Quatre minutes? Une partition inégale au final explosif
Par Florence G. Yérémian – bscnews.fr/ Traude Krüger enseigne le piano dans une prison. Parmi ses quatre élèves, l’une est particulièrement douée mais elle fait preuve d’une violence compulsive. Au nom de l’art et de la musique, Fraü Krüger accepte néanmoins de dispenser son enseignement à cette Jenny Von Loeben; cependant elle exige de cette gamine une discipline de fer et une soumission totale. Malgré les heurts et les querelles quotidiennes, une complicité s’instaure graduellement entre les deux mélomanes : par le biais de son savoir et de sa persévérance, la vieille Krüger tend en quelque sorte une main à Jenny. Certes, c’est une main rêche et à poigne, mais c’en est une tout de même! De son côté, la jeune fille quitte progressivement sa rébellion pour s’adoucir et esquisser de rares sourires en exécutant ses mélodies pianistiques. Au fil des sonates de Beethoven et des impromptus de Schubert, ces deux âmes en peine vont mutuellement s’apprivoiser et lever les voiles de leurs sombres parcours: tandis que l’une ne parvient pas à oublier son grand amour exécuté par les nazis, l’autre cherche à faire table rase de son passé d’enfant prodige et de ce beau-père qui recommence à lui tourner autour. Dans cet imbroglio des sentiments, la musique apparaîtra alors comme la seule issue possible à leur double rédemption…
Cette œuvre théâtrale s’inspire librement du film allemand Vier Minuten réalisé par Chris Kraus en 2006. A l’inverse de la version cinématographique qui se focalise sur les chocs conflictuels et le ressenti de Jenny et de son professeur, l’adaptation scénique de Jean-Luc Revol n’insiste pas assez sur le duel psychologique qui régit leur relation. Leur tandem manque de puissance, d’introspection et il nous parait plus proche de l’entraide silencieuse que du conflit entre deux êtres en souffrance débordant de fierté.
La distribution est pourtant fort talentueuse: la clope au bec et le cheveu hirsute, la jeune Pauline Leprince incarne une Jenny féline et bornée. Malgré sa rage évidente et son côté autodestructeur, cette excellente comédienne reste en surface et ne compose pas assez sur la palette de sentiments qui s’offre à elle: on voudrait la voir plus sombre, plus torturée, plus hargneuse mais elle se contente de cogner dans les murs au lieu de disséquer le chaos qui la ronge. Il en va de même pour Andréa Ferréol qui nous livre une Fraü Krüger frileusement emmitouflée dans un petit tailleur de laine. Par delà l’austérité de ses strictes lunettes, sa protagoniste a la patte trop douce et le verbe bien trop discret pour ressembler à une ancienne collaboratrice de la Gestapo: malgré l’âge avancé de son personnage, sa prestation manque indubitablement de sécheresse, d’autorité, voire de cynisme! Cela est dommage car un jeu plus cruel et moins retenu entre ces deux comédiennes permettrait à la pièce de gagner en profondeur et en crédibilité.
Le parti pris du metteur en scène est cependant certainement volontaire, tout comme ces petites touches d’humour qu’il introduit au fil des dialogues, notamment lors du succulent échange de vêtements entre Jenny et son professeur. Cette approche légère et divertissante semble plaire au public qui se régale à suivre, pas à pas, les étapes énigmatiques de cette étrange histoire. Au fil des crises d’hystérie et des partitions de musique, les secrets tombent les uns après les autres à la plus grande surprise des spectateurs. Même si les changements de décors et les transitions ne sont pas assez fluides, la tension monte crescendo pour atteindre son paroxysme durant les quatre dernières minutes de la pièce. La fin est superbe alors on ne vous la divulguera pas, sachez juste que pour ce final musical Pauline Leprince se lâche complètement sur un concerto de Schumann et que là, on ne peut que l’applaudir !
NB – Mention spéciale à la prestation d’Erick Deshors: même si ce comédien n’interprète que le modeste rôle du gardien, il s’approprie son personnage avec une très belle subtilité et beaucoup de finesse psychologique. Bravo !
4 minutes
De Chris Kraus
Mise en scène de Jean-Luc Revol
Avec Andréa Ferréol, Pauline Leprince, Erick Deshors et Laurent Spielvogel
Théâtre La Bruyère
5, rue La Bruyère – Paris 9e
Jusqu’au 15 novembre 2014
Du mardi au samedi à 21H
Le samedi à 15h
Réservations : 0148747699
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