Royale Légende? Une pièce épistolaire entre Marie-Antoinette et le Chevalier d’Éon
Par Florence Gopikian Yérémian – bscnews.fr/ Et si Marie-Antoinette avait rencontré le Chevalier d’Éon? Quelle correspondance ce tandem des Lumières aurait-il pu échanger? Telle est la fiction habilement mise en scène par Xavier Berlioz au théâtre du Lucernaire.
Royale Légende est l’histoire d’une rencontre, certes, mais c’est surtout la mise en parallèle inédite de deux âmes seules et jalousées de tous: l’une est une reine exilée, une autrichienne catapultée trop jeune sur le trône de France; l’autre est un chevalier en transit, dont le corps épicène a annexé bien des cœurs sans vraiment parvenir à trouver sa juste place. Malgré leur différences, ces deux grandes figures du XVIIIe siècle s’écoutent et se comprennent car elles sont toutes deux captives de leur destinée. Dans ce face à face improvisé sur vingt années de règne, le spectateur est discrètement invité à découvrir les étapes successives d’une relation qui va évoluer de la bienséance protocolaire à une amitié des plus sincères.
La fonction d’Éon auprès de Marie-Antoinette est initialement celle de précepteur. Par le biais de récits et d’anecdotes, il enseigne à la jeune reine les rudiments du grand monde. Avec tact et courtoisie, il lui parle des colonies françaises, l’élève laborieusement vers Voltaire, et tente même de lui inculquer un soupçon de philosophie kantienne. Afin de rendre sa souveraine un peu moins prude, il lui colporte aussi les ragots de la cour et n’hésite pas à chanter les satyres du peuple raillant l’impuissance de Louis XVI. La reine s’épanouit tout en apprenant. Face à la finesse insolente de ce chevalier hermaphrodite, elle retrouve sa naïveté enfantine et ose prendre ses aises: sans aucune hypocrisie, elle lui décrit Trianon, lui confie ses grossesses et lui cache parfois ses onéreuses parties de jeux… Mais la révolution est là, qui gronde et menace: avec fracas, elle mettra fin à cette si noble entente. Marie-Antoinette sera mise au cachot tandis qu’Éon se verra contraint de conserver ses habits de femme jusqu’à la fin de ses jours. Triste crépuscule pour ces prisonnières du Grand siècle sempiternellement en quête de liberté…
La pièce de Xavier Berlioz est un face à face séduisant tant du point de vue esthétique que littéral. Au cœur de cet échange épistolaire, les lettres s’effeuillent en symbiose avec les costumes des protagonistes: au rythme des conversations entre la reine et Éon, on assiste en effet à un somptueux habillage mutuel suivi d’un effeuillage où les comédiens se dépouillent symboliquement de leurs vêtements jusqu’à une ultime mise à nu.
Patrick Blandin est extraordinaire en « Chevalière ». De sa bouche couleur vermeil s’évade un phrasé pincé et pointu. Perché sur ses hauts talons, il toise le public avec une assurance impressionnante et cultive à ravir l’androgynie de son personnage. Passant tour à tour du statut d’homme à celui de femme, il manie l’éventail aussi bien que l’épée et se laisse parfois aller à palper sa poitrine fantomatique. Face à lui, Nadine de Géa incarne à ravir une souveraine en mal de vivre. Le port altier et le minois charmant, elle possède une élocution aussi précise que précieuse et porte avec conviction le très beau texte de Frédéric Mancier et Bernard Larré. Affublée d’une blanche crinoline ou d’un jupon taché de sang, elle passe habilement du rôle de l’enfant joyeuse et innocente à celui de la mère meurtrie face au funèbre spectre de l’échafaud.
Royale Légende? Une rencontre impromptue et raffinée portée par deux excellents comédiens. Ne la ratez pas !
Royale Légende : Marie-Antoinette et le Chevalier d’Éon s’écrivent
Auteurs: Frédéric Mancier et Bernard Larré
Mise en scène : Xavier Berlioz
Avec : Nadine de Géa et Patrick Blandin
Le Lucernaire
53, rue Notre Dame des Champs – Paris 6e
Jusqu’au 8 juin 2014
Du mardi au samedi à 20h
Le dimanche à 15h
Réservations: 0145445734
A lire aussi:
Monsieur Belleville : un passant pas comme les autres
Les mouettes d’Étretat: une histoire de Mektoub entre liberté et justice
Passion simple : Plaisir masochiste
Thé à la menthe ou t’es citron ? : du grand Boulevard à consommer sans modération