Au banquet de Marianne: un vif plaidoyer pour la République
Par Florence Gopikian Yérémian – bscnews.fr/ Il fut un temps où les Banquets de la République parvenaient à fédérer le peuple français: bourgeois ou sans culotte, tous alors participaient à la constitution républicaine et croyaient en ses valeurs. Aujourd’hui, les choses ont bien changé: face au ridicule manège de nos politiciens, une telle fraternité est inimaginable car plus personne ne se sent concerné par la vie citoyenne.
Voilà sans doute pourquoi trois dévoués serviteurs de la nation sont montés sur scène afin de nous rappeler nos devoirs civiques, ne serait-ce que le temps d’une courte pièce …Faisant face au public dans un décor festif de tables et de nappes blanches, ces grooms réformistes pestent après le temps jadis: où sont passés les partisans d’antan et les âmes révolutionnaires ? Que sont devenus les Grands Hommes du passé, ceux pour qui la liberté et l’égalité incarnaient de véritables aspirations?
En un tour de magie, comme seul le théâtre en est capable, six de ces admirables figures historiques apparaissent alors sur les planches : voici De Gaule, l’inimitable fédérateur assis à côté de Jaurès, ce philosophe du socialisme. Vient ensuite Hugo prônant ses nobles idées sur le suffrage universel face à un Montesquieu « lumineux » brandissant de vieux exemplaires de son Esprit des Lois ; puis c’est au tour d’Edgar Faure de prendre la parole pour critiquer la façon de gouverner d’un Robespierre idéaliste et totalement inflexible.
Ces esprits brillants et visionnaires se querellent pour la liberté, débattent autour du pouvoir et finissent même par se battre à mains nues pour imposer leurs idées démocratiques. Au fil de leurs dialogues et de leurs plaidoyers imaginaires, l’audience écoute, attentive, et prend peu à peu conscience de toutes les étapes qui ont été nécessaires à l’ascension de l’actuelle République.
Servie par un trio des plus dynamiques, cette pièce interpelle et invite à réfléchir. Les trois comédiens de la Compagnie Wakan ne cachent pas leurs idéaux populistes et ils prennent un malin plaisir à nous les insuffler à travers les discours des grands réformistes de la nation française. C’est avec audace et certitude que Dominique Touzé monte à la tribune pour imiter Jaurès roulant les rrr derrière sa moustache. Il en va de même pour le fougueux Emmanuel Chanal qui n’hésite pas à se mettre torse nu afin d’évoquer la « terrible » ferveur de Robespierre. Coincée entre ces deux compères et cette palette de personnalités masculines, Danielle Rochard ne demeure pas en reste et se travestit en Montesquieu : armée d’un pistolet, elle menace ses condisciples et clame à son tour son insatiable quête d’Egalité.
Hurlant, tapant du poing ou bombant le torse, ces comédiens nous font d’avantage songer à des politiciens qu’à des intermittent du spectacle: pertinents et corrosifs dans leur approche, ce sont des orateurs qui n’ont pas honte d’affronter leur auditoire! En les voyant cracher au sol pour défendre ainsi les valeurs de la République, on se dit que ces acteurs sont des partisans qui mènent campagne. Leur pièce n’est en somme qu’un prétexte pour emmener l’assemblée que nous sommes à réfléchir sur les valeurs fondatrices de la démocratie. Ce n’est pas une histoire qu’ils ont mise en scène, c’est un discours scénique qui souhaiterait jouer un rôle dans la grande Histoire! L’approche politico-théâtrale de cette compagnie auvergnate est en ce sens très originale : elle bouscule, fédère et quelle que soit la réaction du public, la petite troupe en ressort victorieuse car elle extirpe le spectateur de sa coutumière torpeur abstentionniste. C’est un théâtre aussi populaire que populiste que nous sert la Cie Wakan car il s’adresse au peuple, le soutient et invite chacun à réfléchir à sa condition. L’idée est noble et accrocheuse d’autant que les artistes se démènent aussi bien au niveau du texte que de la mise en espace. Leur décor est sans cesse en mutation et déborde d’idées scéniques: tout au long de la représentation les meubles se transforment, les livres volent sous la poussière et les éléments du banquet s’évaporent progressivement. Au rythme des costumes et des redingotes qui s’enfilent et se jettent, le débat gonfle, s’accentue et progresse. Semblable à un prêche pour la République, il est servi dans une langue crue et par un jeu d’acteur des plus vifs. On pourrait d’ailleurs reprocher à ce spectacle son excessive précipitation: du début à la fin pas un seul silence n’est offert aux convives pour ingurgiter cette avalanche de théories, de références étymologiques et de citations historiques ! Laïcité, Egalité, Parité, Fraternité… Tous les idéaux et les principes républicains sont passés en revue à une vitesse folle et sans aucun intermède! Cela donne l’impression d’avaler les dix tomes d’une encyclopédie sans parvenir à la digérer ! Il faut pourtant laisser aux spectateurs le temps de réfléchir à un texte aussi ample sinon ils finissent par lâcher prise … Fort heureusement la fin de la pièce est pleine de rebondissements et parvient à faire retomber sur terre tous ceux qui avaient perdu le fil … de l’Histoire.
Au banquet de Marianne? Un manifeste pétri de civisme, un brin utopiste pour notre époque mais qui parvient à éveiller notre âme citoyenne.
Au banquet de Marianne
Wakan Théâtre: Emmanuel Chanal, Danielle Rochard, Dominique Touzé
Texte de Jean-Louis Debard et Dominique Touzé
Mise en scène Julien Rocha, Dominique Touzé
Lumières Hervé Georjon
Théâtre Les Déchargeurs
3, rue des déchargeurs – Paris 1er
Métro: Châtelet
Jusqu’au 28 juin 2014
Du mardi au samedi à 19h
Réservations: 0142360050
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