Matt Lennox - Rédemption -

Matt Lennox : une histoire de la rédemption

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Par Nicolas Vidal – bscnews.fr / Le premier roman du jeune auteur canadien Matt Lennox nous entraîne au coeur de l’Ontario dans une petite ville où une microsociété est établie selon des codes et des dispositions ancrées depuis longtemps. Leland King, qui vient de purger dix-sept années d’incarcération dans une prison de haute sécurité, revient chez lui car sa mère est gravement malade.

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Ce retour est l’essence même d’une trame qui se décante au fil des pages où il est question de rapports sociaux, de mensonges et de… rédemption. Un premier roman enlevé et brillant de Matt Lennox qui nous donne les clés de son histoire avec une maturité étonnante.

Pour un premier roman aussi passionnant, on se demande toujours quelle est la genèse d’une telle histoire. S’appuie-t-elle sur des éléments personnels ou est-elle issue de votre imagination seule ?
Mon roman est presque entièrement fictif, mais j’écris toujours sur des sujets et des gens qui me tiennent à coeur. Je crois que ceux qui me connaissent sont à même de repérer des éléments familiers ici ou là, mais l’histoire que je raconte sort de mon imagination. Cela dit, le personnage de Stan Maitland est basé sur un homme que j’ai connu. Il s’appelait Stan Miner et c’était un ami de mon grand-père, un ancien boxeur qui était devenu officier de police dans une petite ville du nord de l’Ontario. Mon grand-père m’a raconté de formidables histoires sur cet homme, et je m’en suis servi pour jeter les bases de mon personnage.
Vous avez choisi une petite ville de l’Ontario comme décor de votre roman. Celle-ci est un personnage à part entière tant sa dimension sociale agit directement sur les personnages. Était-ce un choix délibéré dès le début de l’écriture ou aviez-vous aussi songé à fixer votre trame dans une ville plus importante ?
Absolument, bien qu’il s’agisse de fiction, cette petite ville est basée en large part sur celle où j’ai moi-même grandi, Orillia, dans le nord de l’Ontario et d’où viennent des écrivains tels que Stephen Leacock et Gordon Lightfoot. Il était important pour le livre que ce soit une petite ville où tout se sait, tout se voit.
Si vous connaissez Orillia, il y a des choses qui vous seront familières dans le livre, des lieux, une atmosphère. C’est une petite ville qui pourrait être américaine ou encore française, et qui pour le personnage de Leland King représente son foyer, l’endroit d’où il vient, comme c’est le cas pour beaucoup d’entre nous.

Matt Lennox, c’est une question qui me brûle les lèvres. Que vous a apporté votre séjour en Afghanistan au sein de l’Armée canadienne ? Autrement dit, est-ce que votre roman comporte dans son essence des idées, des impressions ramenées de là-bas ? Ou en est-il totalement épuré ?
Il est difficile de dire s’il existe un lien ou une influence directe sur mon écriture du temps passé dans l’armée canadienne. Je suis naturellement intéressé par le côté sombre de la nature humaine et, quand j’étais stationné en Afghanistan, j’y ai souvent été confronté.

L’arrivée de Leland King dans cette ville natale introduit votre roman et nous plonge directement au coeur même de la mécanique que vous avez installée. Ainsi, Leland King entre dans le roman comme il entre petit à petit dans la vie de tous les personnages. Était-ce votre première idée d’introduction du roman ? Ou bien est-ce que cette première scène s’est imposée à vous ?
La première scène que j’ai écrite, celle que j’avais en tête dès le début, est l’une des dernières du livre.
Je ne savais pas vraiment dans quoi je m’étais lancé à ce moment-là. Je suivais juste une intuition et c’est à partir de cette scène que le roman s’est développé. Et cette scène d’ouverture du livre, c’est en fait la deuxième scène qui s’est imposée à moi, celle où Leland King revient chez lui après des années d’absence. Et je savais en l’écrivant que c’était le début de mon roman.

