Des couples échangistes chez Paul Claudel ? Oh my God!

par
Partagez l'article !

Par Florence Gopikian Yérémian – bscnews.fr/ La scène se partage en deux. D’un côté, il y a la douce Marthe et son incurable Louis; de l’autre, l’excentrique Lechy paradant au bras de Thomas Pollock, son époux transitoire…

Partagez l'article !

Marthe est aussi constante que son amant est fugace. En jeune épousée, elle veut le posséder jusqu’à son âme mais Louis fait partie de la race des hommes libres: fougueux, animalier, le torse crânement nu, il nous fait songer à un faune antique perpétuellement en quête d’ivresse et de liberté. De sa voix sucrée et enfantine, Marthe tente malgré tout de le raisonner, de se l’approprier. Elle lui parle à petits mots, l’enlace tendrement, lui demande simplement de l’aimer mais Louis ne l’écoute pas car son esprit s’élève sans cesse dans le ciel auprès de ses lointains ancêtres.
Devant le triste spectacle de ce couple à la dérive, apparaît alors un étrange tandem aux antipodes du jeune ménage. Prétentieux et exubérants, Thomas Pollock et sa femme sont riches comme des rois et pensent qu’en ce bas monde tout peut se négocier. Faisant preuve d’opportunisme et d’une évidente perversité, Pollock tente d’acheter Marthe tandis que sa féline Lechy n’hésite pas à séduire impudemment le crédule Louis! La tension monte, les couples se déchirent, l’un des quatre protagonistes trépasse et la vie reprend inévitablement son cours…
Cette pièce de Paul Claudel repose entièrement sur la beauté sonore et spirituelle de son texte. Les dialogues y sont lents, chargés de métaphores religieuses et de paroles si précieuses qu’il faut les laisser infuser au creux de nos oreilles afin d’en percevoir toute la musicalité. Les comédiens nous font d’ailleurs songer à un quatuor musical où chacun joue alternativement sa partition. Portés par la prose poétique de Claudel, ils se toisent, se heurtent et se séduisent à tour de rôle. Margaux Lecolier (Marthe) y est toute en nuances: amoureuse, honteuse, suppliante, elle possède exactement l’apparence douce-amère qui incombe à son personnage. À l’inverse, Julie Danlébac (Lechy) ressemble à une louve cruelle et indomptable. Même si ses extases mystiques sont parfois excessives, elle apporte une tonalité à la fois macabre et érotique à l’œuvre claudélienne, ne serait-ce que par la suavité de sa voix. À ses côtés, Bruno Sultan (Thomas Pollock) manque un peu d’élégance et d’envergure. Certes il détient la souplesse et le bagou nécessaires à son profil de riche commerçant mais il lui faudrait un soupçon de machisme pour compléter ce rôle. Il en va de même pour Paul Enjalbert (Louis) dont le caractère et la diction n’exhalent aucune autorité: il maîtrise parfaitement la fibre lyrique et rêveuse de Louis mais manque encore de force pour incarner son côté révolté et impétueux.
Ulysse Di Gregorio a fait preuve d’une audace évidente en osant mettre en scène cette pièce ambigüe et difficile à interpréter. Allez-y pour redécouvrir la langue de Claudel à huis clos. Quitte à en ressortir complètement asphyxiés…

L’échange
Une pièce de Paul Claudel
Mise en scène Ulysse Di Gregorio
Avec Margaux Lecolier, Paul Enjalbert, Julie Danlébac et Bruno Sultan

Aktéon théâtre
11, rue du Général Blaise – Paris 11ème
M° Saint Ambroise – Saint Maur – Père Lachaise

Jusqu’au 22 mars 2014
Vendredi et samedi à 21h30
Réservations: 0143387462

A lire aussi:

Chat en poche: un vaudeville à miauler de rire!

BASH : un triptyque de la violence ordinaire

La maladie de la mort : une quête hautement métaphorique où le numérique prend une place de taille

La tragédie du belge ou l’amour absurde

Un barrage contre le Pacifique : Marguerite Duras ad nauseam

Laissez votre commentaire

Il vous reste

0 article à lire

M'abonner à