Echec à Tartuffe, ce psychopathe !
Par Florence Gopikian Yérémian – bscnews.fr/ En 2013, Luc Bondy signait un Tartuffe en langue allemande d’une vivacité à percuter le printemps viennois.
Déménageant sa thématique et son décor au sein de l’Hexagone, le Directeur du théâtre de l’Odéon nous offre aujourd’hui une version parisienne de cette savoureuse comédie.
Un damier en guise de sol, de vastes murs blancs ornés de trophées, et une immense table autour de laquelle les convives prennent place les uns après les autres: il y a tout d’abord la doyenne des lieux, Mme Pernelle, mère d’Orgon, radoteuse et bigote de son état. A ses côtés, nous rencontrons ses petits enfants, Marianne et Damis, si sages et si bien éduqués. Puis vient le tour d’Elmire, la séduisante bru un brin éméchée, se pavanant nonchalamment en peignoir de soie. A la tête de cette famille d’apparence sereine, règne Maître Orgon, mais plus pour longtemps. Entiché de son insupportable Tartuffe, le candide Orgon ne perçoit pas la dépravation de ce faux dévot et s’apprête à lui céder non seulement sa fortune mais aussi la main de sa pauvre fille !
S’accommodant sommairement de la sempiternelle critique anticléricale de Molière, la création de Luc Bondy se stigmatise d’avantage sur les vices de l’âme humaine et nous offre ainsi une approche plus contemporaine du mythe tartuffien. Dans cette adaptation parisienne, nulle trace de brocards ou de somptueuse demeure seigneuriale : Orgon arbore un costume trois pièces avec attaché-case et sa maison est un duplex équipé de téléphone et de meubles Ikea. Bien que la langue de Molière soit conservée, elle s’égare un peu dans la première partie de la pièce car les comédiens lui confèrent une intonation trop précipitée qui lui fait perdre sa musicalité classique. Fort heureusement les dialogues versifiés se gainent au fil des actes et leur partition plus coulante nous permet d’entrer pleinement dans l’histoire.
L’apparition de Dorine (Lorella Cravotta) marque vraiment le début des festivités: parée de son insolence et de sa narration juteuse, elle ne cesse d’importuner Maitre Orgon, qui n’hésite pas à courser sa domestique sur tout le plateau! Outre cette interprète qui nous charme avec ses humeurs cuisantes et ses colères altruistes, Luc Bondy a fort judicieusement sélectionné l’ensemble de ses acteurs: le personnage de Tartuffe – si lubriquement incarné par Michel Lescot – est en soi une véritable caricature du vice. Derrière sa chétive apparence d’hippie aux cheveux gras, il nous fait songer à une anguille sous roche aussi visqueuse que machiavélique. Ce Tartuffe du XXIe siècle ne dégage pas plus d’emphase que de prestance mais tout son être respire la méchanceté autant que la frustration: derrière ses petits yeux malsains et son étrange déhanché, il cache un côté pervers des plus dérangeants : que fait donc ce saint homme clope au bec, la main prête à caresser voluptueusement son jeune valet ?
En choisissant consciemment de pousser la carte de l’impie, Michel Lescot s’amuse tout en apportant une touche scandaleusement actuelle à son funeste héros : Tartuffe n’est plus seulement un hypocrite dévoré par le gain et l’ambition, il prend aussi les traits d’un violeur psychopathe qui n’hésite pas à arracher la culotte de la belle Elmire!
Courageusement interprétée par Clotilde Hesme, cette Elmire est une épouse pleine d’attraits qui n’a de cesse d’user de finesse et d’habileté pour confondre Tartuffe: la cuisse laiteuse et le regard cristallin, cette comédienne à la coupe garçonne déborde d’une suavité indolente. Alors que sa prestation stagne un peu dans les premiers actes, elle s’enrichit au fil du récit et se pare d’une assurance si élégante qu’elle finit par s’approprier crânement toute la scène.
Autour du couple hérétique qu’elle forme avec Tartuffe, son pauvre époux paraît un peu palot. En effet, Gilles Cohen s’est inventé un Orgon un brin trop posé: malgré ses quelques emportements et sa mauvaise humeur, son rôle de Pater Familias et de mari quasi trompé manque d’autorité et de sarcasme pour nous convaincre. Saluons par contre la trop courte contribution de Françoise Fabian qui transforme Mme Pernelle en une grand-mère à la verve nerveuse et aux accents d’Orient. La jeunesse est aussi pleine d’entrain dans cette adaptation, notamment avec Pierre Yvon qui endosse les traits de Damis le petit fils: maladroit et essoufflé, il amuse le public en se jouant sans complexe de sa gaucherie et de sa propre corpulence. Le rôle de sa sœur, la sage Marianne, revient à Victoire du Bois qui possède un jeu capricieux et irrégulier. L’actrice semble avoir trop de tempérament ou mal le canaliser pour symboliser les jeunes filles prudes et réservées. N’oublions pas enfin Yannick Landrein dans la peau de Valère, le fiancé échaudé : malgré ses rares apparitions, ce grand échalas à la mèche rococo insuffle une agréable fraicheur au plateau en personnifiant burlesquement les offensés de service.
Dans cette farce indémodable de Maitre Poquelin, la vérité et la justice auront, une fois de plus, raison de l’odieux Tartuffe. Le pendard sera cependant démasqué grâce à des bandes magnétiques et le cours des choses pourra reprendre pieusement autour d’un bénédicité et … d’un air de Jazz ! Molière? De la modernité avant toute chose !
Tartuffe
D’après Molière
Création de Luc Bondy
Avec : Clotilde Hesme, Micha Lescot, Lorella Cravotta, Léna Dangréaux, Victoire Du Bois, Françoise Fabian, Gilles Cohen, Jean-Marie Frin, Laurent Grévill, Yannik Landrein, Yasmine Nadifi, Fred Ulysse, Pierre Yvon
Reprise de Tartuffe (Mise en scène de Luc Bondy)
Jusqu’au 25 mars 2016
Ateliers Berthier – Théâtre de l’Odéon
1, rue André Suarès – Paris 17e
M° et RER C – Porte de Clichy
Réservations: 0144854040
Du 26 mars au 1er juin 2014
Du mardi au samedi à 20h
Le dimanche à 15h
Réservation : 0144854040
Photo de répétition: Thierry Depagne
A lire aussi:
Philippe Torreton : un Cyrano qui monte bien haut
Le dernier jour du jeûne : une tragi-comédie à l’antique bercée par le chant des cigales
Le début de quelque chose : camps de concentration du bonheur et autres Club Med
Histoire d’amour : Sur les planches, l’amour et la violence s’affrontent en bulles