Comment vibre en vous le thème de la rédemption, et ce personnellement, Matt Lennox ?
Comme écrivain, je suis avant tout intéressé par ce qui tourne autour de la vie, de la mort, du bien et du mal. Je dirais que ce qui m’intéresse ce sont les différences entre les gens biens qui font quelque chose de mal et les gens peu recommandables qui peuvent aussi faire le bien. Dans ce contexte, la rédemption est une chose importante, c’est l’essence d’une seconde chance, d’une possibilité de tout reprendre à zéro. J’aime explorer cette zone d’ombre d’un point de vue philosophique, mais rien dans ma vie personnelle ne m’y rattache forcément.

L’ambiance de votre roman, et c’est très régulièrement repris dans les articles déjà parus, confère une saveur toute particulière à la trame. Comment avez-vous appréhendé cela d’un point de vue stylistique, mais également fictionnel en tant que véritable personnage ? La comparaison avec James Gray revient d’ailleurs très souvent.
Les premières moutures du manuscrit étaient bien plus sombres encore, y compris avec une fin plus dramatique.
Martha Magor, mon agent, a attiré mon attention et m’a dit qu’il faudrait peut-être ajouter quelques petites touches d’espoir. Les changements étaient minimes, mais je crois qu’ils étaient importants. J’ai tendance naturellement, je crois, à créer des atmosphères ténébreuses, mais il ne faut pas en abuser et je préfère provoquer chez un lecteur la réflexion davantage que la dépression.

Comme décririez-vous le rapport qu’entretien Leland King avec la religion, incarnée notamment par Barry ?
Pour moi, Lee a une relation assez terre-à-terre avec Dieu et la religion, un rapport assez simple. Je pense qu’au fond, c’est un laïc dans le vrai sens du terme. Barry a une relation alambiquée avec la religion, alors que c’est son métier en quelque sorte. Il est souvent à côté de la plaque, même si ses intentions sont bonnes au départ. Comme on le dit si bien : “L’enfer est pavé de bonnes intentions” et je pense que c’est vrai dans son cas. Alors que Lee est déjà en enfer sur un plan métaphorique, il n’en est pas moins quelqu’un qui entretient une relation saine et simple avec Dieu et le fait religieux.

On sent que Leland King est poussé par une volonté déterminée de se racheter auprès de sa famille, de sa vie et de son passé. Mais on sent poindre un fatum tout au long du roman qui le conduit à des décisions et à des choix qui seront tragiques à la fin. Est-ce le cas Matt Lennox ?
Sur un plan philosophique, je rejette l’idée de fatalité ou de destinée toute tracée. Je ne crois pas que cela soit fondé et ça ne me plaît guère. Je tenais d’ailleurs à ce que Lee (Leland King) partage ce point de vue. En d’autres termes, c’est toujours nous qui, à un moment donné, faisons tel ou tel choix. Sinon, nous serions les victimes passives d’un dieu cruel et insensible, comme Job dans l’Ancien Testament. Ce qui pour le coup serait profondément déprimant… Il fallait dans le roman que Lee ait la possibilité de faire des choix, parfois bons ou mauvais, et qu’il en assume pleinement les conséquences. En tant qu’écrivain et en tant que lecteur, je pense que ce sont les choix des personnages qui donnent à la littérature son énergie, sa tension et sa raison d’être.
Leland King n’est-il pas, au-delà d’être le personnage central, l’antihéros même, le porteur également d’un passé difficile pour tous les gens de son entourage ? On pense notamment à sa confession finale auprès de Pete.
Je ne sais pas comment répondre à cette question. J’ai écrit ce livre, et j’ai créé ce personnage de Leland King, et j’ignore encore maintenant si c’est un type bien qui a fait de mauvais choix ou quelqu’un de mauvais qui en a fait des bons. J’ai de l’affection pour cet homme, mais il me met un peu mal à l’aise, encore aujourd’hui.

