Caprices : une pièce opaque à la mise en scène trop épurée
Par Florence Gopikian Yeremian – bscnews.fr/ La salle est sombre, plongée dans la pénombre. Au cœur de cette nuit théâtrale surgit un râle qui se change graduellement en une respiration lourde et douloureuse. Puis une voix claire se fait entendre, celle d’un homme nommé Goya qui souffre et se morfond.
Étendu à demi-nu sur une table immense, il s’insurge contre les prêtres, les moines et les évêques. A ses yeux, ces serviteurs du Seigneur ne sont que des menteurs qui entortillent le peuple et cachent toutes leurs horreurs derrière le voile mortifère de l’inquisition! Face à leurs méfaits, Goya ne peut garder le silence alors il se rit d’eux subrepticement, par le biais de son art. Dissimulé dans une cave humide, il n’a pour seules armes que son imagination et son arrogance d’artiste: du bout de sa pointe sèche, il fait apparaître un confesseur lubrique, un moine avare cachant son vin ou un prédicateur à tête d’oiseau embobinant ses ouailles. Dessinant avec rage, l’artiste ne se contente pas de railler le clergé, il esquisse également une satire de la société corrompue qui l’entoure: sorcières, superstitions, prostitutions, tous ces maux jaillissent chaque nuit dans son esprit tourmenté sous la forme d’hideuses créatures qu’il grave à l’eau forte: voici de vieux rapaces lubriques poursuivant une jeune fille, des femmes infidèles couchées sur papier ou d’effrayants hiboux dont les yeux globuleux symbolisent à eux seul toute la folie humaine. Sans relâche, Goya fait surgir ces démons de ses songes et les affronte de son burin quitte à sombrer lui-même dans les arcanes de la folie…
Caprices est un monologue étrange à la noirceur aussi réelle que symbolique. Construite autour des 80 gravures éponymes réalisées par Francisco di Goya, cette pièce tente de mettre en voix des œuvres purement picturales. L’idée est audacieuse mais très difficile à concrétiser: comment faire apparaître aux yeux des spectateurs les énigmatiques images des Caprichos par le simple moyen du langage?
C’est ce à quoi s’attelle le jeune comédien Maxime Kerzanet au cœur de son obscure cellule qui lui sert de scène. Le corps émacié et les bras levés vers le ciel, il nous fait songer à la gracile figure de Saint Paul peinte par Ribera. Pour ceux qui apprécient la peinture espagnole et ses douloureux clairs-obscurs, l’effet visuel est saisissant. Tel un supplicié toisant les cieux, Maxime Kerzanet s’est immiscé dans la peau d’un Goya bipolaire. D’un côté, il est l’un des peintres officiels de la cours d’Espagne, de l’autre il se dissimule derrière les traits d’un dénonciateur insomniaque ne tolérant plus les dérives de son siècle. En tant que fils des Lumières, Goya s’insurge contre la décadence et la bêtise des grands de son royaume mais il se bat aussi contre son double qui ose remplir sa bourse en portraiturant ces scélérats! Afin de nous transmettre cette déchirure intérieure, Maxime Kerzanet a étrangement opté pour un phrasé lent et continu. S’adressant à lui-même autant qu’aux créatures imaginaires qui l’entourent, il les accuse de ses cris souterrains amplifiés par la résonnance de la cave. Tiraillé entre ses cauchemars et sa raison, il chante, peste et parjure mais ses effusions manquent autant d’ardeur que de violence : tout au long de son monologue, sa diction reste uniforme et son ton bien trop calme pour celui d’un insurgé. On voudrait le voir modeler d’avantage sa voix, jouer sur les chuchotements et les râles, fouiller dans les tourments du peintre afin de nous l’offrir écorché sous nos yeux ébranlés. Au contraire, l’artiste demeure prostré sur sa table. Il devrait descendre de ce cénotaphe, l’ébranler, se cacher derrière pour fuir ses visions démoniaques ! Il pourrait également manipuler l’ombre de son corps qui se projette sur le mur, faire de cette silhouette ténébreuse son double révolté et créer avec elle un véritable dialogue entre la figure lumineuse du grand Goya et celle de son obscur reflet. La mise en scène de Guillaume Dujardin est en somme trop épurée : elle manque de dynamique et de créativité. Cela est regrettable car elle aurait pu donner une réelle emphase au texte écrit par José Drevon : cette dernière possède, en effet, une très belle écriture ponctuée de métaphores et d’allégories. Sans une mise en espace adéquate, son texte demeure cabalistique pour l’ensemble du public, y compris pour les historiens d’art qui maitrisent l’iconographie des Caprices de Goya. Cela est dommage, il aurait suffit d’un hululement furtif et de quelques aquatintes projetées sur le mur pour mettre l’acteur en valeur et rendre cette pièce bien moins opaque.
Caprices ? Un mauvais songe…
Caprices
D’après Francisco di Goya
De José Drevon
Mise en scène Guillaume Dujardin et Elodie Guibert Avec Maxime Kerzanet
À l’Atalante
10, place Charles Dullin – Paris 18e
Métro : Anvers, Abbesses, Pigalle
Réservations : 0146061190
www.theatre-latalante.com
Jusqu’au 24 juin 2014
Lundi, mardi, mercredi et vendredi à 20h30 Jeudi et samedi à 19h
Crédit photo : Patrice Forsans, Atelier Contrast
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