Délire à deux ? Un pugilat conjugal sur fond de Grande Guerre

par
Partagez l'article !

Par Florence Gopikian Yérémian – bscnews.fr/ Tandis qu’un couple se querelle confiné dans une chambre, la guerre gronde dans la rue, au-delà des murs. Etrange écho en crescendo à cette rivalité conjugale où deux êtres se battent pour savoir si le limaçon est le même animal que la tortue !

Partagez l'article !

« Mais cette dispute est absurde ! » allez-vous dire ? Tout à fait absurde même, et pourtant si représentative de la réalité ! Quel que soit le degré d’intensité d’un conflit ou d’une guerre, la cause en est souvent fort dérisoire. La plupart du temps, les hostilités découlent d’une simple erreur de communication ou d’un manque de parole entre des individus… C’est cette dimension tragique que tente de nous inculquer Eugène Ionesco à travers cette étrange pièce à deux voix.

Portée avec entrain par Rachel André et Benjamin Tholozan, cette comédie grinçante nous fait partager les disputes et les interrogations d’un couple discordant. Sur fond de bombardements, on assiste à un véritable pugilat où la mauvaise fois domine les deux camps. D’un côté, il y a « Elle », la tignasse féline et le regard carnassier. Rien qu’à sa façon de s’arracher les cheveux en se coiffant, on devine que c’est une haineuse capable de se crêper le chignon, même lorsqu’elle est toute seule ! Provocatrice et agressive, elle semble se nourrir avec délectation du mal qu’elle insuffle quotidiennement à son partenaire. Comparé à cette furie, ce malheureux époux a des allures d’enfant de cœur. L’œil rond et la mâchoire crispée d’exaspération, il tente de répliquer mais ne fait pas le poids face à l’animosité de sa femme. Au fil de leurs joutes verbales, acerbes et corrosives, leur altercation tourne peu à peu au délire : ils crient, se roulent par terre, ne cessent de se contredire et finissent même par devenir cruels. La tension monte progressivement, accentuée par une multitude de bruitages et de perturbations sonores provenant de l’extérieur. Le conflit armé se déroulant en bas de leur rue devient pas à pas si intrusif qu’il finit par se substituer à cette pitoyable scène de ménage ! Face à la gravité de cette guerre qui les menace tous les deux, le couple décide inconsciemment de faire une trêve et se remet momentanément en question. Cette accalmie ne sera, hélas, que de courte durée : à peine la paix est-elle déclarée au sein de leur ville que les tourtereaux retransforment leur alcôve en un ring sanglant !

Afin de mettre en avant le texte brut de Ionesco, Rachel André a opté pour une scénographie « déconstructive ». Au fil de la pièce les objets volent dans tous les sens et les murs s’effondrent les uns après les autres. Entre les bruits de foule dans l’escalier et les vitres cassées par des jets de pierres, l’interaction entre le monde extérieur qui s’affronte et l’univers chavirant où évolue le couple est très bien représentée. On regrette cependant que face à un tel délire thématique, les comédiens ne poussent pas plus loin leur démence : on aimerait des querelles plus subtiles que criardes, une profondeur de jeu vraiment ressentie et une peur authentique se dessinant au fond des yeux face à la mort qui les menace… Rachel André et Benjamin Tholozan restent trop en surface. Ils se contentent du côté burlesque si présent dans le théâtre de l’absurde au lieu d’enrichir subjectivement leurs personnages : on voudrait qu’ils amplifient d’avantage les cartes de la haine, de l’asservissement et de la folie meurtrière des hommes. On voudrait aussi ressentir l’ambigüité si présente dans le texte d’Eugène Ionesco entre l’imagination et la réalité : lorsque l’on lit cette pièce, on se demande effectivement si la guerre extérieure est bien réelle ou si ce n’est qu’un reflet allégorique mis en arrière plan pour amplifier la bêtise conflictuelle de ce couple si représentatif de la race humaine…

Délire à deux ? Une œuvre intéressante mais qui manque de surprises. A creuser…

Délire à deux…à tant qu’on veut
D’après Eugène Ionesco
Mise en scène Rachel André
Avec Rachel André et Benjamin Tholozan

Théâtre du Lucernaire
53, rue Notre Dame des Champs – Paris 6e
Métro : Notre dame des champs ou Vavin

Jusqu’au 27 septembre 2014
Du mardi au samedi à 18h30
Réservation : 0145445734
www.lucernaire.fr

A voir aussi:

Histoires d’Hommes ? Un règlement de compte amoureux un peu trop complaisant

Lacenaire: un parfait mariage de crime et d’écriture

Au banquet de Marianne: un vif plaidoyer pour la République

Caprices : une pièce opaque à la mise en scène trop épurée

Les Fiancés de Loches: une truculente partition de Feydeau

Suzanne : un discours militant pour la parité

Prenez-moi homo ! : tout sur les dessous de l’homosexualité masculine

Laissez votre commentaire

Il vous reste

0 article à lire

M'abonner à