Lorsque Leland King rencontre Helen, l’espoir d’une rédemption renaît puis s’étiole au fur et à mesure de cette relation charnelle qu’on perçoit comme amoureuse ou du moins affective dans un premier temps. N’est-ce pas un moment important du roman ou la fatalité commence à fait son oeuvre dans le rapport qu’à Leland aux femmes et à la société en général ?
L’idée derrière la relation entre Lee et Helen, c’était de montrer à quel point il était déphasé vis-à-vis des autres et de la vie normale, après ces longues années passées en prison. Je tenais à montrer que quelqu’un comme lui, malgré toutes ses bonnes intentions, pouvait être utilisé sans même s’en apercevoir. Quand il s’en rend finalement compte,il y a cette bouffée de colère en lui et cette scène à la fin du livre où il règle ses comptes avec Helen. En découvrant la vraie nature de Lee, Helen prend peur et elle a toutes les raisons de le craindre.

Dans la relation entre Pete et Leland King, est-ce que le jeune garçon n’est-il pas quelque part, la dernière chose qui rattache Leland King à la rédemption et à la volonté de s’en sortir?
Oui, absolument, la vie de Pete est inextricablement liée à celle de Lee. Ce garçon est le dernier choix que Lee aura à faire dans sa vie et je laisse le lecteur décider si c’est un bon ou un mauvais choix.

Dans cette volonté de rédemption, n’est-ce pas la fatalité qui pousse malgré lui Leland King à un épilogue tragique ?
Comme je l’ai dit auparavant, je rejette l’idée de fatalité. Leland King est un homme qui prend des décisions et fait des choix comme n’importe qui. Ses choix ont des conséquences qui mènent le livre là où il va, comme nos propres choix déterminent nos existences. Ceci étant dit, il est important d’admettre que Lee n’a pas eu de chance : il est né dans une famille pauvre, il a perdu son père très tôt, etc. Mais si on doit admettre que les circonstances peuvent être importantes, à la fin ce sont les choix que l’on fait qui sont importants.

Le policier Stan n’en est-il pas, du moins l’instigateur, mais l’indicateur régulier tout au long du livre ?
Mon éditrice canadienne décrit Stan Maitland comme le “centre moral” du roman. Je n’y ai pas pensé en l’écrivant, mais après coup je pense que c’est une bonne définition. Stan représente à mes yeux l’équilibre entre la justice officielle (celle des lois et de la société) et la justice naturelle, une morale personnelle peut-être. Celle qui consiste à prendre la bonne décision au bon moment, même quand les circonstances ne sont pas réunies. D’une certaine manière, Stan est le Virgile du Dante de Lee.

Au-delà de sa trajectoire personnelle, Leland King n’est-il pas finalement l’élément qui dynamite le destin d’autres personnages ? On pense à Pete en premier lieu, Emily ou celui de ses complices.
Je pense que le destin de Lee a un terrible impact sur la vie de sa mère et de sa soeur, mais peut-être était-ce inévitable. Pour moi, Pete est l’unique bénéficiaire du dernier acte vraiment libre de son oncle.

Si vous deviez donner l’une des clés de cette rédemption en tant qu’auteur de ce roman, quelle serait-elle ?
La décision plutôt que la fatalité, là encore. Décider de faire ce qu’il faut et le faire vraiment.

Pour finir, travaillez-vous sur un autre roman, Matt Lennox ?
Je travaille sur un nouveau roman et je ne devrais pas tarder à le terminer. Le personnage principal est videur dans une boîte de nuit d’une petite ville de l’Ontario. Il est un peu tiraillé entre sa famille et ses amis, ce qu’il doit aux uns et aux autres, tout en se demandant ce qu’il veut vraiment faire de sa vie.

Matt Lennox  » Rédemption »

Editions Albin Michel – Collection Terres d’Amérique – 432 pages – 22,00 €

Photo Matt Lennox – Copyright DR

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