L’école des femmes: une très belle mise en scène de la folie amoureuse
Par Florence Gopikian Yérémian – bscnews.fr/ Arnolphe a fait élever sa pupille Agnès dans un couvent pour la transformer en une épouse aussi soumise que fidèle. Devenue une belle jeune fille, elle est donc conviée au logis de son tuteur qui souhaite la marier en dépit de son grand âge. L’ayant coupée du monde et de ses vices, Arnolphe croit sa captive honnête et sans instruction: il espère ainsi éviter d’avoir à porter des cornes à l’exemple de tous les maris trompés de France! Mais cela est peine perdue car l’innocente Agnès n’est pas plus sotte que prude, il a suffi que son regard croise celui du fringuant Horace pour que son chaste voile s’envole aussitôt au septième ciel…
La pièce prend place dans un très beau décor rural aux façades patinées de bois clair. Autour d’un jardin clos, pouvant faire allusion à la symbolique médiévale de la virginité, se déploie la demeure secrète d’Arnolphe, aussi murée qu’une place forte, En arrière-plan, derriere un tulle blanc et délicat transparait un cloître censé évoquer l’enfance recluse et séraphique d’Agnès. Inversement, en avant-scène s’étire la ville et ses ruelles, propices aux plaisirs des sens et à la débauche. C’est en ces lieux de corruption que déambule amoureusement le bel et entreprenant Horace…
Lorsque l’on réfléchit attentivement à la thématique de L’école des femmes, on se rend compte à quel point sa trame peut être scabreuse: par delà l’approche amusante et moraliste qu’en propose Maître Molière, cette « comédie » raconte tout simplement la séquestration d’une belle pucelle par un vieux barbon lubrique et égoïste! En réactualisant la prose et le contexte de cette oeuvre, avouons qu’un tel sujet puisse aujourd’hui paraître choquant et immoral étant donné qu’il touche directement à la pédophilie! Mais laissons-là cette dimension sombre et incisive et, à l’exemple de Philippe Adrien, choisissons une lecture qui prône d’avantage le parti du rire et de la folie amoureuse.
La mise en scène de Philippe Adrien est en effet des plus divertissantes car il a brodé son spectacle au petit point. Durant plus de deux heures, il nous offre un grand moment de théâtre classique où tout est réglé au millimètre : les dialogues savoureux, les quiproquos, les clins d’oeil grivois, les jeux d’ombres et de lumières, les bruits de clocher… Pour ce faire, il a sélectionné d’excellents comédiens et eu raison de faire confiance à la diversité de leurs personnalités.
Il en va ainsi de Patrick Paroux qui s’impose avec éloquence dans la figure du vieil Arnolphe. Doté d’une grande rigueur mais d’une aisance incroyable, cet acteur réussit à concilier l’humour et la démence amoureuse: tour à tour bourru, inquiet, épris ou humilié, il parvient aussi bien à dissimuler son déplaisir qu’à faire éclater son puissant courroux. Face à ce seigneur aussi fier que fou, la charmante Valentine Galey se confond avec grâce dans les traits d’Agnès: blonde et blanche comme une sainte paradant dans ses jupons de dentelle, elle joue les ingénues sans jamais tomber dans le registre de la mièvrerie. Caressant la scène de ses pieds nus et délicats, cette comédienne aux allures de ballerine séduit aussi bien par la douceur de son élocution que par la légèreté de son attitude. Afin de contrebalancer cette image excessive de pureté juvénile, le personnage d’Horace est quant à lui allègrement audacieux : c’est à Pierre Lefebvre que revient le rôle de cet élégant damoiseau dont la prestation « dansante » peut surprendre au sein d’une oeuvre aussi classique. On se laisse cependant mener par la dynamique de son jeu décalé grâce à son sens inné du mouvement : en agrémentant sa prose d’arabesques et d’élégantes pirouettes, ce jeune artiste finit en effet par acquérir le profil adéquat du courtisan contant fleurette. Autour de ces trois principaux protagonistes, saluons également les querelles loufoques des deux serviteurs d’Arnolphe interprétées par Joanna Jianoux et Gilles Comode. Le faciès tordu et la mimique nigaude, ce drôle de couple vient constamment aviver la scène de ses cris et de ses embrassades.
Par delà la dimension farcesque de L’Ecole des Femmes, on se doit de souligner la modernité de cette pièce car le discours de Molière y est superbement avant-gardiste: certes, Sieur Poquelin invite ici ses spectateurs à une reflexion sur la jalousie et l’égoïsme amoureux, mais ce qu’il prône de façon sous-jacente, c’est tout simplement l’égalité des sexes. Son Arnolphe est le prototype parfait du misogyne qui se veut non seulement « mari » mais aussi « seigneur et maître chez soi ». Pour s’en convaincre, il suffit de tendre l’oreille sur ses maximes phallocrates et d’écouter attentivement « l’exercice journalier d’une femme » qu’il fait lire sans complexe à la pauvre Agnès : ce texte est transcendant de bêtise machiste! En poussant à l’excès ce personnage de barbon cynique et ridicule, Molière remet ainsi clairement en question le statut de la femme au sein du couple et il se positionne bel et bien pour son émancipation au coeur de la société!
Cette adaptation de L’école des femmes est tout simplement un régal des sens : sa mise en scène est spirituelle, sa scénographie fort belle quant aux comédiens, ils sont amoureux de leur texte. On s’interroge cependant sur la singulière apparition finale des pères d’Agnès et d’Horace : pourquoi diable avoir déguisé ces deux acteurs en Amish? A moins que ce ne soit en Quakers? Il faudra que Philippe Adrien nous donne un indice ou qu’il nous explique clairement cette élucubration…
Pour le reste: c’est parfait!
L’école des femmes
de Molière
Mise en scène: Philippe Adrien
Avec: Raphaël Almosni, Vladimir Ant, Gilles Comode, Pierre Diot, Valentine Galey, Joanna Jianoux, Pierre Lefebvre et Patrick Paroux.
Décor: Jean Haas & Lumières: Pascal Sautelet
Tournée:
– Du 27 au 30 novembre 2014 au Théâtre de l’Ouest Parisien – TOP ( 1 Place Bernard Palissy, 92100 Boulogne-Billancourt)
– Le 6 janvier 2015 au Carré Sévigné ( Cesson-Sévigné)
– Le 20 janvier 2015 au Théâtre de Rungis
– Le Vendredi 30 janvier 2015 à 20h30: Théâtre Victor Hugo – 92220 Bagneux
– Le 20 février 2015 au Théâtre de Chartres ( 28000)
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