieu où la Reine est plus libre de se détacher des conventions de l’étiquette royale?
Oui et non. Cela va dépendre de l’humeur que j’imagine pour la Reine. Si celle-ci est sous le coup de la colère ou de la passion, son écriture se fait moins contrôlée, plus détachée. Lorsque, au contraire, elle est plus mesurée, son écriture l’est plus aussi. J’ai également réutilisé beaucoup de ses propres mots repris de ses lettres.

Marie-Antoinette et sa sexualité a inspiré de nombreuses illustrations dans ce livre ( dessins de fantasmes sous des airs de Kâmasûtra, les déclinaisons de serrures, la robe au bouton de rose… ). Dites-nous en un peu plus sur ce travail de clin d’oeil à une réalité terrible pour une Reine dont le rôle principal était d’offrir à la couronne un prince.
La sexualité de la Reine a très vite été un sujet essentiel et prédominant pour ses contemporains. En effet, le rôle d’une reine est avant tout de donner un héritier à son roi et un souverain à son peuple. Or les sept premières années de leur union avec Louis XVI, leur mariage n’avait pas été consommé. En effet, Louis XVI souffrait d’une légère déformation qui rendait la pénétration douloureuse pour lui. Dès lors, cette si attirante femme qu’était Marie antoinette n’étant pas satisfaite par son mari, tous les fantasmes et autres grivoiseries étaient parmi les principaux sujets à la cour, puis ont envahi ensuite les pamphlets du peuple. C’est pour cela que j’ai fait une toile de jouir, au moment de la libération, après sept années d’abstinence (il a fallu que le frère de Marie-Antoinette vienne d’Autriche expliquer à Louis XVI comment se débrouiller) . Marie Antoinette a ainsi toujours été un fantasme pour ses contemporains et cela a continué à travers le temps.

Est-ce volontairement qu’on aperçoit peu le roi et jamais Fersen?
On aperçoit le Roi plusieurs fois dans le livre, même s’il n’a jamais la vedette, il accompagne la reine. Ce livre est le carnet intime de Marie Antoinette, elle en est le principal sujet. Pour Fersen c’est volontaire, leur relation était secrète et sujet à controverse et discorde entre les historiens jusqu’à peu. Elle ne pouvait évoquer directement Fersen en le nommant dans le livre, elle dit « Il », et, de la même façon, je ne le représente pas. Fersen, c’est un peu le prince de contes de fée , le héros de tous.

Dans ce livre, il y a plusieurs clins d’oeil à des tableaux existants: pourriez-vous en dire un mot à nos lecteurs?
Non je préfère qu’il les découvre par eux-mêmes, mais je dirais qu’ils sont fortement -et avec malice- réinterprétés ( sourire).

Enfin, cerise sur la perruque et parce qu’on sait que Benjamin Lacombe est un bourreau de travail qui fourmille d’idées: après Madame Butterfly, Marie-Antoinette, peut-on s’attendre à un prochain album qui illustre encore le destin tragique d’une femme?
Cette année, il y aura Alice aux pays des Merveilles, pour les éditions Soleil/Metamorphose ; l’illustration du texte intégral, un grand projet pour moi, je me mets une pression de dingue, je veux faire un bel objet. C’est donc bien une jeune fille mais son destin n’est pas tragique ( sourire). L’autre livre pour la fin d’année est un livre sur des chats écrit par Sébastien Perez, pas tragique du tout non plus. Il s’appellera « Facéties de Chats » aux éditions Margot et il sera très amusant.
Le seul destin tragique sur lequel je travaille cette année est celui d’un homme : Leonard de Vinci, en effet le second et dernier Volume de ma bande-dessinée « Leonard & Salaï », réalisé avec Paul Echegoyen, bascule dans la tragédie… Mais pour cela il vous faudra attendre le printemps 2016…

Marie-Antoinette : Carnet secret d’une reine
Editions: Soleil
Collection: Métamorphose
Auteur : Benjamin Lacombe
Préface: Cécile Berly
Bande dessinée (cartonné).
Parution: décembre 2014
Prix: 24,95€

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