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Emmanuelle Friedmann : la dynastie des Chevallier, une saga chocolatée

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Par Emmanuelle De Boysson – bscnews.fr / Journaliste à Questions de Femmes, auteur du Rêveur des Halles (Calmann-lévy), Emmanuelle Friedmann se passionne pour l’histoire sociale. Elle a eu la bonne idée de raconter « La Dynastie des Chevallier », une saga familiale et historique romanesque sur une des premières chocolateries industrielles à la fin du XIXème siècle. Victor Chevallier a voulu démocratiser le chocolat et a créé une fabrique de chocolats entourée d’une cité ouvrière. Humain, il aura du mal à transmettre ses valeurs à sa descendance. La fabrique traversera la guerre, la crise de 1929. Cette saga chaleureuse, gourmande et pleine de rebondissements, est un régal.

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Comment vous est venue l’idée de raconter l’épopée d’une famille de chocolatiers ?
L’idée était d’évoquer les différentes péripéties qui avaient donné l’envie à Victor Chevallier de fonder son empire mais aussi les répercussions de cette passion sur sa famille et sur ses ouvriers puisque ce patron social avait décidé de construire, juste à côté de sa fabrique, une cité ouvrière. En cette fin de xixe siècle, la France était en train de s’industrialiser, il suffisait aux entrepreneurs d’avoir de bonnes idées pour faire fortune. D’ailleurs, le patriarche de la Dynastie des Chevallier est un homme du peuple, un homme passionné et érudit qui à la fois souhaite fabriquer un chocolat qui pourra être consommé par tous mais qui veut également permettre à ses ouvriers de vivre décemment pour que tout le monde puisse profiter du progrès social.
J’imagine qu’ensuite tous les créateurs d’industrie se posent les mêmes questions : Comment transmettre son entreprise ? Faut-il la léguer à son fils, même s’il n’est pas capable de la diriger ? Du côté des descendants, rien n’est facile non plus: Comment se positionner lorsque l’on est le fils ou le petit-fils d’un homme exceptionnel ? Ce n’est pas évident de trouver sa place !
Finalement, on s’aperçoit à travers le roman, qu’il est plus aisé pour Julien, le fils d’ouvrier, d’inventer sa propre vie que pour Louis, le fils, et Jackie, le petit fils, de Victor Chevallier de marcher dans les traces de Victor, le patriarche. Et ensuite, en toile de fond, en historienne, j’ai évoqué, les différents sursauts et les événements marquants qu’avait connus la France, la guerre contre la Prusse, les tensions dans les colonies, la guerre de 1914-1918, la Révolution industrielle, les avancées du chemin de fer et de l’automobile, l’exposition universelle, le développement de la publicité et l’invention du marketing, mais aussi bientôt, venu de l’autre côté de l’Atlantique, un monumental crack boursier.

Pourriez-vous nous dire à qui était réservé le chocolat avant que Victor Chevalier décide de le démocratiser et pourquoi il a eu cette idée géniale ?
Au XVIIIème siècle, le chocolat était consommé sous forme de boissons les jours de divertissement à Versailles. Progressivement au xixe, il était vendu par les pharmaciens pour « faire passer la pilule » mais aussi pour ses vertus thérapeutiques : fortifiant, stimulant, purgatif et même antivénérien. Mais il était encore très cher et réservé à une élite.
Dans le roman, Victor, encore enfant, déguste, par hasard un petit morceau de chocolat. En grandissant, il n’a plus qu’une idée, faire des mélanges, inventer de nouvelles recettes et le rendre accessible à tous. Il entreprend, alors qu’il est apprenti dans une petite pharmacie de la rue Ferdinand Duval, la fabrication de petites plaquettes de morceaux détachables à déguster. Et c’est justement l’époque où Napoléon III, amateur de nectar chocolaté, affirme que « le cacao n’était pas un produit de luxe mais un aliment aux propriétés hygiénique et nutritive incontestables dont le goût et l’arôme flattait le palais » et décide de supprimer la taxe à laquelle le chocolat était soumis jusqu’alors. Rapidement, la notoriété des tablettes de Victor Chevallier grandit dans la capitale, il quitte sa petite pharmacie pour construire, sur les bords de la Marne, à quelques kilomètres de Paris sa fabrique.

En quoi est-il un patron humaniste ?
Victor Chevallier est persuadé que c’est en n’omettant pas le bien être, la culture et la morale des ouvriers et de leur famille qu’ils donneront le meilleur d’eux mêmes. Libérés des questions existentielles de survie, les ouvriers heureux et reconnaissants se consacrent pleinement à leur travail et par conséquent à la réussite de la Chocolaterie.Ainsi, lorsqu’il construit sa fabrique, Victor Chevallier souhaite proposer à ses ouvriers, en plus de salaires plus élevés que la moyenne, une école laïque gratuite et obligatoire pour que leurs enfants puissent s’instruire jusqu’à 12 ans (cela même avant que Jules Ferry fasse voter la loi sur l’école, l’occasion aussi pour l’instituteur de former la main d’œuvre du futur). Mais surtout, il crée une petite ville jouxtant la Chocolaterie où il propose à ses familles d’ouvriers de lui louer des petites maisons individuelles à des prix tout à fait décents. La formule fait ses preuves. Les ouvriers et leurs familles ainsi installés dans de petites maisons agréables ne penseraient plus à chercher fortune ailleurs.

