Passion simple : Plaisir masochiste
Par Elodie Cabrera – bscnews.fr/ Sur la scène du Lucernaire, se dresse ce qu’il reste d’une femme brisée par une exquise incarcération.
Dans sa geôle, une chambre au décor minimaliste, elle décrit sa vie comme « une façon d’user le temps entre deux rencontres » avec A, son amant. Lancinante attente dont elle se délecte, jouissive souffrance dont elle se repaît. Y a-t-il un mot pour décrire cette abnégation de soi-même, où l’esprit est obnubilé par un seul être et le corps l’unique prisme du temps ? La passion. Un démon qui se glisse sous les draps, dévore, emplit et laisse forcément des stigmates derrière lui.
« Passion simple », adaptation de l’ouvrage éponyme d’Annie Ernaux, est un exploit. La comédienne Marie Matheron incarne avec tant de justesse un sentiment si abstrait. Très vite, la salle nous paraît trop étroite pour contenir ses maux cruels. Parfois, elle joue avec sa chaussure comme une enfant, se lève puis se rassoit, se met à danser avant de se jeter sur le lit. Jamais surjouée, la folie est ici effrayante de réalisme. Les yeux mouillés, le corps en errance, elle revit l’époque où le monde tournait autour de A. Les dîners entre amis deviennent insipides, son travail, inintéressant. Elle se refuse même à sortir de peur de manquer ses appels. Le quotidien n’est plus qu’une suite d’événements accomplis de manière chirurgicale, avec le corps, jamais le cœur. Pendant tout une année, être parfaite pour lui fût sa seule raison de vivre. À chaque rencontre : nouvelle coiffure, nouvelle robe, nouvelle lingerie. Au moindre laisser-aller, le désir peut s’étioler. Mais A n’est que le bourreau d’une victime consentante.
Au final, on ne sait que peu de choses de cet homme. Son amante préfère s’attarder sur son absence dont elle tire un plaisir presque masochiste. Lorsque qu’il quitte l’appartement, elle observe les pièces à conviction : deux verres vides, un cendrier plein, des sous-vêtements éparpillés dans le couloir. Chaque détail devient un signe de l’amour ou de l’indifférence de A à son égard. Les films à l’eau de rose, les magazines féminins, l’horoscope, toutes ces mièvreries contiennent la clé de son histoire, elle en est persuadée. Tous ceux qui ont aimé à en perdre la raison (de vivre) retrouveront un peu de leur vécu dans cette pièce. Un peu de cette tension érotique qui rend paranoïaque et dissout toute dignité humaine. A finit par disparaître. Lentement, très lentement son souvenir lui emboîte le pas. Les ruines de cet empire des sens viendront s’échouer dans un ouvrage. Un simple livre, le « don reversé en mots » de ce qui ne s’éprouve que dans la chair.
PASSION SIMPLE de ANNIE ERNAUX
Mise en scène Jeanne Champagne
Avec Marie Matheron
Du mardi au samedi à 18h30 (durée du spectacle : 1h10)
Au Théâtre du Lucernaire – Théâtre Noir ( 75006 Paris)
Du mercredi 30 avril au 7 juin 2014 – du mardi au samedi à 18h30
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