A quelles difficultés s’est-il heurté, en particulier avec ses enfants et petits enfants ?
Le patriarche est à la fois rêveur et entrepreneur dans l’âme. Il se heurte à son fils, Louis qui est plutôt du genre rationnel et qui a du mal à être imaginatif. Louis ne prend par exemple aucun plaisir à tester de nouvelle recette. La seule qui l’intéresse, ce sont les livres de compte. En revanche son petit-fils, Jackie est son opposé. Il rêve d’être chocolatier et n’a aucun don pour la gestion. Pour que les chocolats Chevallier perdurent, il va dont falloir que d’autres hommes entrent dans l’aventure. Victor en a très vite conscience. Il repère le petit Julien, le meilleur ami de son petit fils, un gosse d’ouvrier, plein de talent… et qui ne laisse pas indifférent sa petite-fille non plus…

Comment ont-ils traversé la Grande guerre ? Aujourd’hui, que sont-ils devenus ?
La Première Guerre mondiale a été un tournant pour le pays. C’est elle qui a fait basculer la France du xixe siècle au xxe siècle. Comme toutes les industries, La chocolaterie a été très déstabilisée par cette Première Guerre mondiale que tout le monde appelait, à l’époque, la Grande guerre. La plupart des hommes étaient persuadés de la supériorité de l’armée française. La guerre ne devait durer que quelques jours, voir quelques semaines. Les hommes n’étaient pas partis, comme la légende le dit, la fleur au fusil. Ils étaient simplement déterminés à faire leur devoir. Pendant ce temps là, à la fabrique, comme dans toutes industries, il a fallu demander aux femmes de remplacer les hommes et réorganiser toute la production. L’activité de la chocolaterie s’est ralentie pendant ces quatre années, mais quelques mois après l’armistice, l’économie repartait et la production de 1914 était même dépassée !

Quelle est la part véridique et la part de fiction ?
Tout ce qui est contexte historique et processus de transformation des fèves de cacao en chocolat est conforme à la réalité. Tout le reste, les personnages, les familles Chevallier (les entrepreneurs) et Carolelli (la famille d’ouvriers), sont totalement romanesques, imaginaires, leur destinée est totalement fictive.

Quelles recherches avez-vous faites pour relater cette saga ?
J’ai lu beaucoup de documents sur les grandes chocolateries de l’époque, Poulain, Menier. J’ai consulté pas mal de livres d’histoires sur la fin xixe et début du xxe siècle notamment, René Rémond, mais également les livres d’Alain Plessis sur l’histoire économique, et ceux de Jean-Jacques Becker sur la Première Guerre mondiale, ils ont été, tous les deux, mes professeurs à l’université.

Cette chocolaterie est-elle pour vous un modèle ? Avez-vous la nostalgie de ces artisans entrepreneurs à taille humaine ?
La main d’œuvre qui habitait dans les cités ouvrières échappait à la paupérisation et profitait, ainsi que leur familles, de logements décents, d’une école gratuite pour leurs enfants, ils étaient mieux payés que la plupart des ouvriers dans le pays. En revanche, ils étaient très surveillés et souffraient de ce manque de liberté. Aujourd’hui, ce qui m’effraie, c’est le manque de sens que l’on observe dans les grandes entreprises. Les tâches sont souvent tellement morcelées qu’on en oublie pour qui et pourquoi on travaille. (C’est ce dont je parlais dans mon premier livre, Tu m’envoies un mail ? éditions Privé) Mais j’essaye de ne pas être trop nostalgique. Je pense que plus les contraintes sont présentes plus les gens inventent des nouvelles façons de travailler. Je pense par exemple au Scoop, un modèle économique intéressant.

Êtes-vous accro au chocolat ?
Oui ! je suis vraiment accro, au blanc, au lait mais surtout au noir. Je crois que c’est un des seuls aliments dont je ne pourrais pas me passer.

Comme critique littéraire, avez-vous eu des coups de cœur récents ?
Mes derniers coups de cœurs littéraires sont pour le roman de Cécila Dutter, Savannah Dream, (Albin Michel), où l’on savoure une terrible et entêtante histoire d’amour au sud des Etats-Unis. Pour l’essai de Catherine Siguret, Ma mère, ce fléau, (Albin Michel) évoque la difficulté de certaines mères d’assurer correctement ce rôle. Pour le roman de Valérie Gans, Le bruit des silences, chez Lattès, est une histoire de femmes et de transmission.

Emmanuelle Friedmann « La dynastie des Chevallier », éd. Calmann-Lévy, 288 pages, 18,90 euros

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